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Déclaration adoptée à Interlaken: vers une réforme de la CrEDH

19.02.2010

Les représentant-e-s des 47 Etats membres du Conseil de l'Europe ont adopté le 19 février 2010 une déclaration commune sur le futur de la Cour européenne des droits de l'homme (CrEDH). En tant qu'organisatrice, la Confédération s'est déclarée très satisfaite du résultat atteint. Parce qu'elle ne contient toutefois pas de plans concrets, la déclaration d'Interlaken doit plutôt être comprise comme une déclaration politique forte. Les Etats membres affirment leur volonté commune de pérenniser le bon fonctionnement de la CrEDH. Il est toutefois difficile à estimer si une telle déclaration est à même de mettre suffisamment sous pression les pays réticents comme la Russie. Il faut toutefois noter un changement de ton du côté de Moscou, qui a enfin ouvert la voie à une réforme de la CrEDH en ratifiant le protocole additionnel 14 en janvier 2010.

Feuille de route: programme de diète

De manière concrète, la déclaration d'Interlaken contient néanmoins un agenda ambitieux pour les prochaines années. Il est ainsi assuré que la réforme de la CrEDH restera un objet important pour le Comité des ministres. Avant fin 2010, les Etats membres sont ainsi appelés à montrer quelles mesures ils ont mis en place pour décharger la CrEDH. La déclaration prévoit à ce titre une plus grande collaboration entre le Comité des ministres et les Etats membres afin que des cas similaires à des affaires déjà traitées à Strasbourg ne viennent encore surcharger les juges. 

Malheureusement, la déclaration ne contient aucune indication relative à des moyens financiers supplémentaires. Au contraire, on répète même à l’envi que la Cour doit se réformer avec les moyens dont elle dispose pour l’heure. Une des revendications principales des ONG reste ainsi lettre morte. De plus, on peut regretter que la déclaration ne contienne pas de propositions concrètes quant aux mécanismes de filtrage des cas arrivant à Strasbourg. Les Etats membres n'ont pu se mettre d'accord sur des mécanismes complémentaires au protocole additionnel 14. La déclaration finale ne contient donc en substance qu’un appel aux ministres afin qu’ils examinent l’opportunité d’introduire des mécanismes complémentaires de filtrage. Ces propositions pourraient être discutées lors de la conférence des ministres prévue le 11 mai 2010, le dernier jour de la présidence suisse du Conseil de l’Europe.

La déclaration souligne la responsabilité des Etats, sans toutefois la concrétiser

En répétant le principe de subsidiarité, la déclaration rappelle que la responsabilité première se trouve chez les Etats membres. Ceux-ci doivent respecter les décisions de Strasbourg et mettre en œuvre les jugements passés. La déclaration ne cible pas directement certains mauvais élèves, ce qui aurait rendu diplomatiquement impossible l’adoption à l’unanimité du texte final. L’avenir dira si la déclaration d’Interlaken possède suffisamment de poids politique pour réformer les pratiques des pays récalcitrants, comme la Russie, la Turquie, la Roumanie ou l’Ukraine, qui portent une lourde part de responsabilité dans la surcharge chronique de la CrEDH.

Documentation

Les chiffres de la surcharge

Ce sont quotidiennement 1500 courriers, emails ou fax qui arrivent sur les bureaux de la CrEDH. Tous contiennent des plaintes de personnes se plaignant des traitements que leur réservent les administrations ou les tribunaux nationaux.  Comme le rapporte un article du Basler Zeitung du 19 février, quelque 90% de ces plaintes sont jugées irrecevables, tandis que presque 50% reprennent l’essentiel de jugements déjà rendus (par ex. conditions de détention). En début d’année, près de 120'000 cas étaient encore pendants. 33'500 proviennent de Russie (surtout à cause du conflit en Tchétchénie), 13'100 de Turquie, et 20'000 d’Ukraine et de Roumanie. La Suisse compte quant à elle 417 cas encore pendants. Les 47 juges ont traité l’année passée quelque 30'000 plaintes, tandis que 57'000 nouvelles arrivaient à Strasbourg.

L'avant Interlaken: un appel international des ONG

Du point de vue des ONG, il est clair que les efforts internationaux de réforme de la Cour ne seront crédibles que dans la mesure où les États membres du Conseil de l'Europe se montrent prêts à augmenter substantiellement le budget de la Cour. En revanche, il est inacceptable que le droit à la plainte individuelle soit limité par de nouvelles restrictions, et certainement pas par l'introduction de nouvelles taxes, par le recours obligatoire à un avocat, ou par une surcharge des coûts dus à des traductions additionnelles. De cette façon, une discrimination institutionnelle des personnes socialement défavorisées serait introduite lors de l'accès à la Cour, ce qui serait en contradiction interne avec l'institution dans son ensemble.

Un coalition internationale d'ONG a lancé, en décembre 2009, une prise de position qui rejoint ces inquiétudes quant aux efforts de réforme de la Cour. Les messages-clé de cette déclaration sont d'une part que les 47 États membres du Conseil de l'Europe doivent renforcer leur volonté politique de garantir la mise en oeuvre de la Convention européenne des droits de l'homme au sein même des États, et, d'autre part, que toute restriction additionnelle des droits de communication individuelle envers la Cour de Strasbourg ne peut être acceptable.

Toute ONG issue d'un pays membre du Conseil de l'Europe a la possibilité de signer cet appel. Comme de nombreuses autres organisations, Humanrights.ch l'a déjà signé. La liste d'ONG signataires sera jointe à la lettre présentée à la Présidente de la Conférence d'Interlaken, la conseillère fédérale Micheline Calmy-Rey.

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