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Examen périodique universel: la Suisse reçoit 251 recommandations

16.11.2017

Le 9 novembre 2017, la Suisse s’est soumise pour la troisième fois à l’Examen périodique universel (EPU) devant le Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Elle s’était également soumise à l’exercice en 2008 et en 2012. Cette fois-ci, pas moins de 111 Etats ont formulé 251 recommandations visant à améliorier la situation des droits humains en Suisse.

Intenses préparatifs

La Suisse s’est activement préparée à cet examen. Elle a ainsi transmis son rapport officiel à l’ONU durant l’été 2017. La Plateforme droits humains des ONG a aussi participé à cette procédure de préparation dans la mesure où elle a transmis un rapport plus critique ainsi que différentes recommandations. L’ONU a ensuite mis cette documentation à la disposition des différents Etats amenés à participer à l’EPU.

Le Conseil des droits de l’homme examine

Le 9 novembre 2017, les Etats ont émis quelque 251 recommandations dans le cadre de la session du groupe de travail pour l’EPU du Conseil des droits de l’homme. Globalement, la Suisse a été largement félicitée pour le niveau relativement haut des standards qui prévalent sur son territoire en matière de droits humains. Elle a aussi reçu de nombreuses louanges pour son engagement pour les droits humains au sein de l’ONU et plus particulièrement du Conseil des droits de l’homme. La délégation a présenté sous toutes les coutures sa vision de la situation des droits humains en Suisse dans différents domaines. L’absence pour la première fois d’un Conseiller fédéral pour mener la délégation a été remarquée. C’est Pascale Baeriswyl, secrétaire d’Etat au DFAE, qui a pris la tête de la délégation. Elle a évoqué l’intense collaboration avec les cantons et la société civile, relevant par ailleurs que l’EPU constitue une occasion de dresser un état des lieux et contribue dans le même temps au débat national sur les droits humains.

Voici les différents domaines pour lesquels plusieurs recommandations ont été formulées:

  • la création d’une Institution nationale des droits humains,
  • l’amélioration de la protection contre la discrimination, en particulier en matière de racisme et pour les personnes LGBT et les personnes présentant un handicap,
  • l’égalité des genres, notemment au regard de l’égalité salariale et de la représentation des femmes dans les structures politiques et dans l’économie,
  • la prévention de la violence domestique,
  • l’amélioriation de la situation juridique des personnes migrantes, réfugiées ou qui demandent l’asile, en particulier les mineur-e-s, les apatrides et les sans-papiers,
  • la responsabilité des entreprises suisses à l’étranger en matière de droits humains,
  • l’augmentation des moyens alloués à l’aide au développement,
  • la compatibilité des initiatives avec les obligations internationales de la Suisse,
  • la ratification des conventions des droits humains ainsi que des protocoles additionnels auxquels la Suisse n’a pas encore adhéré.

Le 13 novembre, le groupe de travail du Conseil des droits de l’homme a publié son projet de rapport sur l’examen de la Suisse qui a eu lieu le 9 novembre. Il contient trois catégories, à savoir les recommandations que la Suisse accepte («support», voir recommandations 6.1 et suivantes), celles qu’elle souhaite laisser ouvertes jusqu’en mars 2018 afin de consulter les services fédéraux concernés et les cantons avant de donner sa réponse («will be examined», voir recommandation 7.1 et suivantes), et celles qu’elle rejette («noted», voir recommandations 8.1 et suivantes).

Déchiffrage des recommandations

Le nombre de recommandations formulées est exceptionnellement haut pour la Suisse. Cela tient aussi au fait que le nombre d’Etats qui ont pris partie à l’examen est plus grand qu’habituellement. En matière de droits humains, la Suisse se trouve en effet sur les devants de la scène, car elle s’y place elle-même. Cela crée donc des attentes de la communauté internationale à son encontre en matière de cohérence entre politique intérieure et politique extérieure.

Bon dans l’ensemble

Près d’un tiers des points relevés par la Plateforme droits humains des ONG dans le rapport alternatif réapparaissent d’une façon ou d’une autre dans les recommandations faites à la Suisse, ce qui donne une vision d’ensemble très positive. Celles-ci peuvent être un instrument d’importance pour les organisations des droits humains et pour le milieu politique afin d’améliorer la situation en Suisse.

Ceci dit, toutes les lacunes du système n’ont pas été évoquées. Ainsi, l’application que fait la Suisse de l’accord Dublin en matière de renvoi des requérant-e-s d’asile n’a pas été mentionnée malgré son caractère hautement problématique. De même, aucune recommandation ne concerne la protection de la sphère privée en rapport avec le Big data.

