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Accord sur les bombes à sous-munitions: retour sur la procédure de consultation

23.04.2009

La procédure de consultation concernant la ratification de la Convention sur la proscription des bombes à sous-munitions a pris fin le 25 février 2011. Selon les dépêches d’agence de presse, une interdiction des bombes à sous-munitions (BASM) suscite la sympathie de la majorité des partis. Étonnamment, l’UDC n’est cependant pas le seul parti à s’opposer à la ratification, puisque le Parti libéral est également contre. L’association humanrights.ch a aussi participé à la procédure de consultation et souligné des lacunes importantes dans les propositions de mise en œuvre du Conseil Fédéral (CF). 

Financement indirect maintenu

Compte tenu des conséquences terribles de l’utilisation des BASM sur des populations civiles, la Convention représente un progrès humanitaire important et sa ratification par la Suisse est à saluer. Il est cependant indispensable que le projet de mise en œuvre de la loi sur les armes soit révisé et qu’il soit assuré que tous les actes prohibés par la Convention soient inclus dans le droit interne suisse.
Lors du convoyage de l’article 1 de la loi sur le matériel de guerre (art.  8 bis),  l’interdiction d’utiliser des armes à sous-munitions n’a pas été mentionnée. L’interdiction du financement indirect,  du développement, de la production ou de l’acquisition de sous-munitions n’a pas non plus été implémentée dans la nouvelle loi proposée par le CF. Ceci en toute connaissance de cause et contre l’avis des membres des chambres fédérales. Toutes deux avaient en effet accepté les motions «contre le financement des armes interdites» de la conseillère aux Etats Maury Pasquier (09.3618) et du conseiller national Hiltpold (09.3589). Reste ainsi à déduire de ce rapport que, pour le Conseil Fédéral, la Convention n’exige pas l’interdiction du financement indirect.


Handicap International montre au contraire dans sa prise de position du 21 février 2011 qu’un ensemble de pays européens ont édicté une telle interdiction en rapport avec leur signature de la Convention. Le règlement proposé par le CF donne ainsi l’impression que la Suisse accepte de s’engager pour autant que cela ne nuise pas à sa place financière. De nombreux spécialistes ont souligné la signification d’investissements des banques suisses dans de telles affaires. Comme le signale Handicap international, certaines banques, telles que le Crédit Suisse, ont depuis lors fait connaître une nouvelle politique d’investissement, dont  les producteurs de BASM étaient quasiment exclus. Cela montre bien qu’en finançant les producteurs de BASM, les banques suisses soutiennent des activités interdites par la Convention d’Oslo. Parallèlement, la loi sur le matériel de guerre devrait ainsi édicter l’interdiction de tels investissements pour  les institutions financières.

Les Libéraux pour la défense

Il faut noter également la prise de position des Libéraux, qui ne s’oppose pas fondamentalement à la proscription des BASM. Le parti considère que la défense de la Suisse pourrait être menacée en cas d’attaque militaire ennemie si la Suisse renonçait à ses réserves de BASM. La possession de BASM uniquement réservées à la protection nationale ne représenterait par ailleurs, selon le parti libéral, aucun danger réel sur le plan international.
Une ratification de l’accord par la Suisse signifierait l’obligation de détruire le stock de BASM existant dans un délai de huit ans, puisque l’armée suisse possède également des stocks de munitions qui tomberaient sous le coup de l’interdiction. Selon les informations du CF, les BASM se rapportent au type KaG-88, KaG88/99, KaG-90 et KaG-98. De plus, une révision de la loi sur le matériel de guerre serait nécessaire dans le cas d’une ratification de la Convention.

Le Conseil Fédéral a pris son temps

La Suisse s’occupe en ce moment et depuis plus de quatre ans du thème des BASM dans la politique intérieure et extérieure. Le département fédéral des affaires étrangères (DFAE) s’est montré très actif au niveau international avec l’élaboration de l’accord sur les bombes à sous-munitions (en anglais: Convention on Cluster Munitions, CCM). Par ailleurs, le parlement s’est penché plusieurs fois depuis 2007 sur l’initiative parlementaire Dupraz (2005) qui demandait une interdiction. Cette demande a finalement trouvé du soutien sous la forme d’une motion auprès des deux Conseils et a été acceptée au printemps 2009.
En août 2010, l’accord est entré en vigueur après la ratification de trente Etats, Suisse non comprise. Apparemment, le CF a rencontré des problèmes pendant l’élaboration du projet de ratification. Au moment de la délibération au Parlement, les représentant-e-s de l’UDC se sont montrés réticents à la destruction des stocks de BASM. La Suisse avait pourtant déjà signé l’accord en décembre 2008.

