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Protection juridique insuffisante pour les minorités nomades

21.03.2023

Le Conseil fédéral a reconnu les personnes Yéniches et Sintés comme minorités nationales. Cependant, ces communautés manquent de moyens efficaces pour faire valoir leurs intérêts et leurs droits sur le plan juridique. Un recours stratégique adressé au Comité de l’ONU pour l’élimination de la discrimination raciale devrait changer la donne.

Du point de vue des droits fondamentaux, la Confédération, les cantons et les communes sont tenus de créer et de maintenir des conditions-cadres permettant aux Yéniches et Sinté·e·x·s de disposer de suffisamment d'aires de séjour et de transit. Ces aires de transit, principalement occupées durant les déplacements estivaux, sont indispensables à un mode de vie itinérant. Leur nombre est toutefois insuffisant en Suisse. De nombreux·ses Yéniches et Sinté·e·x·s nomades sont donc incapables de poursuivre leur mode de vie et d’exercer une activité professionnelle. La Confédération a annoncé qu'elle renforcera son soutien aux communautés nomades en allouant des contributions pour la construction et la rénovation d’aires d’accueil notamment.

Le canton de St-Gall recherche depuis les années 1980 des solutions appropriées; le canton mise depuis longtemps sur un travail de conception et d'aménagement du territoire pour créer de nouvelles aires. Jusqu’à présent, malgré d'innombrables discussions, les efforts ont tous échoué, la volonté des communes étant absente. Il n’existe, ainsi, toujours pas d’aires de transit dans le canton de St-Gall.

La population votante de la commune de Thal, près du lac de Constance, a rejeté, en mai 2014, un plan de zone partiel, en discussion depuis 2007, prévoyant une aire de transit sur le terrain «Fuchsloch». Depuis janvier 2017, le plan directeur du canton de St-Gall prévoyait l’aménagement d’une aire de transit à long terme pour les minorités nomades sur le dit terrain. Le canton avait entamé des discussions avec la commune; il avait été convenu que la première étape consisterait en l'aménagement d'une aire de transit provisoire. En mai 2019, le conseil municipal a toutefois décidé de renoncer à «la poursuite du projet». Ainsi, tous les efforts mis en place par la commune de Thal en vue de la création d’une aire de transit ont été réduits à néant.

Cette décision marque la fin d’un processus de longue haleine et prouve que la bonne volonté ne suffit pas. L’organisation faîtière de défense des intérêts des Yéniches et des Sinté·e·x·s, originaires de Suisse ou de l’étranger, Radgenossenschaft der Landstrasse, n’accepte pas cette défaite. Au nom de ses membres, elle a déposé un recours contre cette décision auprès du département des travaux publics du canton. Ce dernier n’a pas examiné le recours et a justifié sa décision, en avril 2020, en affirmant que la décision du conseil communal n’est pas un objet de recours valable, et que la Radgenossenschaft n’a pas la qualité pour recourir.

Le tribunal administratif de St-Gall a ensuite reconnu à la Radgenossenschaft sa qualité pour recourir. Toutefois, il a confirmé l’avis selon lequel la décision de conseil municipal de Thal ne pouvait être contestée puisqu’il n’existait aucune voie de droit.

La Radgenossenschaft a ensuite saisi le Tribunal fédéral en invoquant la garantie de l’accès au juge prévue à l'article 29a de la Constitution fédérale et à l'article 6 de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (CERD).

Le Tribunal fédéral a rejeté le recours par un arrêt du 18 novembre 2022, au motif que la garantie des voies de droit n'était pas violée, notamment concernant la création d'une aire de transit provisoire.

La situation pour les Yéniches et Sinté·e·x·s concerné·e·x·s par ces décisions est donc très problématique, les membres de la communauté ne pouvant pas se défendre par voie juridique. La communauté a, certes, la possibilité de participer à des discussions politiques au niveau fédéral, cantonal ou communal. Elle n'a, cependant, aucun moyen de recours si une aire prévue ne voit pas le jour en raison d'une décision des autorités. Il s’agit donc, dans un premier temps, de créer un site provisoire, qui sera par la suite transformé en un projet à long terme grâce à diverses mesures d’aménagement. Un avis de droit réalisé sur mandat de la Commission fédérale contre le racisme (CFR) démontre également que le droit de l'aménagement du territoire ne prévoit pas de recours individuel pour les personnes concernées.

Le législateur suisse n'a pas su tenir compte des besoins particuliers des Yéniches et Sinté·e·x·s, ne leur ayant pas octroyé de voies de recours efficaces pour s’opposer aux mesures qui violent leurs droits humains et leurs libertés fondamentales, comme l’exige l’article 6 de la CERD.

Pour cette raison, la Radgenossenschaft der Landstrasse a décidé de faire valoir cette lacune en matière de protection juridique en déposant une plainte individuelle auprès du Comité de l'ONU contre la discrimination raciale. Cette voie de recours a été choisie en raison du refus des autorités, en partie de la commune de Thal, de garantir les droits d’un groupe pourtant protégé par la CERD. Par la même occasion, elle invite la Suisse à garantir des voies de recours efficaces.

Fin décembre 2022, le recours a été déposé. Plusieurs années peuvent s’écouler avant que le Comité de l’ONU ne rende sa décision finale.

contact

Marianne Aeberhard
Responsable Projet Accès à la justice / Directrice de l'association

marianne.aeberhard@humanrights.ch
031 302 01 61
Jours de présence au bureau: Lu/Ma/Me/Ve

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