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Protection des réfugiés en Méditerrané

09.10.2012

La Cour européenne des droits de l’homme (CrEDH) a condamné l’Italie pour avoir refoulé des migrants en Méditerranée. Elle a jugé l’interception des bateaux et la reconduite des boat people en Libye contraires à la Convention Européenne des Droits de l’Homme (CEDH). La décision de la Grande chambre, prise à l’unanimité, devrait améliorer la protection des boat people en Méditerranée.

Jugement du 23 février 2012 (Requête no 27765/09)

Violation de l’art. 3 de la CEDH (interdiction des traitements inhumains ou dégradants), de l’art. 4 du protocole additionnel (interdiction des expulsions collectives d'étrangers) et de l’art. 13 de la CEDH (droit à un recours effectif).

Le jugement

La Cour affirme tout d’abord clairement que, même en haute mer, c’est-à-dire en dehors de ses eaux territoriales, l’Italie reste liée à la CEDH. Les réfugiés appréhendés et transférés sur les bateaux militaires italiens relevaient pleinement de la juridiction de l’État européen.

Rome, en renvoyant les réfugiés en Lybie, a violé l’article 3 de la CEDH (Interdiction de la torture et de traitement inhumains ou dégradants). Les autorités italiennes ont en effet livré des réfugiés aux autorités libyennes, même si elles savaient pertinemment que les migrants illégaux et les requérants d’asile étaient à l’époque systématiquement emprisonnés, sans examen, et détenus dans des conditions inhumaines. Autre violation de l’article 3 de la CEDH pour les juges européens : l’Italie ne s’est pas assurée que la Lybie respecterait l’accord de non refoulement et qu’elle ne renverrait pas les réfugiés dans leurs pays d’origine. L’Italie aurait dû s’engager sur ce point, surtout lorsqu’il s’agit d’un pays non signataire de la Convention relative au statut des réfugiés.

L’Italie a en outre violé l’interdiction des expulsions collectives (Article 4 du protocole additionnel), en ne vérifiant ni l’identité, ni les situations personnelles des réfugiés. Enfin, la CrEDH a estimé que le droit à un recours effectif (article 13 CEDH) avait été bafoué. Selon plusieurs témoignages, les appelants ne pouvaient pas faire valoir leurs droits sur l’embarcation militaire car ils n’étaient pas informés de ce qui allait se passer. Pire, on leur a laissé entendre qu’ils seraient emmenés en Italie. De plus, les appelants n’ont reçu aucune information leur permettant de savoir si ou comment ils pouvaient s’opposer à cette reconduite en Libye.

Contexte

Onze personnes venues de Somalie et treize d’Erythrée ont déposé plainte contre l’Italie. En 2009, elles étaient 200 au total à quitter la Lybie à bord de trois bateaux en direction de la péninsule. Le 6 mai 2009, les passagers des embarcations de fortune ont été interceptés à 35 miles au sud de Lampedusa par les gardes côtes italiens, puis embarqués sur des vaisseaux militaires italiens et reconduites à Tripoli. Là-bas, les migrants ont été livrés aux autorités libyennes, sans aucune information sur ce qui allait leur arriver. Leur identité n’avait pas non plus été contrôlée. En mai 2009 lors d’une conférence de presse, le ministre de l’Intérieur italien vantait la convention de retour signée avec la Lybie, prenant effet le 4 février 2004, comme une grande avancée dans la lutte contre l’immigration illégale. Le ministre de l’Intérieur italien déclarait le 26 février 2011 que l’accord était suspendu compte tenu des événements en Lybie.

Le lieu de résidence d’une partie des appelants est aujourd’hui inconnu des avocat-e-s, en raison de la révolution libyenne de février 2011. Mais deux plaignants ont perdu la vie dans des circonstances encore inconnues.

Une décision qui va dans la bonne direction

L’Institut allemand pour les droits humains a salué le jugement de la CrEDH, dans un communiqué de presse, le décrivant comme une décision allant dans le bon sens pour la protection des réfugiés en haute mer. La décision revêt une signification importante, parce qu’elle affirme clairement que les droits humains ne s’arrêtent pas aux frontières de l’UE, a estimé l’institut allemand. Les États ne peuvent pas renoncer à leurs devoirs en signant un accord bilatéral.

Sources