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Le Tribunal fédéral retouche la loi anti-manifs du canton de Genève

19.07.2013

Le Tribunal fédéral a donné partiellement raison aux opposants à la nouvelle loi genevoise sur les manifestations. Il a annulé l’article le plus dangereux du texte: la possibilité de refuser, en cas de débordements, toute nouvelle autorisati on aux organisateurs dans un délai d’un à cinq ans. Les juges de Mon Repos ont aussi précisé d’autres dispositions très controversées de la loi. Émanant du PLR, la révision de la Loi sur les manifestations sur le domaine public (LMDPu) avait été déposée au Grand conseil, à la suite de dérapages survenus lors de la manifestation anti-OMC de novembre 2009. Attaquée par référendum, elle avait été acceptée le 11 mars 2012 par 53.9 % des Genevois. Un comité unitaire – composé des syndicats du canton de Genève, des partis de gauche et de plusieurs associations – avait finalement présenté le 4 mai 2012 un recours auprès du Tribunal fédéralpour atteinte au droit fondamental de manifester.

Loi disproportionnée

Le recours reposait sur quatre articles très controversés de la LMDPu. Les opposants jugeaient cette loi disproportionnée notamment parce qu’elle exige la mise en place d’un service d’ordre par les organisateurs. De plus, ceux-ci risquent jusqu’à 100'000 francs d’amende si des violences se produisent, indépendamment de leur responsabilité. C’est-à-dire qu’en cas de dégâts provoqués par des casseurs, c’est aux organisateurs de la manifestation de passer à la caisse. En cas de débordements, le texte prévoit aussi la possibilité de refuser toute nouvelle autorisation aux organisateurs pendant un à cinq ans. Selon les recourants, ces mesures risquaient de décourager les organisateurs à se lancer et s’opposaient aux droits fondamentaux de liberté d’expression et de réunion. Ceux-ci sont notamment garantis au niveau national par les articles 16 et 22 de la Constitution fédérale et au niveau international par le Pacte II de l’ONU et la Convention européenne des droits de l’homme (art. 11 et 10). De plus, les opposants s’inquiétaient que cette loi permette de condamner quelqu’un pour un acte qu’il n’aurait pas commis.

Révision partielle du TF

Le Tribunal fédéral n’a annulé qu’une seule des quatre dispositions jugées problématiques. Il s’agit de l’article qui permet d'instaurer un délai de carence de un à cinq ans à l'encontre des organisateurs. «L'art. 10A LMDPu, qui prévoit un délai de carence pour les manifestations futures, porte atteinte aux droits fondamentaux que sont les libertés d'opinion et d'information (art. 16 Cst.) en relation avec la liberté de réunion (art. 22 Cst.), explique le TF dans un communiqué. Une telle interdiction revêt en effet dans une large mesure un caractère répressif contraire à la Constitution, de surcroît disproportionné.»

Les juges de Mon Repos ont décidé de maintenir la disposition (art. 5 al. 4 et 5 LMDPu) imposant à l'organisateur la mise sur pied d'un service d'ordre, en précisant cependant que ce service n’est pas censé se substituer à la police pour garantir la sécurité et l’ordre public. Autre éclaircissement sur la possibilité pour l’État de mener une action récursoire contre les auteurs des dommages et les organisateurs fautifs (art. 8 al. 2 LMDPu), le TF enjoint à une interprétation conforme au cadre constitutionnel. La sanction doit être liée à une faute avérée et ne peut toucher le simple organisateur d’un événement qui aurait dégénéré.

Le montant maximal des amendes (100 000 francs) en cas de manifestation sans autorisation ou d’irrespect des conditions posées est en revanche maintenu (art. 10 LMDPu). Le TF a estimé que cette mesure était conforme au droit supérieur si elle tenait compte de la gravité de la faute et de la situation financière des personnes poursuivies

Les recourants se sont dits globalement satisfaits du résultat: «La décision du Tribunal fédéral constitue une victoire, se félicite Manuela Cattani, vice-présidente de la Communauté genevoise d’action syndicale (CGAS). Les aspects de la loi qui tendaient à faire de nous des agitateurs à la limite de la criminalité ont été enlevés.» Ils préviennent toutefois qu’ils resteront vigilants à une application de la loi conforme aux décisions du TF.

L'OSCE et l'ONU critiques

En vue de la votation du 11 mars 2012, le Parti socialiste genevois avait interpellé l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) sur la nouvelle loi. Celle-ci, ne pouvant pas émettre de recommandation officielle sur une interpellation d’un parti politique, avait toutefois rappelé la jurisprudence de la CrEDH consacrant le droit de réunion pacifique. Dans son avis, l’OSCE est revenue sur trois points problématiques avec ses principes: le fait que les organisateurs doivent mettre en place un service d’ordre; qu’ils puissent être tenus pour responsables d’actes d’autres participants; qu’une interdiction de plusieurs années puisse leur être imposée, en cas de débordements, même s’ils ne sont pas fautifs.

Dans un communiqué publié le 9 mars 2012, le rapporteur spécial de l’ONU sur les droits de réunion et d’association pacifiques Maina Kiai avait aussi critiqué la nouvelle loi sur les manifestations. Selon lui, certaines modifications prévues pourraient «indûment restreindre les droits à la liberté de réunion pacifique et d’expression, qui sont l’essence de toute démocratie». En plus des points relevés par les référendaires et l’OSCE, l’expert indépendant a souligné que l’exercice des libertés fondamentales ne devrait pas être soumis à une autorisation préalable des autorités, ceci excluant la possibilité de tenir des manifestations spontanées.

Lausanne durcit aussi sa pratique

Le canton de Genève n’est pas le seul à se montrer intransigeant sur les mouvements de protestation. Depuis peu, la ville de Lausanne fait pleuvoir les amendes sur les manifestants. La police applique à la lettre le règlement qui demande que tout cortège ou rassemblement sur le domaine public doit obtenir l’aval préalable des autorités, sous peine d’amende. En 2010, «entre 200 et 300 amendes» ont été dressée selon Jean-Yves Curty, président de la commission de police municipale interrogé par Le Courrier. Selon lui, ces chiffres concordent avec ceux des deux années précédentes, alors qu’auparavant «il n’y avait quasiment rien qui nécessitait une dénonciation». Ce tournant, qui semble correspondre aux débordements du 27 mai 2008 suite à une manifestation anti-Blocher, inquiète des défenseurs des libertés publiques. Selon eux, la fermeté du système d’autorisation constitue une restriction du droit de manifester.

Sources

Source complémentaire