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L'ALE avec la Chine entre en force sans considération pour les droits humains

02.07.2014

L'Accord de libre-échange (ALE) entre la Suisse et la Chine est entré en vigueur le 1er juillet 2014. Il a été adopté par le Parlement sans présenter aucune garantie en matière de droits humains ou de droit du travail.  Rien ne garantit aujourd'hui que des biens réalisés grâce au travail forcé n'arrivent sur le marché suisse en profitant d'un accès facilité.

Cet ALE a été combattu sans succès par la société civile suisse. Au Parlement, toutes les propositions de renvoi ont été balayées, tout comme l'affirmation selon laquelle l'ALE devait être soumis au référendum facultatif. Au moment du vote final, seuls trois parlementaires ont voté contre le projet, adopté par 25 oui et avec 11 abstentions. Etant donné la situation juridique, l'on aurait pourtant attendu que le Conseil des Etats renvoie l'objet au National et ouvre pour le moins la voie au référendum. Ceci aurait été d'autant plus pertinent que les sondages ont montré que 75% des Suisses veulent que les droits humains soient mieux pris en compte dans les Accords de libre échange négocié par la Confédération.

Nouvelle Expertise juridique pour le referendum facultatif

Dans l’expertise juridique qu’il a publiée en février 2014, le spécialiste en droit international de l’Université de Zurich, Oliver Diggelmann, amène une nouvelle pierre au débat. D’après lui, et contrairement à ce qu’affirment le Conseil fédéral et le Conseil national, l’ALE avec la Chine doit obligatoirement être soumis au référendum facultatif. En effet, l’accord est le sujet d’une controverse politique et contient, du fait de son incidence économique, des dispositions fixant des règles de droit dont on peut tout à fait dire qu’elles sont «importantes». L’article 141 al.1 let.d ch.3 de la Constitution fédérale pose ce dernier point en exigence pour la soumission au protocole facultatif.
Étant donné la situation juridique, on peut s’attendre à ce que le Conseil des États fasse machine arrière par rapport au National et ouvre pour le moins la voie au référendum facultatif. D’après un sondage représentatif, 75% de la population suisse veulent que les droits humains soient mieux pris en compte dans les accords de libre-échange.

Une majorité du National contre les droits humains

Le 9 décembre 2013, veille de la journée des droits humains, le Conseil national a accepté à une écrasante majorité un Accord de libre-échange (ALE) avec la Chine où les droits humains ne sont absolument pas évoqués. La proposition de la gauche de mettre en place un protocole additionnel pour les droits humains était condamnée d’avance. En effet la droite et le centre ont soutenu en masse une adoption telle quelle de l’ALE.

«La Suisse a une fois de plus sacrifié les droits fondamentaux sur l’autel des intérêts économiques à court terme, reniant au passage sa tradition humanitaire», souligne la Plateforme chine dans son communiqué de presse du 10 décembre 2013. 

Lors des débats au National, les platitudes sont sont succédées. Le Conseiller fédéral Schneider Amman s’est montré particulièrement brillant dans cet exercice, louant de façon quasi cynique les bienfaits de cet ALE au service de l’égoïsme économique suisse devant une chambre basse qui n’attendait que cela. 

Et pourtant,  63 parlementaires parmi ceux qui ont voté pour cet accord avaient affirmé, en 2011 avant leur élection, vouloir donner plus d'importance au respect des droits humains dans le cadre des accords de libre-échange. Voici une belle incohérence.

Dans ce contexte, il n’y a pas à s’étonner que le 10 décembre,  les parlementaires du Conseil national aient également balayé la proposition de soumettre l’ALE avec la Chine au référendum facultatif.

La société civile challenge le Parlement

Le 1er décembre 2013, la plateforme Chine, une organisation regroupant de nombreuses organisations de la société civile suisse, avait lancé une campagne qui met les conseillers nationaux face à eux-même. Elle leur rappellait en effet, ainsi qu'à leurs élécteurs, que 72 pour cent d'entre eux ont promis lors des élections de 2011 de s’engager pour un meilleur respect des droits humains dans le cadre des accords de libre-échange.

