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Femmes victimes de violences sexuelles sans statut légal en Suisse: double violence et inégalité de traitement

29.08.2012

Ce texte a été rédigé par l’association basée à Genève Viol-Secours, qui lutte depuis 27 ans contre les violences sexuelles envers les femmes. 

Porter plainte pour violences sexuelles en tant que femme en Suisse peut s’avérer  très difficile et douloureux. Le système juridique est emprunt de stéréotypes sexistes qui tendent à culpabiliser les femmes victimes d’agression sexuelle et à déresponsabiliser les agresseurs. Si la femme violentée est sans statut légal, un acte d’expulsion suit son dépôt de plainte. Elle devra faire face à un système juridique sexiste et parallèlement, elle devra entreprendre des démarches administratives, à ses frais, contre son acte d’expulsion. Au final, elle a non seulement de fortes probabilités de voir le classement de sa plainte, mais également d’être expulsée du territoire suisse.

Porter plainte pour violences sexuelles, un parcours emprunt de stéréotypes 

Un dépôt de plainte n’est pas une évidence et il peut s’avérer douloureux pour les femmes agressées sexuellement. Dans une grande majorité de cas, elles devront faire face aux questions intrusives des acteurs et actrices d’un système juridique empreint de stéréotypes sexistes qui partent du principe que c’est à la femme d’apporter les preuves de son agression, et non pas au violeur de prouver son innocence.

Les mythes qui découlent d’une société patriarcale viennent renforcer l’impunité d’un agresseur. Si l’agresseur est un proche et la dénonciation tardive, on questionnera la vraisemblance en décortiquant le comportement de la femme victime. On pourra encore lui demander ce qu’elle a fait pour montrer qu’elle n’était pas consentante, mais on ne demandera pas à l’agresseur ce que lui a fait pour s’assurer du consentement de l’autre. Cette manière d’envisager le mécanisme des violences sexuelles a très souvent comme conséquence le classement de la plainte et la non reconnaissance de la violence vécue par la personne.

Double violence pour les femmes sans statut légal en Suisse

Si la victime de violences sexuelles est une femme sans statut légal, le système rend la dénonciation encore plus difficile, puisque un dépôt de plainte s’accompagne automatiquement d’un ordre d’expulsion. En effet, d’après l’expérience de l’association Viol secours à Genève, une fois que la police a enregistré la plainte, elle dénonce la personne pour séjour illégal à l’Office cantonal de la population qui prononce l’expulsion. La femme victime de violences sexuelles se confronte ainsi non seulement à l’instruction pénale, mais également aux démarches pour légaliser son statut.

Ces démarches consistent dans un premier temps à prouver qu’une procédure pénale est en cours, afin d’obtenir un permis de séjour temporaire et ceci à plusieurs reprises au cours de la procédure. Dans un deuxième temps, à la fin de l’affaire pénale qui se solde trop souvent par un classement, la personne reçoit un nouvel ordre d’expulsion et est obligée de demander un permis de séjour . Les critères pour l’octroi d’un permis  dans ce genre de situation sont très restrictifs et la Suisse accorde ces permis au compte goutte. Au final, les femmes sans statut légal vivent une double violence, la première de l’agresseur et la seconde de l’Etat, qui les expulse du territoire suisse. 

Une inégalité de traitement qui profite aux agresseurs 

L’inégalité de traitement entre les femmes avec un permis et celles sans statut légal profite aux agresseurs et renforce leur statut de domination. Un statut qu’ils utilisent déjà envers toutes les femmes. Les vécus que nous confient les femmes sans statut légal se ressemblent de manière effrayante. Un patron qui harcèle sexuellement une employée en menaçant de la dénoncer à la police si elle parle, un médecin abuseur qui use de la même "arme", un pasteur d’associations de soutien aux «sans-papiers» qui utilise son statut de bienfaiteur pour violer, un mari violent qui sait que le droit de séjour de son épouse dépend du sien, et bien d’autres exemples viennent noircir le tableau.

Les possibilités de défense de ces femmes sont réduites et elles ont des conséquences très importantes sur leurs conditions de vie. Soit ces femmes endurent ces violences à répétition et voient leur santé physique et psychique se dégrader de plus en plus, soit elles rompent le silence et prennent le risque d'être dénoncées à l'office cantonal de la population. Elles peuvent également changer de ville, de canton et tenter de recommencer une nouvelle vie mais elles restent de par la situation dans laquelle les maintient l’Etat des "cibles faciles" pour un autre agresseur sexuel.

Pour un accès à la justice plus équitable 

Une première piste pour un accès à la justice plus équitable serait que la police et la justice ne dénoncent pas aux offices cantonaux de population les femmes sans statut légal qui portent plainte pour violences sexuelles. Comme ce changement ne résoudrait pas la question d'une dénonciation par l'agresseur, il faudrait que le dépôt de plainte pour agression sexuelle soit un critère prépondérant pour obtenir un permis de séjour . Cette logique implique qu’il est nécessaire de dépasser le soupçon permanent qui pèse sur les femmes en général, ainsi que le mythe qui prétend que les femmes sans statut légal sont prêtes à porter de fausses accusations pour rester en Suisse. Ceci est valable tant pour l’instruction pénale que pour la demande de permis .