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Requérant d'asile homosexuel: le Secrétariat d'Etat aux migrations fait volte-face

04.07.2017

O. est un homosexuel nigérian venu chercher refuge en Suisse, initialement sans succès. Menacé de mort par les habitants de son village et d’une peine pouvant aller jusqu’à quatorze ans de prison par l’État nigérian, il avait pourtant vu sa demande d’asile refusée par l’Office des migrations (aujourd'hui Secrétariat d'Etat aux migrations - SEM), ce qui avait soulevé une vague de constestation dans la société suisse en 2014.

En janvier 2017, le SEM est revenu sur sa décision première et a finalement accordé le statut de réfugié à O. Une décision plus cohérente avec la tendance européenne actuelle pour la reconnaissance de la repression contre l’homosexualité comme motif d’asile.

Asile refusé

En 2010, O. et son partenaire ont quitté le Nigéria, car ils y étaient tous deux menacés du fait de leur relation homosexuelle. Arrivés en Suisse, ils n’ont ni l’un ni l’autre pu obtenir l’asile dans un premier temps. L'on sait pourtant que le Nigéria est un pays où l’homophobie est particulièrement virulente. Une loi y a été adoptée en mai 2013 qui punit l’homosexualité d’une peine de prison pouvant aller jusqu’à 14 ans. Les personnes homosexuelles y sont victimes de graves violences privées et quotidiennement discriminées. Dans le cas de O. c’est son père même qui appelé le village à la violence contre son fils. De plus, les auteurs de violence à l’encontre de personnes homosexuelles agissent généralement en toute impunité.

Pour l’ODM ces éléments ne justifiaient alors pas d’accorder l’asile. Il avait jugé les dires des deux hommes peu crédibles et doutait de la véracité des dires de O. concernant les violences qu’il a subies dans son village. Il estimait par ailleurs qu’une fois rentré au Nigéria, il pouvait mener une vie «normale» en cachant son homosexualité et ne courrait ainsi aucun danger. Le partenaire de O. était rentré de lui-même au Nigéria en 2011, où il a subi un rituel de «purification» à l'issue duquel il a dû affirmer être «libéré» de son homosexualité.

Bras de fer

Si O. a pu échapper au même sort, c'est uniquement car il a disparu avant son renvoi. Il a ensuite déposé sans succès une demande de ré-examen et un recours auprès du Tribunal administratif fédéral. Arrêté par la police en mars 2014 pour séjour illégal, il a alors passé dix semaines en détention en vue du renvoi. Dans le même temps, son cas a soulevé une vague de contestations et plusieurs manifestations, notamment à Berne. Plusieurs ONG avaient également rédigé des prises de position critiques à l'attention des autorités.

Et O. lui-même n'a pas baissé les bras. En mai 2014, il a déposé une nouvelle demande de ré-examen, que le SEM a qualifiée de seconde demande d'asile au sens de l'article 111 de la Loi sur l'asile (LAsi), renonçant de ce fait au renvoi en attendant que la demande soit traitée. Le comité de solidarité pour O. annonça ainsi le 16 juin 2014 sa libération.

Nouvelle demande

Le Secrétariat d'Etat aux migrations entendit ainsi une nouvelle fois O. en juillet 2015. Il donna en outre en décembre 2015 mandat à l'ambassade de Suisse au Nigéria d'effectuer de nouvelles recherche sur son cas et commanda un rapport auprès d'un avocat bien connu de l'ambassade.

Le rapport publié le 29 mars 2016 a validé l'histoire racontée par O. Il a effectivement bien été chassé de son village à cause de son homosexualité et parce qu'il avait «commis un sacrilège». Le rapport établit ensuite que les rapports sexuels entre personnes du même sexe constituent l'un des tabous les plus forts et les plus suivis dans les villages nigérians, qu'il est impossible de mener une relation homesexuelle de façon publique et qu'il n'existe aucune protection d'Etat pour les homosexuel-le-s.