Recommandations acceptées

La Suisse a accepté d’emblée 121 recommandations, ce qui représente 48 % des recommandations formulées. C’est très bon signe si l’on songe au fait qu'elle n'en avait accepté que 35% lors de son dernier examen en 2012. Il est très positif que le gouvernement ait d’ores et déjà accepté plusieurs recommandations qui touchent la coordination structurelle au sein de l’administration fédérale, avec les cantons et la société civile, pour le suivi et la mise en oeuvre des recommandations formulées lors de l’EPU.

Un grand nombre de recommandations concernent la création d’une Institution nationale indépendante des droits humains et la consultation sur l’avant-projet de loi en la matière qui vient de se terminer. Particulièrement frileuse, la Suisse n’a d’ailleurs accepté que les recommandations qui n’exigeaient pas de façon catégorique l’application des Principes de Paris.

L’acceptation de recommandations concernant la violence policière est elle aussi à saluer. Celles-ci demandent explicitement la mise en place d’un mécanisme de recours indépendant en cas d’allégations de violences policières ainsi qu’un mécanisme d’enquête impartial. La Suisse a également fait bon accueil aux recommandations contre la surpopulation carcérale, celles concernant l’interdiction des châtiments corporels ou les risques en matière de droits humains lors des renvois de requérant-e-s d’asile débouté-e-s; sans oublier celles demandant de garantir les droits des enfants handicapés et des populations yéniches, sinti et roms.

Temps de réflexion

Pour 63 recommandations, la Suisse a demandé un délai avant de décider, le cas échéant, de les accepter ou de les refuser. Le gouvernement a jusqu’à mars 2018 pour prendre sa décision sur la base d’une consultation auprès des cantons, de l’administration fédérale et de la société civile. La question de la ratification du Protocole facultatif à la Convention pour les personnes handicapées, qui introduit un droit de recours individuel ou encore la ratification du traité sur l’interdiction de l’arme nucléaire comptent parmi les points capitaux.

Malheureusement, les recommandations demandant des modifications législatives ou d’autres mesures en vue d’améliorer la protection contre la discrimination basée sur le genre sont pour l’instant stockées dans ces limbes décisionnelles. Idem pour l’abolition de la détention administrative des mineur-e-s et leur séparation des adultes en détention. Les recommandations concernant l’égalité des genres dans l’agenda 2030 en lien avec un plan d’action national ou l’élaboration d’un budget sensible au genre n’ont, elles non plus, pas encore été acceptées. Tout comme les demandes touchant la question des mineur-e-s non-accompagné-e-s et l’élaboration de standards minimaux dans les centres d’enregistrement.  

Dans les limbes aussi les nombreuses recommandations sur les multinationales responsables et les droits humains et notamment celles qui demandent à la Suisse de poursuivre ses efforts pour des mécanismes globaux, efficaces et juridiquement contraignants afin d’empêcher les les effets négatifs sur les droits humains à l’étranger  d’activités menées par des entreprises suisses.

Recommandations rejetées

La Suisse a refusé sur le champ 67 recommandations. Le refus des demandes de ratifications de conventions des droits humains est particulièrement regrettable, et ceci d’autant plus en matière de cohérence de la politique des droits humains du pays. Cela concerne les Protocoles facultatifs des Pactes I et II de l’ONU, ainsi que la Convention 169 de l’OIT, la Convention relative à la réduction des cas d’apatridie ou encore les réserves posées à la Convention relative aux droits de l’enfant.

Il est tout aussi incompréhensible que la Suisse ait d'emblée rejeté l’inscription explicite de l’interdiction de la torture dans le code pénal. Les recommandations demandant une législation cadre contre la discrimination n’ont pas eu plus de chance. Pourtant, plusieurs expertises ont démontré qu’il y avait de nombreuses lacunes dans ce domaine en Suisse.

Sur toutes ces questions, la Suisse reste extrêmement réticente. Elle ne veut en aucun cas voir des organes internationaux s'immiscer dans le débat national. Ce faisant, le Conseil fédéral et l’administration renoncent cependant aussi à l’opportunité de remettre sur le métier d’importantes questions en profitant de l’EPU. Ils montreraient pourtant ainsi leur engagement et prendraient en même temps leur responsabilité vis-à-vis du Parlement. En refusant directement ces recommandations, la Suisse stope tout débat de société sur des points essentiels, alors que c’est pourtant là une des opportunité qu’offre l’EPU, comme l’a justement rappelé la secrétaire d’Etat Baeriswyl.

Et maintenant?

La Suisse prendra définititivement position lors de la session du Conseil des droits de l’homme de mars 2018. En attendant la décision des sept sur les recommandations en discussion, les cantons comme les ONG seront mis à contribution afin d’amener leur point de vue dans le débat. Au cours de l'année 2018, la Plateforme droits humains des ONG publiera une analyse approfondie des 251 recommandations émises.

Après mars 2018, le temps sera à la mise en oeuvre des recommandations acceptées. La Plateforme droits humains des ONG fera alors une déclaration sur la méthode de mise-en-oeuvre adoptée ainsi que sur les contenus prioritaires.

Revue de presse