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Impérialisme culturel et droits humains

17.01.2023

L’impérialisme culturel désigne, au sens large, la répression et la destruction de cultures par des États dominants à travers des moyens économiques, politiques ou militaires. Ce rapport de pouvoir peut se manifester sous de nombreuses formes: diffusion de la culture populaire dominante, création d’une dépendance économique, imposition d’un modèle politique ou encore de normes morales. Les droits humains et leur universalité sont également abordés dans le contexte de l'impérialisme culturel.

Regard postcolonial

La critique selon laquelle les droits humains constitueraient une forme d'impérialisme culturel est fortement liée à l'histoire coloniale européenne. Au début du 20e siècle, les colonies, protectorats et dépendances européens représentaient environ 85% du territoire mondial. Bien que les pillages, les génocides et la mise en place d'un commerce transnational d'esclaves aient accompagné cette domination, le colonialisme était alors présenté comme une «mission civilisatrice» dont il tirait sa justification.

Même si, à l'origine, les droits humains en Occident ont été conçus en réaction à des injustices réelles, la plupart des crimes contre l'humanité à cette époque ont été commis par des pays européens. Aujourd'hui encore, les conflits politiques, sociaux et culturels dans de nombreux pays à travers le monde résultent de l'héritage colonial. Le droit et la législation, en particulier l'universalisation du droit international, ont toujours servi d'outils de domination (post)coloniale. Enfin, la stratégie de légitimation du colonialisme – la représentation violente des populations d'Asie, d'Afrique et d'Amérique du Sud comme «différentes» et la fabrication d'un soi européen ou nord-américain supérieur – est encore aujourd'hui reproduite dans le débat sur les droits humains.

En matière de droits humains, la narration coloniale s'exprime p. ex. par des catégorisations, telles que les pays «développés» et ceux «sous-développés, ou encore le «Nord» et le «Sud». Hier comme aujourd'hui, les pays européens (et les États-Unis) invoquent les droits humains pour dénoncer la situation des pays d'Afrique, d'Asie et d'Amérique du Sud. Enfin, il est courant que des sociétés anciennement colonisées se voient privées de leurs droits par des projets politico-pédagogiques, ou que les États dominants assoient leurs intérêts de pouvoir en instrumentalisant les droits humains, p. ex. dans le cadre d'interventions humanitaires.

Le discours d'aide

Au premier abord, l'objectif des politiques occidentales en matière de droits humains, à savoir améliorer les conditions de vie de tous les êtres humains, paraît convaincant. Or, il se trouve que ce sont souvent les programmes de restructuration soutenus par le financement des pays occidentaux qui entraînent des violations des droits humains, comme le travail des enfants ou les salaires inférieurs aux seuils légaux.

En outre, des intérêts économiques et géopolitiques sous-tendent souvent les actions de solidarité et une vision eurocentriste de la justice mondiale. Un discours dominant en matière de droits humains est utilisé pour justifier les interventions dans les pays africains, asiatiques ou sud-américains. Dans ce contexte, les origines de la richesse européenne ne sont pas (uniquement) dues aux progrès et succès du mouvement européen des Lumières, mais reposent majoritairement sur le colonialisme. La «politique d'aide» européenne en matière de droits humains doit donc toujours refléter de manière critique le lien historique entre l'exploitation coloniale qui persiste encore aujourd'hui et les privilèges européens normalisés.

Diversité culturelle

Est-il possible de défendre l'universalité des droits humains sans faire preuve d'impérialisme culturel et sans dévaloriser la diversité culturelle? Et est-il possible de reconnaître la pluralité des cultures sans nuire aux normes internationales existantes en matière de droits humains ou sans y renoncer complètement?

La compatibilité de la diversité culturelle et des droits humains préoccupe les philosophes et les juristes depuis longtemps. Le fait que les États aient l’obligation de respecter leurs particularités culturelles dans l’application des droits humains est un principe reconnu depuis la Conférence mondiale sur les droits de l’homme de Vienne en 1993 déjà. Il existe en outre des conventions internationales protégeant les droits des minorités et différents systèmes régionaux de protection des droits humains qui visent également à aligner les valeurs et les pratiques locales sur la Déclaration universelle des droits de l'homme.

Malgré l'impossibilité de régler définitivement le conflit entre la volonté d'universalité des droits humains et la diversité culturelle, les exigences que la pluralité culturelle impose aux droits humains doivent être prises très au sérieux. En ce sens, l'universalité des droits humains dans le contexte de l'impérialisme culturel doit être remise en question de manière critique, et la réflexion sur le conflit avec le pluralisme culturel doit se faire dans le cadre d'un débat interculturel sur les droits humains. Cela implique également de se pencher sur le fait que les types de perception et les récits historiques dominants des droits humains sont aujourd'hui encore essentiellement occidentaux.

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