Ce témoignage de première main a mené le SEM à revenir sur sa décision initiale concernant O. En janvier 2017, le SEM l'a reconnu en tant que refugié et admis provisoirement en Suisse (permis F). L'asile ne lui a cependant pas été octroyé du fait qu'il avait contrevenu dans le passé à la Loi sur les stupéfiants. Le SEM a estimé que O. représentait une menace à la sécurité au sens de l'article 53 de la Loi sur l'asile et n'était donc pas digne de recevoir l'asile. Une évaluation disproportionnée en regard des actions commises par O. du point de vue de son comité de soutien. Le Nigérian a d'ailleurs fait recours auprès du Tribunal administratif fédéral.

Décision de la Cour de Justice de l'Union européenne

L'argument initial de l'ODM, d'après qui O. pouvait très bien vivre au Nigéria tant qu'il cachait son homosexualité, était problématique. En novembre 2013, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a émis un arrêt où elle reconnaît que l’on ne pouvait pas refuser l’asile à une personne homosexuelle sous prétexte qu’elle avait la possibilité d’éviter la persécution dans son pays en dissimulant son orientation sexuelle. La CJUE avait alors également reconnu l’homosexualité comme motif d’asile et que les homosexuel-le-s peuvent constituer un groupe social à risque au sens de la Convention de Genève sur les réfugiés. En juin 2013, le Comité des droits de l’homme avait pris une décision similaire qui, sans avoir de suites légales contraignantes, reste toutefois le signe d’un changement global de mentalité.

Les spécialistes jugent en tous cas que la pratique suisse d’octroi de l’asile pour motif d’orientation sexuelle est pour le moins restrictive. Queer Amnesty, section d'Amnesty International, a ainsi calculé que seuls quatre requérant-e-s LGBT ont obtenu une décision favorable sur environ 60 personnes avec lesquelles elle a travaillé depuis novembre 2009. Le plus souvent, le SEM juge l’histoire de ces requérant-e-s peu crédible et leur peur d'être persécutés dans leurs pays exagérée.

COMMENTAIRE DE HUMANRIGHTS.CH

Peu après la décision de la CJUE, la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga avait pourtant affirmé que l’argument selon lequel une personne homosexuelle pouvait très bien vivre dans son pays d’origine si elle y cachait son orientation sexuelle n’était plus utilisé par l’ODM depuis près de quatre ans. Dans le cadre de la Gay Pride zurichoise de 2012, elle avait aussi promis que le SEM, lors de l’examen des demandes d’asile de personnes LGBT (lesbiennes, gay, bi et transsexuelles), prendrait à l’avenir plus largement en compte le droit à l’autodétermination sexuelle et adapterait sa pratique en ce sens. Officiellement, le SEM aurait adapté sa pratique en 2013 déjà. Mention est par ailleurs faite dans le manuel de son personnel que l'on ne saurait refuser l'asile à une personne sous pretexte que celle-ci pourrait rester dans son pays si elle y faisait profil bas. C'est pourtant ainsi que les autorités ont justifié leur refus d'accorder l'asile à O., ce qui ne manque pas de soulever des questions et des doutes. Aujourd'hui, le SEM a fait volte-face et la sociét civile est satisfaite, au moins pour O. Son renvoi aurait été inacceptable du point de vue des droits humains et du droit des réfugié-e-s. Son histoire montre cependant la fragilité des personnes LGBT dans la procédure d'asile en Suisse. Le fait d'attendre d'eux qu'ils démontrent de façon catégorique leur homosexualité est problématique. La plupart d'entre eux luttent avec un passé traumatique et ont du tenir leur orientation sexuelle secréte pendant des années, sans parler de la difficile réalisation personnelle dans un contexte de diabolisation et/ou tabouisation de l'homosexualité. On ne peut pas leur demander de faire fi de cela du jour au lendemain.

Sources