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Le Parlement valide l'initiative anti-minarets

10.07.2009

Les citoyens et citoyennes suisses voteront sur l’initiative anti-minaret. Après que le Conseil national et le Conseil des Etats ont tout deux déclaré l’initiative comme valide et qu’ils ont tout deux recommandé au peuple de la refuser. L’initiative populaire ne viole pas le droit international mais elle limite la liberté de religion d’une manière intolérable, ont clamé certains ténors politiques pendant le débat dans le conseil national.

Avant que le Conseil national n’entre dans le débat, ce sont les représentants des cantons qui ont discuté de la signification des droits humains fondamentaux en relations avec cette initiative. Au final, deux avis distincts se sont dégagés: Theo Maissen(PDC, Grisons) argumente qu’une initiative qui limite la pratique des droits fondamentaux, comme c’est le cas avec l’initiative anti-minaret, ne devrait pas être soumis au vote. Felix Gutzwiller (PR, Zürich) argumente lui que les droits fondamentaux ne sont pas négociables et qu’ils doivent se vérifier dans la pratique. Ce dernier déclare aussi qu’il est persuadé que le peuple va refuser cette initiative.

Dans sa prise de position, la ministre de la justice, Evelyn Widmer-Schlumpf confirme que l’acceptation d’une telle initiative poser ades problèmes identiques à ceux posés par l’initiative sur l’internement à vie. La Suisse devra examiner comment mettre en pratique l’initiative en conformité avec la Convention européenne des droits de l’homme.

Le Conseil fédéral avait rejeté l'initiative

L'initiative populaire «contre la construction de minarets» a abouti et sa validité a été reconnue. Le 27 août 2008, soit moins de deux mois après son dépôt, le Conseil fédéral a recommandé au Parlement de rejeter le texte lancé par la droite ultranationaliste et ne propose pas de contre-projet. Si l’initiative ne viole pas, selon le Conseil fédéral, le «noyau dur des droits de l'homme, reconnu par l'ensemble des Etats et qui ne souffre aucune dérogation», elle n’en reste pas moins incompatible avec plusieurs droits fondamentaux consacrés par la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH) et par le Pacte de l'ONU relatif aux droits civils et politiques (Pacte II de l'ONU). Dans son communiqué de presse, l’Office fédéral de la justice explique que l’initiative:

  • porte atteinte à la liberté religieuse et au principe de non-discrimination
  • a à l'encontre des valeurs fondamentales de la Constitution
  • rate sa cible
  • met en péril la paix religieuse et nuit à l'intégration

Réactions de la Commission du Conseil national et de la CFR

De plus, elle s'immisce trop dans le droit cantonal. C'est ce qu'a ajouté la Commission des institutions politiques du Conseil national (CN-CIP) le 23 octobre 2008. Elle a en effet également rejeté le texte de l'initiative par 16 voix contre 7, sans pour autant l'invalider: elle argumente que le peuple doit trancher sur une question à si forte valeur symbolique. 

De son côté, la Commission fédérale contre le racisme (CFR) ajoute que l'initiative attise les craintes, crée une insécurité et fait obstacle à l’intégration. Elle recommande de rejeter l’initiative, d’encourager davantage les contacts entre les musulmans et les non musulmans et de soutenir les efforts de prévention des conflits. La CFR rappelle que les dispositions du droit de la construction devraient s’appliquer de la même manière pour tous.

Dès le dépôt de l'initiative, avec près de 115 000, voix le 8 juillet 2008, le gouvernement s'était montré soucieux que la campagne de votation ne dérape pas, et préoccupé par son image à l'étranger. Geste inhabituel, le Conseil fédéral avait d'emblée clairement déclaré: «Il n'y a pas de doute que le Conseil fédéral invitera le peuple suisse et le parlement à rejeter cette initiative».

Racine de l'initiative, contenu

Le texte de la nouvelle initiative, lancée en mai 2007 et qui avait jusqu'au 1er novembre 2008 pour aboutir, demande d'inscrire dans la Constitution helvétique que «la construction de minarets est interdite en Suisse». À peine lancée, l'initiative rencontre déjà la désapprobation de trois conseillers fédéraux. Plusieurs milieux de la société civile se sont déclarés choqués par le texte. Le magistrat suisse à la Cour européenne des droits de l'Homme, Giorgio Malinverni, se déclare ouvertement en faveur de la construction des minarets, au nom de la liberté de conscience.

