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Caméra cachée – un petit pas pour Strasbourg, un grand pas pour la liberté de la presse

24.02.2015

Article rédigé par Nesa Zimmermann
Dialogue CEDH

La Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg (CrEDH) vient de rendre son arrêt dans l’affaire «Kassensturz», impliquant quatre journalistes de la télévision suisse alémanique ayant utilisé des caméras cachées dans le cadre d’une enquête journalistique. Selon Strasbourg, les tribunaux suisses avaient à tort condamné les journalistes. Contrairement au Tribunal fédéral, la Cour est de l’avis que les interviews en caméra cachée de courtiers d’assurances étaient protégées par la liberté de la presse (art. 10 CEDH).

Une jurisprudence cohérente

L’arrêt de la Cour est en accord avec la jurisprudence constante soulignant l’importance de la liberté d’opinion (art. 10 CEDH). Celle-ci est en effet vue comme pierre angulaire de toute société démocratique. Dans ce cadre, la Cour a fréquemment mis en avant le rôle de la presse comme «chien de garde» et informatrice du public. Elle fait de même dans le présent arrêt. Ce n’est toutefois pas sans réserves: ainsi, la Cour insiste sur le fait que cette fonction importante est assortie de responsabilités, et que la «presse ne doit pas franchir certaines limites, concernant notamment la protection de la réputation». Elle soulève également que la protection de la vie privée est également un droit protégé par la Convention. Après une analyse détaillée et convaincante, elle arrive toutefois à la conclusion que les journalistes ont ménagé un juste équilibre entre les deux valeurs protégées. Ainsi, la Cour a accordé une grande importance aux mesures prises par l’émission afin de protéger la sphère privée des courtiers, notamment la dissimulation des voix et des visages.

Raisonnement du Tribunal fédéral en 2008

C’est en ce dernier point que l’analyse de la Cour diffère de celle faite en 2008 par le Tribunal fédéral. Ce dernier avait considéré que les journalistes auraient dû choisir d’autres moyens à la place de la retransmission des interviews, comme des descriptions ou comptes-rendus.

L’article 179 du Code pénal et suivant interdit en effet de rendre publiques des discussions privées sans l’accord de tous les participants. La jurisprudence reconnaît cependant des exceptions. Il faut notamment pour cela que la publication soit justifiée par un intérêt public d’importance. C’était évidemment le cas ici, puisque la transmission, équivalent de «A bon entendeur» en Suisse romande avait pour objectif d’informer le public des pratiques de vente douteuses en matière d’assurance. L’arrêt du Tribunal fédéral avait été fortement critiqué tant par des experts que par des représentants de la presse.

Un arrêt à saluer

L’arrêt rendu aujourd’hui se situe dans le prolongement de la jurisprudence constante au sujet de la liberté de la presse et n’a donc rien de très surprenant. On peut toutefois noter que si la Cour a rendu un nombre important d’arrêts concernant la protection des sources journalistiques, les affaires concernant des enregistrements cachés sont rares, ce qui renforce la portée du présent arrêt. En Suisse, l’arrêt fait écho aux critiques qui considèrent que la jurisprudence restrictive du Tribunal fédéral en ce qui concerne la caméra cachée est en décalage avec la réalité du paysage médiatique moderne. Par ailleurs, l’arrêt est important en ce qu’il souligne, une fois de plus, le rôle crucial que les médias ont à jouer dans une démocratie moderne, mais aussi la responsabilité et les devoirs déontologiques qui vont de pair avec cette fonction-clé. Une victoire donc pour la liberté de la presse, mais aussi un rappel que celle-ci doit être exercée avec diligence et respect.

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