09.05.2012
Ce texte a été rédigé pour humanrights.ch par Karine Povlakic, juriste auprès du Service d’Aide Juridique aux Exilé-e-s (SAJE). Il reprend les thèses avancées par l'auteure dans son livre paru en 2011: Suppression de l'aide sociale: un instrument de contrainte.
L’aide d’urgence n’est pas une aide découlant du droit au minimum vital, contrairement à ce qu’affirment les autorités. En raison de l’importance des interventions multiples et systématiques des autorités dans la vie privée des requérants d’asile, dans leur autonomie économique, leur domicile, leurs relations familiales et tous leurs choix de vie, la relation juridique dominante entre les personnes et l’administration est une relation de contrainte. L’aide d’urgence tend à humilier les personnes qui y sont soumises par la privation de toute forme d’autonomie personnelle. Elle les rabaisse à une dépendance de survie à l’égard de l’autorité. Les liens sociaux sont coupés faute de moyens et ainsi les personnes à l’aide d’urgence sont discriminées.
Un droit au minimum vital…
Lorsque la décision de renvoi de Suisse entre en force, les requérants d’asile perdent le droit à l’aide sociale, en vertu des articles 80 et suivants de la loi sur l’asile. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, la suppression complète et radicale de toutes les prestations d’assistance est contraire à l’article 12 de la Constitution fédérale, qui garantit le droit de tout un chacun au minimum vital. Les autorités cantonales ont donc mis en place une «aide d’urgence» en lieu et place d’une aide sociale, qui consiste en l’octroi de nourriture, de vêtements et d’un logement, sur demande.
… destiné à «décourager» les gens
Dans sa conception, le système de l’aide d’urgence a essentiellement pour fin de «décourager les requérants d’asile déboutés à la poursuite du séjour en Suisse», selon le Conseil fédéral. Le «découragement» est une action des autorités tendant à l’usure morale des destinataires de l’aide d’urgence. Cette usure morale est obtenue par une série de mesures contraignantes appliquées de manière systématique et sur la longue durée, qui privent les intéressés de toute forme d’autonomie personnelle, sociale, économique et culturelle et qui investit tous les aspects de leur vie privée.
Pas le droit de recevoir de l’argent
L’organisation des systèmes d’aide d’urgence est variable selon les cantons. Leurs caractéristiques générales cependant sont les suivantes: le requérant d’asile débouté doit se présenter à intervalles réguliers auprès de la police cantonale des étrangers chargée d’exécuter son renvoi de Suisse. Il n’a pas le droit de travailler et il ne reçoit pas d’argent. Les requérants sont logés dans des dortoirs collectifs meublés de lits superposés et d’une petite armoire individuelle par personne. Les effets personnels sont strictement limités. La nourriture est distribuée et elle est généralement répétitive, médiocre et insuffisante (un sandwich au thon ou au fromage à midi, un repas à réchauffer au micro-onde le soir, généralement à base de riz).
Il n’y a aucun espace personnel dans ces centres qui sont des lieux de transit dans lesquels il est impossible de s’installer ni de développer un lieu de vie propre. Les gens y vivent dans les tensions permanentes, explosant parfois en actes de violences, du fait de l’omniprésence d’une surveillance policière et de l’extrême précarité. Les intéressés ne reçoivent pas d’argent et n’ont aucune autonomie économique. Ils n’ont pas droit aux bons de transport et aucune prestation pour leur permettre de posséder un téléphone portable n’est prévue. Aucune activité n’est organisée, à part les nettoyages du centre, de sorte qu’ils passent leurs journées dans le désoeuvrement. Faute d’autonomie, ces personnes sont rejetées dans une marginalisation sociale extrême.
Les familles ont faim
Les familles reçoivent quant à elles, le plus souvent, des prestations en espèces qui se montent à 9,50 frs par jour et par personne sur le canton de Vaud, pour la nourriture, les vêtements et les chaussures, les produits d’hygiène et tous les frais courants de la vie quotidienne (transports, communications, loisirs, etc.).
Cette somme est insuffisante pour seulement se nourrir de sorte que les enfants souffrent de troubles associés à la malnutrition comme de la nervosité, fatigue, irritabilité, sensibilité aux maladies infectieuses ou même des carences alimentaires, notamment chez les plus jeunes enfants. Certains cantons appliquent des forfaits incroyablement bas (6 frs par jour et par personne dans le canton de Genève pour une famille de 5 personnes). Les familles soumises à l’aide d’urgence souffrent de la faim et doivent rechercher de l’aide alimentaire privée.
Placés dans des abris antiatomiques la nuit, rejetés dans la rue le jour
On en vient maintenant à des formes extrêmes d’incitation au départ, où la distribution des biens indispensables à la survie est organisée de telle sorte qu’elle doit entraîner un épuisement moral des personnes, afin de les décourager à demeurer en Suisse. Ainsi par exemple des placements des requérants d’asile dans des abris antiatomiques, formes particulièrement hostiles d’hébergement, sans lumière naturelle, aérés artificiellement, où les couchettes superposées à trois étages sont de simples planches sans séparations entre les dormeurs.
Les douches, les toilettes sont en nombre insuffisant. Il n’y a parfois qu’un unique lave-linge pour 50 personnes. Sur le canton de Vaud, ces abris sont fermés pendant la journée et les requérants doivent errer dans la rue par tous les temps. Leurs repas sont distribués dans un «centre d’accueil de jour» surpeuplé et très bruyant, où il n’y a pas même suffisamment de chaises pour s’asseoir. Certains cantons, comme Zürich, ont poussé ces modalités particulièrement éprouvantes de survie jusqu’à leur dernière extrémité en contraignant les intéressés à changer de place d’hébergement chaque semaine.
Le régime de l’aide d’urgence est discriminatoire
Les personnes concernées se trouvent ainsi en perpétuel transit, sans repères et sans perspectives, socialement isolées et moralement éprouvées. Elles sont par conséquent surexposées à la délinquance de survie et aux risques de tomber dans l’alcoolisme ou la toxicomanie. Nombre d’entre elles sont des personnes traumatisées, qui ont vécu une série d’événements graves parfois sur plusieurs années, et qui risquent de développer des formes caractérisées de dépression ou des troubles irréversibles de la personnalité.
L’aide d’urgence tend à humilier les personnes en les rabaissant dans des formes extrêmes de survie, d’une manière qui est contraire à l’interdiction d’infliger des mauvais traitements au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme. Les atteintes à l’intégrité morale, sociale, familiale, politique ou économique des personnes sont très graves. L’aide d’urgence est discriminatoire: elle dévalorise des personnes triées selon leur statut juridique, les requérants d’asile déboutés, par la privation de toute forme de vie privée ou d’autonomie personnelle.