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Droits fondamentaux et sécurité: pas de tests ADN préventifs sur les requérants

20.03.2014

Le Conseil national voulait que certains requérants d’asile soient obligés de passer des tests ADN. Il avait en ce sens adopté en avril 2013 une motion du président du PDC Christophe Darbellay. Moins d'une année après, le Conseil des États a cependant refusé la motion, qui posait de nombreux problèmes, en matière de droits humains notamment. Avec ce refus du Conseil des Etats, la motion est défintivement hors jeu.

Motion «Effectuer un test ADN sur certains requérants d'asile pour lutter contre la criminalité»

Selon Christophe Darbellay, l’introduction de tests ADN pour les requérants d’asile permettrait d’élucider plus rapidement les actes criminels, voire d'en empêcher une partie. La motion prévoit la constitution d’une banque de données pour «certains» requérants, mais ne précise pas qui serait concerné exactement. Pour justifier sa proposition, le président du PDC s’appuie sur l’augmentation du nombre de délits et sur les statistiques policières de huit cantons, selon lesquelles 52% des prévenus dans le domaine de l'asile sont des requérants originaires de Tunisie, d'Algérie et du Maroc.

Position du Conseil fédéral

Le Conseil fédéral a recommandé de rejeter la motion, car l'établissement de profils d'ADN, à titre préventif et de manière systématique, sur certaines catégories de requérants d'asile est contraire au principe de proportionnalité de la Constitution. Cette mesure d'identification, de nature policière, «ne peut pas être généralisée à tous les demandeurs d'asile, ni même simplement à un groupe d'individus, en ayant pour seule justification l'augmentation du taux de criminalité dans un domaine particulier», a expliqué le gouvernement. On devrait, en outre, se demander pourquoi les requérants d'asile devraient être seuls soumis à un prélèvement systématique de leur ADN alors que d'autres groupes de la population ou groupes d'âge chez lesquels on relève un fort taux de criminalité ne le seraient pas.

Législation actuelle pour l’établissement de profils ADN

Le système juridique suisse fixe des limites strictes à l’utilisation des données ADN d’une personne. Selon l’art. 119 al. 2 let. f, le patrimoine génétique d’une personne ne peut être analysé, enregistré et communiqué qu’avec le consentement de celle-ci ou en vertu d’une loi. Actuellement, les analyses ADN sont surtout menées dans le cadre de procédures pénales. Les bases juridiques autorisant  de tels prélèvements sont les suivantes: le Code de procédure pénale suisse (art 255-259 CPP) ainsi que la Loi fédérale sur l’utilisation de profils d’ADN dans les procédures pénales et sur l’identification de personnes inconnues ou disparues (Loi sur les profils d’ADN). Les profils génétiques servent à élucider un crime ou un délit et sont sauvegardés dans un système d’information. Et ce, indépendamment du fait que les personnes soient de nationalité suisse ou étrangère.

Les autorités peuvent aussi établir un profil ADN, exceptionnellement, lors d’une procédure administrative, mais seulement si la filiation ou l’identité d’une personne font l’objet de doutes fondés qui ne peuvent être levés d’une autre manière. Les conditions précises d’une telle mesure sont définies dans la Loi fédérale sur l’analyse génétique humaine (LAGH). Elle nécessite notamment le consentement écrit de la personne concernée (art. 33 LAGH).

Les droits fondamentaux mis à mal

Si l’on regarde le cadre juridique existant pour le prélèvement et l’utilisation de données génétiques, on s’aperçoit qu’aucune loi n’autorise jusqu’ici les autorités à recueillir des échantillons d’ADN à titre préventif. La majorité du Conseil national veut désormais accorder cette possibilité à l’Etat, en lui permettant d’enregistrer de manière systématique une partie des requérants d’asile.

Pour franchir ce pas, il vaudrait mieux avoir de solides arguments. En effet, le prélèvement d’échantillons d’ADN et leur enregistrement dans un système d’information représente une attaque sévère contre les droits fondamentaux. En particulier, contre la liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst.) et contre le droit au respect de la sphère privée (art. 13 Cst.). Or, une restriction de ces droits n’est admissible qu’à certaines conditions (art. 36 Cst.). Elle doit être justifiée par un intérêt public ou par la protection d’un droit fondamental d’autrui. De plus, toute restriction d’un droit fondamental doit être proportionnée au but visé et me peut avoir d’effet discriminatoire.

Commentaire de humanrights.ch

La motion Darbellay s’inscrit dans un débat plus large sur le rapport entre sécurité et droits fondamentaux. De nouvelles méthodes de recherche, comme l’analyse ADN, facilitent le travail des juges d’instruction pour élucider des crimes. L’hypothèse, selon laquelle les banques de données ADN contribuent à prévenir les actes criminels, semble aller de soi, mais n’a été que rarement démontrée. Et même si elle avait fait ses preuves, il convient de trouver un juste équilibre entre prévention de la délinquance et respect des libertés individuelles.

Le discours sécuritaire peut justifier la création d’une banque de données avec un plus grand nombre de personnes dans le collimateur. Par contre, un fichage ADN généralisé à titre préventif ne peut être proportionné au but visé. Certes, le fichage systématique d’un groupe de personnes occasionne peu de dépenses. Mais, faire peser systématiquement le soupçon sur une partie de la population apparait disproportionné et discriminatoire. Le fichage d’un groupe de personnes, sur la base de critères individuels, revient à le stigmatiser. Il n’a pas seulement des effets indésirables sur les personnes elles-mêmes, mais aussi sur l’ensemble de la société, parce qu’il exacerbe la mise à l’écart de certains individus, les suspicions et peut conduire à d’autres formes de stigmatisation.

Ce qui est dérangeant du point de vue des droits fondamentaux, c’est aussi de voir à quel point le Conseil national peut s'appuyer parfois sur des suppositions généralisées et des revendications simplistes, voire même complètement floues dans le cas présent. Il est temps que les politiques remettent en question leurs intuitions à la lumière du droit. L’idée, selon laquelle «Qui n’a rien à cacher, n’a rien à se reprocher», met en danger les individus et la société. Comme Philipp Loser l’écrit dans son commentaire pour le TagesWoche, «un de nos acquis les plus nobles est que nous pouvons tous potentiellement commettre quelque chose et que personne n’est plus soupçonné ou emprisonné à cause de son sexe, sa race ou de son apparence physique.»

Sources