A quoi s’engage la Suisse avec une ratification

L’accord ne prévoit pas seulement des limitations d’utilisation des BASM. Il soumet aussi cette sorte d’armes à une interdiction générale, en raison de ses graves conséquences humanitaires sur les populations civiles, et cela encore des années après la fin des conflits. L’accord comprend par conséquent des dispositions concernant  la coopération et l’aide internationale, qui engagent les Etats parties à un soutien mutuel dans la destruction des stocks, l’évacuation et l’aide aux victimes.


De plus, des rapports réguliers de la part des Etats parties concernant les mesures prises pour la mise en œuvre de l’accord sont prévus, ainsi que des mesures pour la conciliation en cas de dissensions. Finalement, les Etats, en plus d’être engagés pour une imposition de mesures au niveau national, devront également contribuer aux efforts pour l’universalisation de l’accord.
Jusqu’à présent, 108 Etats ont signé l’accord et 48 Etats l’ont ratifié (état au 7.12.2010)-beaucoup d’entre eux sont concernés eux-mêmes par les dangers de BASM issues de précédentes guerres. Des Etats voisins de la Suisse, comme l’Allemagne ou la France font également partie des signataires.

Ce que sont les BASM

Les bombes à sous-munitions (BASM), qui se présentent comme des conteneurs répandant des centaines de mini-bombes sur la zone de survol, tuent bien après la fin des conflits car entre 5% et 30% d’entre elles n'explosent pas à l'impact. Selon la première étude au plan mondial sur les victimes des armes à sous-munitions, publiée le 6 novembre 2006 par Handicap International, 98% des victimes sont des civils (dont 27% des enfants), dont le nombre avéré s’élève à plus de 11000. Mais les données sont lacunaires, laissant craindre que la réalité ne soit plus proche de 100000 morts. A ce jour, 360 millions de bombes à sous-munitions ont été utilisées dans le monde, dont 33 millions n’ont pas explosés: enfouies dans le sol, elles ont impact pire que les mines antipersonnelles et ne sont beaucoup plus dangereuses à extraire du sol pour les démineurs. Plus de 20 pays, dont le Liban, l’Irak, l’Afghanistan, le Laos, la Bosnie, le Kosovo, la Tchétchénie ou l’Erythrée, sont pollués par cette arme absurde.

Historique I: débats parlementaires dès 2005

Au niveau national, la Suisse a en effet largement débattu de la question des BASM. L’affaire repose donc sur une initiative populaire déposée en 2005 par John Dupraz (PDC/GE), suivie de l’initiative parlementaire déposée par Ida Glanzmann-Hunkeler en 2006. Avec la guerre au Liban et le processus d’Oslo, le contexte international était très sensibilisé sur ce sujet. Lors de sa session d’automne 2007 le Conseil national avait voté en faveur de l’initiative Dupraz, demandant ainsi une interdiction complète par la Suisse des BASM, et donc une modification de la loi sur le matériel de guerre. Ses défenseurs y ont vu l'occasion de renforcer la politique humanitaire de la Suisse. Mais lors de sa session d’hiver 2007, le Conseil des Etats a refusé l’initiative (24 contre 12). Cette décision correspondait au souhait du DFAE, qui considèrait alors que l'interdiction totale affaiblirait la position de la Suisse comme Etat leader lors de négociations. «La Suisse ferme les yeux sur des faits prouvés» déplorait alors la section suisse de Handicap International dans un communiqué de presse datant du 9 janvier 2008.

Au printemps 2008, le Conseil national a de nouveau voté en faveur de l’initiative (81 contre 71), pour la deuxième fois à l'encontre de la volonté de la Commission chargée de l'affaire. Lors de sa session d'été 2008, le 10 juin, le Conseil des Etats a décidé (20 voix contre 17) le renvoi de l'initiative parlementaire Dupraz à sa Commission de politique de sécurité, qui devait alors prendre en compte le nouveau développement international de la conférence de Dublin (cf. ci-dessous). Pour Paul Vermeulen, directeur de la section suisse de Handicap International, «ce nouvel atermoiement prive une fois de plus la Suisse d'un rôle proactif dans la mise en oeuvre de ce nouvel instrument du droit international humanitaire». Et de regretter le rôle de leader sur le plan international que la Suisse jouait jusqu'alors. Finalement, suivant le Conseil fédéral et l'avis de sa Commission, le Conseil des Etats votait en faveur, non pas de l'initiative Dupraz, mais de la signature de la COnvention internationale. 