Recul de politique

Depuis 2009, la Suisse n’a pas ratifié d’ALE sans que ceux-ci ne mentionnent le respect des droits humains. En ce sens, l’accord avec la Chine marque une régression notable de la pratique suisse en la matière. La Déclaration de Berne, associée aux autres organisations de la «Plateforme Chine», a maintes fois réclamé que l’ALE CH-Chine contienne des dispositions persuasives et contraignantes de protection des droits humains. Il faut pour cela une convention commune d’objectifs, des mécanismes de suivi et des possibilités de sanction. Tous des éléments qui manquent dans l’ALE signé par la Suisse et la Chine, comme le souligne l’analyse détaillée de la «Plateforme Chine». Les droits humains ne sont même pas cités dans le préambule, non contraignant sur le plan juridique. L’accord fait également l’impasse sur la question des droits des minorités, pourtant particulièrement pertinente dans le contexte chinois. Négocier avec la Chine a-t-il fait perdre au Conseil fédéral la boussole des droits humains?

La question se pose d’autant plus que tous les accords de libre-échange récemment négociés par la Suisse soulignent l’importance des droits humains et de la Déclaration universelle des droits de l’homme, que ce soit avec la Colombie, l’Ukraine ou encore Hong Kong. Il est incompréhensible et inacceptable que la Confédération n’agisse pas de même avec un État qui est notoirement connu pour les nombreuses et graves violations des droits humains dont il est responsable.

Des règles pour une juste concurrence

L’ALE est censé mettre en place une régulation contraignante du commerce entre la Chine et la Suisse. Le respect des standards minimums fixés par le droit international du travail en fait sans nul doute partie, notamment les conventions fondamentales de l’Organisation internationale du travail (OIT). C’est en tous cas bien ainsi que l’a également interprété la Commission de politique extérieure du Conseil national. Avant le début des négociations, elle a en effet exigé du Conseil fédéral qu’il inclue dans l’accord un chapitre portant spécifiquement sur «le respect par les deux parties des normes fondamentales en matière de droit du travail».

Il serait pourtant vain de chercher une quelconque disposition contraignante en matière de respect du droit du travail dans l’ALE Suisse-Chine: il n’y en a pas. La Chine n’a ratifié que quatre des huit conventions fondamentales de l’OIT, parmi lesquelles celles concernant la liberté syndicale et l’éradication du travail forcé. La Chine bénéficiera d’un gros avantage en termes de concurrence et ses produits profiteront en plus sur le marché suisse d’un traitement préférentiel grâce à l’ALE. Et ce, même s’ils sont issus du travail forcé ou d’autres violations des standards minimums en matière de droit du travail. C’est pour le moins choquant.

Le fait d’avoir écarté la question des conditions de travail dans un accord sans lien avec l’ALE cimente d’autant plus la séparation entre le libre-échange d’un côté et les droits humains et du travail de l’autre. Il est pourtant impératif que l’accord appendice soit soumis au mécanisme d’arbitrage et de surveillance de l’ALE. C’est le seul moyen de garantir des sanctions en cas de manquements.

Cohérence mise à rude épreuve

Dans sa politique extérieure, le Conseil fédéral se concentre particulièrement sur les droits humains, notamment sur l’éradication de la peine de mort, la protection de certains groupes vulnérables et celle des défendeurs et défenseuses des droits humains. Trois domaines dans lesquels la Chine a de graves violations à se reprocher. Accorder un traitement préférentiel à la Chine sans contrepartie en matière de droits du travail et de droits humains est alors un signe éclatant d’incohérence politique. De même que le recul que représente l’ALE avec la Chine par rapport aux autres accords négociés par la Suisse dernièrement. Ces contradictions nuisent à la réputation de la Suisse en tant qu’État porteur d’une politique des droits humains cohérente sur le plan multilatéral. Après cela, la Chine ne manquera pas de se référer à son ALE avec Suisse pour nier toutes exigences en matière de droits humains à ses futurs partenaires commerciaux.

Pour un accord libre-échange conforme aux droits humains

La Déclaration de Berne ainsi que les organisations partenaires demandent au parlement de ne pas ratifier l’accord dans sa forme actuelle. L’ALE doit être renvoyé au Conseil fédéral avec mandat pour celui-ci d’ouvrir une nouvelle négociation. Objectif: négocier un accord qui n’aille pas en dessous des standards fixés dans les ALE ratifiés par la Suisse ces dernières années. Comme dans tous les ALE négociés depuis 2009, il faut donc impérativement que les droits humains et les normes fondamentales de l’OIT soient mentionnés dans le préambule de l’accord avec la Chine.

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