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Les publicités sexistes dans l’espace public seront interdites dans le canton de Vaud

20.06.2019

 

Le canton de Vaud va enfin disposer d’une loi contre les publicités sexistes. Le Conseil d’Etat vaudois a présenté son projet en mai 2018, six ans après le dépôt en 2011 de la motion Bavaud (Verts), qui demandait l’interdiction explicite des affiches dégradantes pour la femme sur le domaine public. Pour mettre cela en acte, le gouvernement a proposé une modification de la loi sur les procédés de réclame (LPR). Il reviendra à un Comité d’experts de juger les affiches.

La proposition, qui répond à la fois aux attentes de la société civile et aux obligations internationales de la Suisse, n'a soulevé aucun débat contradictoire et a été acceptée le 18 juin 2019 par le Grand Conseil à l’unanimité, moins une abstention.

Projet de loi

Le projet de loi du Conseil d’Etat vise la publicité par affichage public et modifie la loi sur les procédés de réclame (LPR) en vue d’empêcher toute publicité à caractère sexiste.

Elle reprend ainsi dans son nouvel article 5b, la règle 3.11 de la Commission suisse pour la loyauté selon laquelle «une publicité qui discrimine l’un des sexes, en attentant à la dignité de la femme ou de l’homme, n’est pas admissible.» Parallèlement, elle répète aussi la définition en six critères de la règle 3.11 de ce qu'est une publicité sexiste. Parmi eux se trouve notamment le fait que des hommes ou des femmes y sont affublés de stéréotypes sexuels mettant en cause l'égalité entre les sexes, ou si une forme de soumission ou d’asservissement est suggérée ou encore si les enfants ou les adolescent-e-s n’y sont pas respectés. Le projet de loi englobe donc clairement les femmes et les hommes, ainsi que les adolescent-e-s et les enfants.

Mais pourquoi a-t-il fallu 6 ans au Conseil d’Etat? Pour négocier avec les communes si l’on en croit l’explication donnée par la Conseillère d’Etat Jacqueline De Quattro à la RTS.  En outre, ce projet de loi s’inscrit dans un cadre plus large, puisque la lutte contre l’inégalité est à l’œuvre dans plusieurs volets politiques. En 2017, le gouvernement vaudois a présenté sa loi d’organisation de la prévention et de la lutte contre la violence domestique (LOVD) et les modifications légales de la loi sur l’égalité salariale visant à instaurer la possibilité pour l’Etat d’effectuer un contrôle dans les entreprises au bénéfice d’un marché public et sur les entités subventionnées. Avec l’interdiction des publicités dégradantes ou humiliantes, le Conseil d’Etat ajoute une nouvelle pierre à l’édifice pour le respect des femmes et des hommes dans le canton de Vaud.

Le dernier mot aux communes

Le gouvernement vaudois mise sur le nouveau cadre légal de la LCR pour donner un message et des lignes directrices claires aux sociétés d’affichage. Néanmoins, en cas de doute sur la nature d'une publicité, il est possible pour les communes, particuliers ou sociétés d’affichage, de saisir la commission consultative sur les procédés de réclame. Celle-ci remplit déjà cet office concernant le tabac et d’alcool (art. 24 LPR). Pour les discussions autour des affiches sexistes, la commission se verra enrichie d’un-e représentant-e du bureau de l’égalité et d’un-e spécialiste en sociologie des médias ou en éthique. Le Conseil d’Etat vaudois précise enfin que les avis rendus n’auront pas de force contraignante. Il reviendra aux communes de trancher en décidant, par exemple, de refuser ou de retirer une campagne prévue ou déjà présente sur son territoire.

Nombre croissant de plaintes

Le projet de loi, présenté par le Conseil d’Etat en mai 2018, s’inscrit dans un contexte de prise de conscience collective. En effet, depuis la motion déposée en 2011, l’actualité n’a cessé de montrer de manière flagrante le ras-le-bol croissant de la société face à l’instrumentalisation de la femme dans l’espace public. De nombreuses campagnes de sensibilisation ont vu le jour avec notamment #WomenNotObjects aux Etats-Unis et «Sexistische Werbung schadet» de Terre de femmes en Suisse en 2015. Cette libéralisation de la parole a également eu des répercussions sur le nombre de plaintes pour publicités sexistes déposées auprès de la Commission suisse pour la loyauté. Si elles n’étaient que de 3.1% en 2011, elles représentaient en 2017 18.2% des faits examinés par la Commission.

Dans sa campagne de sensibilisation en 2015, Terre des femmes dénonçait une fois de plus les effets pervers de ce type de publicités que l’on aperçoit dans notre quotidien. Elles construisent et solidifient les stéréotypes sexuels et sapent en profondeur les efforts effectués pour parvenir à la réalisation de l’égalité des genres. Alors même que les jeunes sont particulièrement sensibles à la publicité, cette simplification a amené à la création et la diffusion de canons de représentation des genres réduite, stéréotypée et sexiste. Le projet de loi du Conseil d’Etat vaudois a d’ailleurs été salué par les organisations de la société civile, notamment Terre des femmes. L’organisation demande en outre que le sujet soit traité au niveau fédéral et dénonce les dysfonctionnements liés à l’autorégulation de l’industrie de la publicité.

