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Interventions humanitaires: des opérations militaires en défense des droits humains

21.09.2015

Les interventions humanitaires sont des formes de recours à la force armée très controversées, qui visent à arrêter et empêcher de graves violations des droits humains. Une intervention humanitaire a lieu lorsqu’un État, un groupe d’États ou une coalition internationale intervient militairement dans le territoire national ou dans l’espace aérien d’un pays étranger pour protéger les populations locales de graves atteintes aux droits humains.

Des actions militaires en défense des droits humains existent depuis la fin de la Guerre froide. Elles n’ont pourtant jamais manqué de susciter de fortes controverses tant au niveau théorique, qu’au niveau pratique.

Qu’est-ce qu’est une intervention humanitaire ?

La théorie de l’intervention humanitaire se fonde sur des précédents historiques et sur la théorie de la guerre juste. Elle se caractérise par les trois éléments suivants: (1) envoi de troupes dans un territoire étranger, (2) autorité du Conseil de sécurité des Nations Unies en matière de légitimation des opérations armées, (3) raison légitime des interventions, souvent aussi appelée «juste cause».

Envoi de troupes dans un territoire étranger

Normalement, l’envoi de troupes à l’étranger représente une violation du droit à l’autodétermination des peuples et, par conséquent, du principe de non-ingérence dans les affaires internes des États, définis à l'art. 2 par. 4 et 7 de la Charte des Nations Unies. De sa part, la théorie de l’intervention humanitaire invoque le Chap. VII de la Charte des Nations Unies, qui, en cas de menace ou rupture de la paix internationale, prévoit un ensemble de mesures ciblées d’intervention armée. Dans de telles circonstances, l’attaque militaire constitue toujours une «ultima ratio», possible seulement lorsque tous les efforts diplomatiques ont été épuisés.

Légitimation du Conseil de sécurité de l’ONU

L’opération militaire peut être menée par un État individuel, par un groupe d’États, ainsi que par une organisation internationale. En règle générale, il est considéré qu’il revient au Conseil de sécurité des Nations Unies, ayant la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationale, de se prononcer en dernière instance en faveur ou contre une intervention humanitaire. Cet aspect reste en tout cas très débattu. Dans la pratique, certaines interventions humanitaires furent menées sans la permission du Conseil de sécurité (voir par exemple l’attaque de l’OTAN au Kosovo).

Raison légitime

Toute intervention humanitaire se caractérise par la volonté de protéger la population d’un pays étranger de violations graves et systématiques des droits humains. D’après le Document final du Sommet mondial de 2005 rédigé par l’Assemblée générale des Nations Unies, en font notamment partie le génocide, les crimes de guerre, le nettoyage ethnique et les crimes contre l’humanité.

Conclusion partielle

Sur la base de ces trois éléments, il est possible de distinguer l’intervention humanitaire d’autres formes d’ingérence applicables en situations de conflit, telles que les mesures non violentes (pressions diplomatiques, sanctions économiques, aide humanitaire) ou les opérations de maintien et d’imposition de la paix des casques bleus de l’ONU. Les missions des casques bleus visent la résolution de conflits armés et non directement la protection contre de graves violations des droits humains.

Évolution historique de l’intervention humanitaire

Des exemples d’interventions militaires visant à défendre des populations étrangères de l’extermination existent, avant la lettre, depuis l’époque moderne. Le concept d’intervention humanitaire fut pourtant développé à la fin de la Guerre froide, lorsque l’antagonisme Est-Ouest commença à s’estomper et le Conseil de sécurité de l’ONU pouvait enfin poursuivre une politique active en matière de paix et sécurité internationale. Des exemples classiques d’interventions humanitaires, approuvées par le Conseil de sécurité de l’ONU, sont l’intervention en Iraq (1991), en Somalie (1992) et à Haïti (1994).

Ces opérations militaires furent justifiées sur la base de graves violations des droits humains, qualifiées de menaces à la paix internationale. Beaucoup de voix critiques s’élevèrent contre ces interventions, non seulement à cause de leur fondement légal douteux, mais aussi à cause de leur faible efficacité.

Encore plus controversée fut l’intervention de l’OTAN au Kosovo (1999), menée sans l’autorisation du Conseil de sécurité de l’ONU. Le génocide au Rwanda en 1994 représenta une sérieuse débâcle pour la stratégie de sécurité internationale de l’ONU. Malgré les mises en garde des casques bleus, qui étaient actifs au Rwanda depuis plusieurs années, le Conseil de sécurité des Nations Unies se refusa d’approuver une intervention humanitaire dans le pays.

Depuis le 11 septembre 2001, la communauté internationale donna une importance croissante aux opérations militaires de lutte antiterroriste. Les interventions humanitaires perdirent de leur importance et furent menées encore aux Îles Salomon (2003) et en Lybie (2011). Bien que l’Assemblée générale de l’ONU ait constaté des violations des droits humains graves et systématiques en Syrie depuis 2012, il n’existe toujours pas de consensus au sein du Conseil de sécurité pour une intervention humanitaire dans le pays.

