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Des habitant·e·x·s de l’île de Pari contre Holcim

27.09.2023

En janvier 2023, une plainte a été déposée devant le tribunal cantonal de Zoug contre le cimentier Holcim. La partie demanderesse est constituée de quatre habitant·e·x·s de l’île indonésienne de Pari, qui se trouve au nord-ouest de Jakarta, la capitale. À la suite de l’affaire Lliuya c. RWE, les recourant·e·x·s avancent que les inondations causées par le changement climatique menacent leur cadre de vie et demandent à ce que Holcim participe à l’indemnisation financière d’une partie des dommages causés par le changement climatique sur l’île. Cette affaire est une première: une entreprise devra répondre pour la première fois en Suisse de sa responsabilité dans le changement climatique.

Les changements de nature différente qui surviennent sur Terre sont dus au changement climatique. L’élévation du niveau des océans et l’augmentation de la fréquence des tempêtes en font partie. Ces deux phénomènes combinés sont dès aujourd’hui problématiques pour les habitant·e·x·s d’îles proches du niveau de la mer, puisque les inondations s’y multiplient et peuvent causer de graves dégâts. C’est le cas de Pulau Pari en Indonésie: l’île a en effet déjà perdu 11 % de sa surface du fait de la montée des eaux et de l’érosion des côtes. Au cours des dernières années, des tempêtes l’ont en outre régulièrement inondée, ce qui a également causé des pertes de revenus pour ses habitant·e·x·s, qui ont donc été inévitablement contraint·e·x·s d’entreprendre des constructions pour se protéger de nouvelles inondations.

La responsabilité du changement climatique n’est pas celle des populations comme celle de Pulau Pari, mais principalement celle des grandes entreprises du Nord mondial, dont celles qui exploitent les matières premières, telles que Holcim. Outre le fait que le secteur du ciment émet actuellement plus de CO2 que l’aviation par exemple, Holcim est à elle seule responsable de 0,42 % des émissions mondiales de CO2 depuis le début de l’ère industrielle. En comparaison, sur la même période, la Suisse a émis moins de la moitié de gaz à effet de serre. De plus, la politique de l’entreprise est loin d’être suffisante pour remplir les objectifs fixés par l’Accord de Paris afin de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C. C’est pourquoi les habitant·e·x·s de l’île demandent à Holcim d’assumer sa part de responsabilité.

En juillet 2022, les quatre recourant·e·x·s ont introduit une action en justice contre Holcim, au nom de l’île et avec le soutien de l’association EPER, de l’organisation environnementale indonésienne Walhi et du Centre européen pour les droits constitutionnels et humains (ECCHR). La première étape du parcours judiciaire a été une procédure de conciliation devant le juge de paix de Zoug. Les recourant·e·x·s ont premièrement demandé à Holcim une réparation proportionnelle aux dommages causés par les inondations. Deuxièmement, de réduire ses émissions de CO2 de 43 % d’ici à 2030 et de 69 % avant 2040 par rapport à l’année 2019. Ces réductions sont supérieures à celles que Holcim s’est fixée dans sa stratégie climatique. Troisièmement, les recourant·e·x·s ont demandé que l’entreprise participe au financement des infrastructures visant à adapter l’île au changement climatique. La partie demanderesse fait valoir une violation de son droit à la personnalité, telle que définie par les articles 28 ss. (Actions possibles contre des atteintes à la personnalité) du Code civil suisse (CC). La montée du niveau de la mer et les inondations de plus en plus fréquentes et importantes sur l’île ont porté atteinte aux droits à la vie, à l’intégrité physique et au développement économique des habitant·e·x·s. Ces demandes en réparation des dommages et du tort moral se fondent sur l’article 41 (réparation des dommages causés de manière illicite) du droit des obligations (CO).

En octobre 2022, il est annoncé que la procédure de conciliation n’a pas conduit à un accord. La somme totale demandée à Holcim par les recourant·e·x·s, qui s’élevait à 14 700 CHF, comprenait les réparations pour les dommages passés et futurs, pour les mesures de protection de l’île contre les inondations, ainsi qu’une réparation de 1000 CHF par membre de la partie demanderesse. Le cimentier n’a pas voulu verser cette somme et a rejeté les demandes. Cet échec quant à un accord s’explique probablement aussi par le fait que celui-ciaurait pu entraîner une avalanche de plaintes si Holcim avait reconnu sa responsabilité. La partie demanderesse avait trois mois pour entreprendre une procédure civile.

Le 30 janvier 2023, les quatre habitant·e·x·s de Pulau Pari ont déposé plainte contre Holcim au tribunal cantonal de Zoug. La violation de leur personnalité liée aux émissions de CO2 trop élevées de l’entreprise est de nouveau mise en avant. Comme l’explique Nina Burri, qui accompagne la démarche juridique pour l’EPER, dans une telle affaire qui créera un précédent, la procédure sera sans doute longue. Holcim continue de rejeter ces demandes en affirmant que la protection du climat est l’une de ses priorités les plus importantes et qu’elle se trouve au coeur de sa stratégie de développement. L’entreprise ajoute que les poursuites en justice qui ciblent individuellement des entreprises ne sont pas un mécanisme efficace pour se saisir de l’étendue mondiale de la complexité des questions climatiques.

humanrights.ch suit cette affaire stratégique: la décision qui sera prise en Suisse aura un écho international. Par ailleurs, tant les causes que les conséquences du changement climatique sont à envisager à l’échelle mondial; cela signifie que les émissions de gaz à effet de serre d’une entreprise suisse peuvent en partie avoir des conséquences concrètes sur l’île de Pulau Pari. Dans cette affaire, il s’agit de reconnaître ce lien et de créer un précédent.

contact

Marianne Aeberhard
Responsable Projet Accès à la justice / Directrice de l'association

marianne.aeberhard@humanrights.ch
031 302 01 61
Jours de présence au bureau: Lu/Ma/Me/Ve

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