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Rente de veuf discriminatoire

La rente de veuf suisse est discriminatoire

31.08.2023

Après dix ans de querelles juridiques, le veuf Max Beeler obtient enfin justice. La Cour européenne des droits de l'homme (CrEDH) a déclaré discriminatoire l’inégalité de traitement que subissent les veufs suisses par rapport aux veuves.

Max Beeler a 41 ans lorsque sa femme décède lors d’un accident. Il devient alors le seul responsable de l'éducation de ses deux filles alors jeunes. Afin de s’occuper d’elles, il quitte son emploi dans une agence d'assurances. Avec l'adoption de la 10ème révision de l'AVS en 1997, le peuple suisse a accepté d’octroyer un droit à une rente de survivant·e tant aux veuves qu’aux veufs. Cette avancée a permis à ce père célibataire de se consacrer entièrement à l'éducation de ses filles sans connaître de difficultés financières.

La situation de Max Beeler change brusquement lorsque sa fille cadette atteint l’âge de 18 ans. La caisse cantonale de compensation l’informe que son droit à une rente de veuf s’est éteint en raison du passage à la majorité de celle-ci. Max Beeler est pris au dépourvu, pensant que le droit à recevoir une rente en tant que veuf aurait été maintenu. À 57 ans, après une longue période sans expérience professionnelle, ses perspectives sur le marché du travail ne sont pas réjouissantes. En 2006 déjà, le veuf avait tenté de soulever la question de l’inégalité de traitement dans le cadre de la 11ème révision de l'AVS, mais à Berne, les parlementaires n’avaient pas donné suite à sa pétition.

Le veuf se sent injustement traité en recevant l’ordonnance de la caisse de compensation et fait opposition, sans succès. En 2011, il dépose un recours auprès du Tribunal cantonal d'Appenzell Rhodes-Extérieures. Il affirme que l’extinction de la rente de veuf ne respecte pas le principe de l’égalité entre les hommes et les femmes (art. 8 al. 3 Cst.). Le Tribunal cantonal rejette le recours.

Max Beeler interjette alors un recours au Tribunal fédéral. En 2011, le Tribunal reconnaît une inégalité de traitement juridique entre les veufs et les veuves. L’inégalité de traitement étant cependant prévue par le législateur, c’est-à-dire le Parlement, le Tribunal fédéral ne bénéficie pas de la compétence pour changer la disposition. La disposition discriminatoire continue donc d’être appliquée. Le veuf rédige seul un recours auprès de la Cour européenne des droits de l'homme en 2012, se plaignant d’une violation du droit au respect de la vie privée et familiale (art. 8 CEDH). Huit ans plus tard, le panel de juges donne raison à Max Beeler: la situation discriminait bel et bien les hommes et ne pouvait être justifiée.

La Suisse demande donc à la Cour européenne des droits de l'homme de renvoyer l'affaire devant la Grande Chambre. Le 11 octobre 2022, les juges qui la composent confirment par 12 voix contre 5 le jugement précédent selon lequel la législation prévoyant la suppression de la rente de veuf des hommes, à la majorité de leur dernier enfant, est discriminatoire. La Suisse doit maintenant non seulement verser au requérant une réparation pour dommage moral et frais et dépens, mais aussi adapter les dipositions légales de l'AVS. Ce cas montre ainsi une fois de plus que les litiges stratégiques peuvent engendrer des changements de pratique juridique en Suisse permettant de protéger les droits fondamentaux et humains.

À la suite de l'arrêt prononcé par la Cour européenne des droits de l'homme, l'Office fédéral des assurances sociales (OFAS) publie un bulletin faisant état du régime transitoire en matière de rentes de veufs. Il précise qu'à partir du 11 octobre 2022, la rente de veuf ne prendra plus fin lorsque le dernier enfant atteint l'âge de 18 ans révolus, et que celle-ci continuera à être versée sans limite dans le temps, aux mêmes conditions que pour les veuves. Toutefois, la nouvelle disposition ne s'applique pas de manière rétroactive: les veufs n’ayant pas contesté l’extinction de la rente et dont les enfants sont déjà majeurs ne pourront pas percevoir cette allocation. Le cabinet d'avocat Schadenanwaelte, considérant cette inégalité de traitement comme discriminatoire, a déposé plusieurs recours auprès des cours cantonales des assurances pour les veufs concernés par cette situation, et a obtenu gain de cause dans une affaire devant la cour des assurances du canton de Saint-Gall en août 2023.

Afin d'économiser de l'argent au profit de l’AVS, le Conseil fédéral souhaite revoir entièrement la réglementation concernant la rente de survivant·e·x: le 28 juin 2023, il a adopté les axes de la révision de cette rente. Dorénavant, les veuves et les veufs devraient percevoir une allocation jusqu'à ce que l’enfant cadet atteigne l’âge de 25 ans. Dans un délai de deux ans, les veuves et les veufs de moins de 55 ans et n’ayant pas d’enfant à leur charge ne toucheraient plus de rente. Cette réforme désavantagerait les veuves par rapport à la situation actuelle. L’Union syndicale suisse (USS) critique le démantèlement des rentes des femmes. Les mesures proposées seront mises en consultation à l’automne 2023.

Le cas de Max Beeler n'est pas encore clos: jusqu'à maintenant, le requérant et l’organe compétent, à savoir l'Office fédéral de la justice (OFJ), n'ont pas réussi à s'entendre sur le montant de l’indemnisation. Outre le paiement rétroactif des rentes de veuf qui lui ont été refusées, M. Beeler réclame également des indemnités pour certaines taxes dont il a dû s'acquitter, ainsi que des prestations complémentaires, deux aides auxquelles il aurait pu prétendre s'il avait touché les rentes. Cependant, l'OFJ souhaite uniquement verser les rentes de veuf, y compris les intérêts moratoires. M. Beeler considère ce refus comme contraire à la décision de la CrEDH. Il souhaite s'y opposer et déposera, si nécessaire, une nouvelle plainte auprès de cette dernière.

Des informations plus détaillées sur ce cas et sur le débat politique que Max Beeler a suscité sont disponibles ici sur notre Plateforme d'information.

contact

Marianne Aeberhard
Responsable Projet Accès à la justice / Directrice de l'association

marianne.aeberhard@humanrights.ch
031 302 01 61
Jours de présence au bureau: Lu/Ma/Me/Ve

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