La «Responsabilité de protéger»

Suite aux échecs des années 1990 en matière de sécurité internationale, surtout à Srebrenica et au Rwanda, l’ancien Secrétaire général des Nations Unies Kofi Annan, dans son rapport Nous les peuples, invita l’Assemblée générale de l’ONU à réfléchir sérieusement au sujet de la protection des droits humains au moyen de forces militaires.

En réponse à cet appel, une étude intitulée «Responsability to protect» a été publiée en 2001, commissionnée par le gouvernement canadien. L’étude avance l’idée d’une responsabilité de protéger propre à l’ensemble de la communauté internationale, intervenant lorsqu’un État n’a pas la capacité ou la volonté de protéger ses citoyens et citoyennes de graves violations des droits humains. Des conclusions similaires furent également formulées dans deux rapports de l’ONU, Un monde plus sûr et Dans une liberté plus grande, ainsi que dans le Document final du Sommet mondial de 2005 de l’Assemblée générale des Nations Unies. D’après cette résolution, lorsqu’un État n’est pas capable ou prêt à protéger sa population du génocide, de crimes de guerre, du nettoyage ethnique et de crimes contre l’humanité, la société internationale se doit d’assumer sa responsabilité de protéger et, conformément à la Charte des Nations Unies Chap. VII, d’intervenir en défense des droits humains par des moyens diplomatiques et, si nécessaire, militaires.

Suite à cette résolution de l’ONU en 2005, le concept de «Responsabilité de protéger» continua d’être perfectionné. Depuis 2008, il existe un Conseiller spécial de l’ONU pour la responsabilité de protéger, qui travaille de concert avec le Conseiller spécial de l’ONU pour la prévention du génocide. Aujourd’hui, nombre d’États et de spécialistes demandent d’établir une meilleure règlementation en matière d’interventions militaires en défense des droits humains. Sur le plan juridique, ils réclament un ensemble de dispositions internationales claires au sujet des interventions humanitaires et un renforcement du rôle du Conseil de sécurité de l’ONU en tant qu’autorité pouvant se prononcer en dernière instance sur la légitimité des actions militaires. Sur le plan pratique, plusieurs observateurs demandent une meilleure coordination entre les organisations régionales et internationales en matière de sécurité et de défense des droits humains.

Intervention et non-ingérence

Le concept d’intervention humanitaire est souvent objet de critiques et soulève de nombreuses controverses. Les objections les plus importantes contre les interventions humanitaires concernent notamment le problème du droit d’ingérence.

Le fondement légal des interventions humanitaires est à la base de nombreuses discussions. Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et le principe de non-ingérence dans les affaires internes des États comptent parmi les principes fondamentaux du droit international. Par conséquent, un certain nombre d’expert-e-s de droit international plaident pour une interdiction absolue de toute forme d’ingérence et insistent sur le fait que les interventions humanitaires représentent toujours une violation du droit international. Cependant, le Conseil de sécurité des Nations Unies a légitimé un certain nombre d’interventions humanitaires en s’appelant à la Charte des Nations Unies Chap. VII (voir plus haut).

Souveraineté des États et valeur universelle des droits humains

Chaque État souverain a droit à ce que les autres États ne s’immiscent pas dans ses affaires internes. En même temps, les citoyens et citoyennes de ces États sont détenteurs/détentrices de droits humains valables sur le plan international et ont droit de recevoir protection en cas d’atteinte à leurs droits fondamentaux. Ainsi, lorsqu’un État commet des violations graves des droits humains à l’égard de son propre peuple, la souveraineté étatique entre en collision avec la valeur universelle des droits humains.

Contre la théorie de l’intervention humanitaire il est aussi avancé que les opérations militaires en défense des droits humains sont souvent des instruments au service de l’impérialisme occidental. En effet, l’expérience pratique montre que le choix des pays occidentaux d’intervenir ou de ne pas intervenir militairement dans des pays étrangers dépend souvent aussi de considérations stratégiques, politiques et économiques.

Le dilemme moral

La théorie de l’intervention humanitaire soulève aussi un «dilemme moral». Toute opération militaire doit tenir en considération le risque de faire des victimes. La question se pose, alors, de savoir si, au nom de la protection des droits humains, il est possible de justifier des morts et des bléssé-e-s -vraisemblablement aussi parmi les personnes civiles non impliquées dans des opérations de guerre. Face à ce dilemme, la philosophie morale propose deux solutions bien distinctes. Une approche basée sur les principes généraux insiste sur l’interdiction absolue de tuer et définit illégitime toute forme de violence ainsi que toute opération militaire. Au contraire, une perspective basée sur les conséquences, part des effets positifs des interventions pour en arriver à justifier le coût humain de la guerre.

Existe-t-il des alternatives?

Les objections présentées ci-dessus témoignent de la difficulté de défendre les droits humains par des moyens militaires. Malgré les lacunes théoriques du concept d’intervention humanitaire, la majorité des expert-e-s de droit international reconnait que, dans beaucoup de situations conflictuelles, il existe très peu d’alternatives à l’intervention militaire. Une interdiction stricte de toute ingérence dans les affaires internes des pays étrangers aurait souvent pour conséquence l’impossibilité d’empêcher de graves violations des droits humains.

Il faut aussi rappeler qu’une réglementation claire des interventions humanitaires au niveau international est indispensable pour éviter à l’avenir des abus de la part des États les plus puissants.

Sources complémentaires