Désert juridique en Suisse

Ironie du sort ou manque d’initiative dans le pays, le canton de Vaud reste, même en retard de six ans, un précurseur dans le domaine. En effet, il n’existe à ce jour aucune réglementation au niveau fédéral et quasiment rien sur le plan cantonal non plus. La législation actuelle en matière de publicité, en particulier la Loi fédérale contre la concurrence déloyale (LCD) et la Loi fédérale sur la radio et la télévision (LRTV), ne mentionne même pas la publicité discriminatoire quant aux genres. Il existe cependant une possibilité de recours contre une publicité sexiste auprès de la Commission suisse pour la loyauté. Cet organe national d’autorégulation de la branche publicitaire condamne explicitement la publicité sexiste (Règle 3.11). Son efficacité reste cependant limitée. En effet, la commission peut se prononcer sur le contenu des messages publicitaires et obtenir l'arrêt d'une campagne, mais elle ne peut pas sanctionner les coupables.

C’est pourtant sur cette possibilité de recours que la Confédération et le monde publicitaire se reposent pour justifier leur refus d’une règlementation claire contre la publicité sexiste.

En mars 2012, la députée Yvonne Feri (PS/AG), s’était basée sur la décision vaudoise pour demander au Conseil fédéral, dans une interpellation «interdire la publicité sexiste» (12.3106), ce qu'il entendait faire pour lutter contre une publicité discriminatoire à raison du sexe encore trop répandue de nos jours. Dans sa réponse, le Conseil fédéral s’est justifié en insistant sur la flexibilité et la rapidité de la procédure auprès de la Commission pour la loyauté. Il a également mentionné l’absence d’augmentation du nombre de plaintes pour publicités discriminatoires qui pousserait à légiférer. Deux arguments qui convainquent encore moins aujourd’hui qu’hier, aussi du fait de l’augmentation sensible du nombre de plaintes. Quelques années avant, la motion «Interdiction de la publicité sexiste» (06.3373), déposée par Doris Stump (SP/AG), avait elle aussi été balayée.

Sur le plan cantonal, seul le canton de Bâle Ville a intégré la question en 2011 dans son Ordonnance sur les restrictions publicitaires (Plakatverordung). Des grandes villes comme Zurich, pionnière en la matière, Lausanne, Berne ont également introduit de telles mesures, tout comme la commune de Reinach BL. Il est donc temps pour la société civile que la question prenne une place plus importante, en adéquation avec l’époque et le cadre international.

Le nouveau cadre international

Lors du dernier examen de la Suisse dans le cadre de la Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard de la femme (CEDEF) en 2016, le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes a, tout comme en 2008, fait part de ses critiques sur la question de la publicité sexiste. Le Comité a rappelé à la Suisse qu’elle doit s’employer davantage à éliminer les images et attitudes stéréotypées concernant les rôles des femmes et des hommes dans la famille et dans la société, conformément à la Convention, par des mesures juridiques, politiques et de sensibilisation. Avec son projet de loi, le canton de Vaud fait ainsi un pas vers plus de respect de la Convention.

La Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard de la femme n’est cependant pas la seule en jeu ici. Depuis 2011, de nouveaux engagements internationaux ont pour objet la lutte contre les stéréotypes et la promotion d’une égalité des genres.

C’est notamment le cas de la Convention d’Istanbul, entrée en vigueur le 1er avril 2018 en Suisse et dont l’objectif est de prévenir et lutter contre les violences faites aux femmes. L’article 12 engage les parties à prendre «les mesures nécessaires pour promouvoir les changements dans les modes de comportement socioculturels des femmes et des hommes en vue d’éradiquer les préjugés, les coutumes, les traditions et toute autre pratique fondés sur l’idée de l’infériorité des femmes ou sur un rôle stéréotypé des femmes et des hommes».

L’AGENDA 2030, en vigueur depuis 2016, fixe quant à lui les lignes directrices et les priorités internationales à appliquer d’ici à 2030 en matière de développement durable. Il considère l’inégalité des sexes comme l’un des principaux obstacles au développement durable et invite les Etats à entreprendre des mesures concrètes en faveur de la promotion de l’égalité homme – femme. Le rapport national sur la mise en œuvre de l’agenda en Suisse présenté à l’ONU le 17 juillet 2018 ne fait cependant mention d’aucune stratégie visant à corriger les stéréotypes concernant les rôles dans la société.

D’autres droits à prendre en compte

Un engagement au niveau fédéral serait donc une avancée en la matière. Reste cependant à noter que l’interdiction des affiches sexistes pourrait, suivant son application, entrer en collision avec d’autres droits humains et fondamentaux. A savoir la liberté des médias, garantie à l’article 17 de la Constitution et par plusieurs pactes de l’ONU, ainsi que la liberté économique, garantie par l’article 27 de la Constitution et, en moindre mesure, par le Pacte I de l’ONU pour les droits économiques, sociaux et culturels

Suite à l'adoption de la motion Bavaud au Grand Conseil vaudois en 2012, la Publicité romande - aujourd'hui nommée Communication Suisse - avait également appelé à une réflexion de fond de la part de la Confédération. Son objectif était alors d’éviter les distorsions de concurrence entre les médias et de poser de nouveaux principes applicables à tous les médias afin d'instaurer entre eux une saine égalité de traitement. 

Sources principales

Objets parlementaires

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