C'est la droite dure qui soutient cette démarche, sur laquelle ne s'est pas encore prononcée officiellement l'UDC. Selon le coprésident du comité d'initiative, Ulrich Schlüer (UDC/ZH), il s'agit de s'opposer «à des construction islamistes ayant une vocation impériale»... Les auteurs de l'initiative se basent sur l'article 72 de la constitution fédérale sur l'Eglise et l'Etat qui stipule que «dans les limites de leurs compétences respectives, la Confédération et les cantons peuvent prendre des mesures propres à maintenir la paix entre les membres des diverses communautés religieuses». Un alinéa précisant que la construction de minarets est interdite y serait ajouté. Les initiants exigent par ailleurs un moratoire valable à tous les niveaux de l'Etat sur toute construction islamique d'ici à la votation sur l'initiative. De façon générale, cette initiative est perçue comme une tactique de la droite en vue des élections parlementaires d'octobre 2007.

Opposition publique par des membres du gouvernement

Les conseillers fédéraux Samuel Schmid (ministre de la Défense, UDC), Micheline Calmy-Rey (ministre des Affaires étrangères, PS) et Pascal Couchepin (ministre de l'Intérieur, PR) se sont publiquement opposés à cette initiative, ce qui en soit est une démarche inhabituelle à un stade aussi précoce d'une initiative populaire. Pourtant, certaines craintes sont bien présentes: Calmy-Rey confiait à des journalistes le 14 mai 2007 qu'une telle initiative «pourrait mettre en danger les intérêts de la Suisse ainsi que les citoyens suisses». Le politologue bernois Georg Lutz a lui aussi estimé que des figures politiques de poids craignaient que cette affaire ne puisse endommager la réputation de la Suisse dans le monde musulman. Si cela devenait nécessaire, le gouvernement pourrait avoir à lancer une contre-offensive diplomatique. Couchepin a indiqué le 25 juillet 2007 s'opposer au sectarisme religieux et a qualifié l'initiative de ridicule. 

Musulmans de Suisse choqués, autres réactions

Si on s'attend à un soutien de l'initiative par l'assemblée des délégués de l'UDC le 30 juin 2007, plusieurs voix se sont déjà élevées contre l'initiative. Président de la Ligue des Musulmans de Suisse, Adel Méjri, s'est dit «choqué» par cette initiative, qu'il décrirait «presque 'islamophobe'» et regrette la fin du dialogue. Président de la Fédération d'organisations islamiques de Suisse (FOIS), Hisham Maizar critique l'initiative, et estime que la polémqiue provoquées par les caricatures ne semble pas avoir servit de leçon. De leur côté, les évêques suisses estiment que la construction de minarets en Suisse peut être autorisée, pour autant que la paix religieuse ne soit pas menacée et que la législation soit respectée. L'expert fribourgeois Yves Besson voit dans l'initiative un «nouvelle forme de la peur de l'autre» et un «défaut de culture et d'une grande méconnaissance» des religions.

Dans des interviews à la Mittelland Zeitung et l'Aargauer Zeitung, l'ancien juge fédéral Giusep Nay appelle le Parlement à ne pas soumettre le texte en votation populaire car ses revendications étant impraticables. La liberté de religion est garantie par la constitution fédérale, mais une initiative est libre de la modifier. En revanche, la Suisse violerait la Convention  européenne des droits de l'homme qu'elle a signée, et qui interdit en particulier toute discrimination dans la protection des droits fondamentaux. S'ils étaient saisis d'un recours, les juges de Strasbourg devraient constater que la Suisse a violé la CEDH. Un Etat ne pouvant se soustraire à un traité international sans autre forme de procès, la Confédération devrait se plier au jugement de la Cour internationale.