Historique II: le consensus de Dublin

Au niveau interntaional, suite aux blocages constatés fin 2006 au sein des instances supra-nationales dites «classiques» incapables d’apporter une solution rapide aux ravages causés par les BASM, la Norvège appelait officiellement les États à se réunir afin d’aboutir les 2 et 3 décembre 2008 à un traité international interdisant ces armes. Les négociations ouvertes à Oslo les 22 et 23 février 2007 ont vu 46 pays accepter de s’engager dans le processus. Ont suivi les conférences diplomatiques de Lima (mai 2007), Vienne (décembre 2007), Wellington (février 2008) et Dublin (mai 2008), où le texte du traité a été finalisé. Non sans contestations, car de grands pays producteurs - les Etats-Unis, la Chine, la Russie, l'Inde, le Pakistan et Israël - sont opposés à l’interdiction de ces armes, et sont absents des conférences. Dès le 3 décembre 2008, le document final est soumis à la signature de tous les Etats, même ceux n'ayant pas participé au processus d'élaboration: il suffira que trente d’entre eux la signe pour que le nouveau traité, après 6 mois, entre en vigueur.

Le texte de la Convention est, et c'est l'un de ces acquis, particulièrement fort concernant l’assistance aux victimes, reprenant ainsi largement les recommandations de Handicap International. Sur ce point, le texte a été soutenu, notamment, par la délégation suisse. Pour ce qui concerne la question de la transition, 60 états étaient, à Dublin, catégoriquement opposés à la proposition d’un groupe de discussion proposé par 7 pays dont la Suisse: pas question donc d’introduire une clause rallongeant la date buttoir de 6 ans pour la destruction des stocks. Enfin, le texte est également très satisfaisant quant aux obligations faites aux futurs Etats parties en termes de dépollution.

Deux questions cruciales, la définition (soit, l’exclusion de certains types d’armes de la définition des BASM) et l’interopérabilité (soit l’aide active d’un Etat partie à utiliser des BASM dans un Etat non partie) ont été débattues à Dublin, de façon decevante, du point de vue des ONG. En effet, les Etats signataires seront autorisés à participer à des actions militaires conjointes avec des Etats qui utiliseraient des BASM. Par ailleurs, la définition des BASM interdites par le traité exclut certaines armes au regard de leurs effets potentiels ou avérés ainsi qu’en fonction de critères techniques. Tout comme les organisations spécialisées, la Suisse regrette que les grands pays producteurs n'ait pas été parties prenantes au processus d'Oslo.

    Position de la Suisse

    La Suisse a participé à toutes les conférences du processus d'Oslo. Dans un premier temps, elle ne s’engageait qu’à interdire un certain nombre de BASM, mais cette attitude a changé au cours de la conférence de Wellington: la Suisse est bien prête à une interdiction complète des BASM, mais dans une période de transition de dix à quinze ans – qui correspondrait à la date de péremption des quelques 200'000 BASM de type M85 que possède la Suisse. A Dublin, la délégation du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) a plaidé pour un retrait partiel et un délai de transition. Handicap International critique cette attitude qui affaiblirait le texte du traité et rappelle incessamment que les victimes des BASM sont en majorité des civils. D’autre part, elle est contradictoire: «Avec ce délai de transition, la Suisse approuve d’exposer pour plusieurs années encore les populations civiles aux sous-munitions, alors qu’elle reconnaît que ces armes ont des effets inacceptables. Soyons clairs! Il est préférable que la Suisse signe le traité d’Oslo dans plusieurs années plutôt qu’elle en affaiblisse le contenu», souligne HI.

    Documents officiels (par ordre chronologique)

    À l'occasion de la signature de la Convention

    Informations des ONG et de la presse, concernant le développement au niveau national

    Sources concernant la conférence de Dublin, mai 2008

    Informations supplémentaires