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Litiges climatiques contre des États

17.04.2024

 

Les États sont des acteurs décisifs pour lutter contre la crise climatique: c’est à eux que revient la responsabilité d’élaborer et de mettre en œuvre des politiques climatiques, et ce sont eux qui doivent s’acquitter des engagements internationaux contractés en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES). Ils doivent également prendre des mesures pour protéger leur population des répercussions du réchauffement planétaire. C’est sur ce dernier point que porte l’affaire Aînées pour la protection du climat c. Suisse, que les recourantes viennent de remporter devant la Cour européenne des droits de l’homme (CrEDH) après avoir été déboutées à trois reprises par les tribunaux suisses.

L’augmentation des températures moyennes annuelles est l’une des conséquences du dérèglement climatique, qui n’épargne aucune région du monde. En Suisse, ce phénomène se traduit en hiver par une réduction du nombre de jours de neiges et généralement par un rehaussement de la limite pluie-neige, et en été par un allongement de la période de canicule et par un nombre plus élevé de nuits tropicales. La température moyenne actuelle en Suisse a augmenté deux fois plus vite que la température annuelle mondiale. Ce changement ne touche pas toutes les populations de manière identique: parmi les groupes les plus vulnérables se trouvent les femmes âgées, pour qui les canicules intenses augmentent les risques de développer des maladies et de mourir. Lors des précédents épisodes caniculaires, une surmortalité des personnes du troisième âge a déjà pu être constatée. La politique climatique de la Suisse a donc des répercussions directes pour ces populations déjà fragilisées.

À l’instar de 194 autres États, la Suisse a ratifié en 2015 l’Accord de Paris, s’engageant par-là à limiter ses émissions de sorte à contenir le réchauffement planétaire nettement en dessous de 2°C par rapport au niveau préindustriel. La Suisse doit contribuer à la mise en œuvre de cet accord en s’assurant notamment que d’ici 2050, elle ne rejette plus dans l’atmosphère davantage de GES que ce que les réservoirs naturels et artificiels sont capables d’absorber (objectif «zéro net»). L’adoption de la loi sur le climat (LCI) a permis d’inscrire cet objectif dans la législation. L’association des «Aînées pour la protection du climat» juge toutefois cette mesure insuffisante: la Suisse n’a pas fixé des objectifs climatiques permettant le respect des obligations contractées au moment de ratifier l’Accord de Paris et n’a pas atteint les objectifs de réduction des GES qu’elle s’était elle-même fixés pour 2020. Les Aînées pour la protection du climat expliquent en outre que la Suisse n’a pas seulement manqué à ses engagements inscrits dans l’Accord de Paris, mais qu’elle a également violé la Constitution et la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), puisqu’elle ne garantit ni la protection de sa population ni les droits humains des plaignant·e·x·s inscrits aux art. 2 (droit à la vie) et 8 (droit au respect de la vie privée et familiale).

Les Aînées pour la protection du climat ont requis le renforcement de la politique climatique suisse devant le DETEC, le Tribunal administratif fédéral et le Tribunal fédéral. Après trois échecs successifs, elles ont interjeté un recours le 01.12.2020 par lequel elles exigent que la politique climatique suisse fasse l’objet d’un examen judiciaire indépendant. Elles demandent par ailleurs que l’État remplisse à nouveau son devoir de protection à l’égard des Aînées pour la protection du climat et poursuive un objectif climatique suffisant à prévenir les dangers qu’entraîne la perturbation du système climatique. Concrètement, les Aînées pour la protection du climat exigent des mesures gouvernementales permettant une réduction de plus de 60% des émissions générées sur le sol suisse – au lieu des 34% prévus par le Conseil fédéral – assorties de mesures à l’étranger permettant une réduction importante des émissions, de sorte que les émissions totales de la Suisse soient plus que compensées (situation de négatif net).

L’audience publique devant la Grande Chambre de la CrEDH s’est tenue en mars 2023. Dans son arrêt rendu le 9 avril 2024, la Cour s’est demandé pour la première fois si un État devait adapter sa politique climatique de sorte à garantir de manière continue les droits humains de sa population. En donnant raison aux Aînées pour la protection du climat, la Cour n’oblige donc pas seulement la Suisse à adapter sa politique climatique, mais elle crée également une nouvelle jurisprudence pour les États membres du Conseil de l’Europe.