Naissance d'un thème

Il n’existe aucun plan de construire un minaret dans le canton de Zurich. Cela n’a pas empêché l’UDC zurichois de demander l’interdiction de ces symboles religieux en lançant début septembre 2006 une initiative parlementaire qui ne nécessite qu’un tiers des voix pour être acceptée. Le Tessin suit ces tendances, et le canton de Soleure a récemment (juin 2006) dû voter contre motion UDC qui exigeait l’interdiction générale de construction de minarets. La polémique d’Outre-Sarine n’a pas véritablement lieu en Suisse romande, même si le quotidien Le Matin a publié un sondage allant dans le sens de la polémique. Elle a toutefois connu une autre polémique autour du projet genevois de création de cimetières privés et de carrés confessionnel à l'intérieur des cimetières publics, qui a suscité un vif débat au sujet de la laïcité. A noter que les deux minarets de Suisse ne sont pas utilisés pour appeler à la prière. 

Polémique ou dialogue?

En Suisse, il existe actuellement deux mosquées avec minaret: l’une à Genève (1978) et l’une à Zurich (1963), ainsi qu’un peu plus d’une centaine de lieux de prière où peuvent se recueillir les quelques 350'000 musulmans de Suisse (dont on estime que moins de 20% sont pratiquants). Ces lieux sont installés auprès d’associations culturelles et de communautés islamiques, et certains souhaitent ériger un minaret afin de symboliser la présence divine. En Suisse romande, des centres culturels sont envisagés à Lausanne et à la Chaux-de-Fonds sans que le minaret soit un sujet de contentieux, d’une part ou de l’autre. En Suisse alémanique par contre, plusieurs projets de construction de minarets, déposés par des associations musulmanes par exemple à Wangen (SO), à Langenthal (BE) et à Will (SG), suscitent la méfiance de certaines autorités communales. A Langenthal, la communauté musulmane s'est engagée par contrat à ne pas sonoriser le sanctuaire qu'elle projette de construire (ATS , 29 novembre 2006) dont le permis de construire a été délivré (ATS , 12 décembre 2006). A Wangen, la commune a finalement décidé de ne pas recourir au Tribunal Fédéral pour contester la décision du Tribunal administratif soleurois du 24 novembre dernier, en faveur de la construction du minaret (ATS , 11 décembre 2006) mais des habitants de la localité ont décidé de tout de même porter l'affaire à la Cour Suprême, qui les a débouté (ATS, 11 juillet 2007), confirmant ainsi la décision du Tribunal administratif du canton.

Au lieu d’un sain débat sur la liberté de religion et un dialogue entre membres des différentes communautés, la rhétorique adoptée par l’UDC mobilise tous les clichés pour faire des minarets le symbole d’une islamisation prochaine de l’Europe. En réalité, l’UDC se préoccupe probablement moins des minarets que de trouver des thèmes mobilisateurs pour les prochaines élections. A noter que l’évêque de Bâle Kurt Koch a plaidé pour la construction des minarets, partie «visible de ce qui est là depuis longtemps», et le théologien et défenseur des droits humains Hans Küng a rappelé que la construction d’un minaret devait être soumise aux mêmes règles que celles d’un clocher ou d’une cheminée de fabrique. Le ministre de l'intérieur Couchepin estime que l'Etat ne doit interdire ni les minarets, ni les croix. «Les communautés religieuses peuvent faire ce qu'elles veulent. Elles doivent simplement accepter nos valeurs» a-t-il ajouté en juillet 2005 au Saemann, mensuel de l'Eglise réformée évangélique bernoise. 

Dans l'administration

 

Dans la presse

Analyse de «Discours Suisse»

  • La Suisse alémanique face à l’affirmation de l’identité musulmane (n'est plus disponible en ligne)
    Discours Suisse, La paix religieuse en Suisse, décembre 2006
  • La Suisse et l'islam: des provocateurs troublent l'harmonie tessinoise (n'est plus disponible en ligne)
    Discours Suisse, La paix religieuse en Suisse, décembre 2006
  • La paix religieuse en Suisse: Entre rejet et coexistence harmonieuse avec les musulmans (n'est plus disponible en ligne)
    Communiqué de presse de Discours Suisse (Presseportal), 28 décembre 2006

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