02.09.2020
La Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysan·ne·s et des autres personnes travaillant dans les zones rurales a été adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 17 décembre 2018. Un texte qui peut sembler loin de la Suisse et qui pourtant la touche de près.
Adoptée par 121 voix pour, 8 voix contre et 54 abstentions, la Déclaration vise à protéger les droits de toutes les populations rurales, y compris les paysan·ne·s, les travailleur·euse·s agricoles et ruraux et les peuples autochtones, tout en reconnaissant leur contribution au développement durable, à la biodiversité et les défis auxquels ils et elles sont confronté·e·s. D’après les chiffres de FIAN France, les paysan·ne·s et les autres personnes travaillant en milieu rural - qu’il s’agisse de pêcheur·euse·s, de nomades, de berger·ère·s, de travailleur·euse·s agricoles - produisent 70% des aliments mondiaux tout en représentant 80% des personnes souffrant de la faim dans le monde et 70% de celles souffrant d’extrême pauvreté.
Des droits innovants
«La Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysan·ne·s vise à renforcer l'interprétation de l'application des droits humains au regard de la condition spécifique des paysan·ne·s et des autres personnes travaillant en milieu rural». Cette réponse de FIAN aux détracteur·trice·s, qui reprochent à la déclaration d’être une entaille à l’universalité des droits humains, pose le cadre de ce texte. Il définit en 28 articles les droits les plus importants qui doivent être octroyés aux personnes du monde rural. Il s'agit notamment du droit à la terre, à l'eau, aux semences, aux formes de production agro-écologiques, à un environnement intact ou au droit de déterminer ses propres objectifs économiques et alimentaires. «Les discussions les plus vives sur la déclaration au sein du gouvernement suisse ont concerné l’article qui reconnaît le droit aux semences des familles paysannes», dit Michelle Zufferey, secrétaire syndicale à Uniterre dans un communiqué de presse de septembre 2018.
Une déclaration «historique»
Initiée il y a plus de 17 ans par le mouvement paysan international de La Via Campesina, ce processus a connu des hauts et des bas. Il a fallu de nombreuses sessions (2013, 2015, 2016 et 2017) afin de parvenir au texte qui a été finalement adopté en décembre 2018. Le vote lui-même a réservé certaines surprises. Ainsi, alors que le Brésil et l’Argentine avaient soutenu l’ensemble du processus, les deux pays se sont abstenus au moment du vote à la suite des changements gouvernementaux survenus entre temps. A l’inverse, le Mexique, qui s’était jusqu’alors opposé à la Déclaration, a voté oui à la faveur de l’élection de son nouveau président, Andres Manel López Obrador.
La Suisse a quant à elle soutenu et co-sponsorisé le processus d'élaboration de cette déclaration depuis 2012, comme l’a rappelé le parlementaire Carlo Sommaruga (PS/GE) dans son interpellation «Les paysans d’ici et d’ailleurs peuvent-ils compter sur la Suisse ?». Cette année-là, le Conseil fédéral avait été chargé par le Parlement de s’engager sur cette voie à la suite de l’étude finale du Comité consultatif du Conseil des droits de l'homme sur la promotion des droits des paysans et des autres personnes travaillant dans des zones rurales (A/HRC/AC/8/6). Celle-ci était arrivée à la conclusion que les instruments juridiques existants n’étaient pas suffisants et que ce groupe faisait l’objet de discriminations particulières qui justifiaient un texte spécifique, donnant ainsi le départ aux travaux d’élaboration de ce nouveau texte. Plus en amont, la Suisse avait aussi fait partie des pays qui avaient soutenu la résolution demandant en 2010 au Comité consultatif des droits de l'homme de rédiger l’étude en question. C’est donc sans surprise qu’elle a voté en faveur de l’adoption de la Déclaration lors de la 39e session du Conseil des droits de l'homme en septembre 2018, puis à l'Assemblée générale des Nations Unies. Reste cependant à voir ce qu’elle en fera.
Le vrai travail commence maintenant
Comme toutes les déclarations de l’ONU, celle dont il est question ici n’a pas de caractère contraignant. Mais son rôle n’en n’est pas moins essentiel, puisqu’ elle sert de base aux plaidoyers de la société civile et peut être transcrite en lois nationales par les Etats qui sont prêts à faire le pas. «Ces droits doivent être reconnus et mis en œuvre afin que la Déclaration ne reste pas lettre morte», martèle ainsi depuis 2018 l’alliance qui s’est créée pour cette déclaration au sein de la société civile suisse. En font partie l’EPER, FIAN, Swissaid, le CETIM, Pain pour le prochain, Action de Carême et Uniterre. Ensemble, ces organisations travaillent à la mise en œuvre concrète de la déclaration dans la politique intérieure de la Suisse, rappelant notamment que les familles paysannes suisses travaillent dans des conditions parfois très difficiles et sont également touchées par les problèmes de brevets. Elle a également prié le Conseil fédéral d'établir un rapport sur la mise en œuvre concrète de la Déclaration, y compris dans sa politique extérieure. Par le biais de la coopération internationale notamment, le Conseil fédéral clame en effet de longue date son soutien «aux efforts déployés par les pays en développement et leurs populations pour aménager des conditions-cadres favorables à une agriculture familiale vivrière et rémunératrice». Un engagement dont on attend de voir des gestes plus tangibles que la nomination de l’ancien vice-président de Nestlé à un poste-clé de l’aide développement.
Une étude formule des revendications à l’égard de la Confédération
La Suisse promeut la mise en oeuvre de la Déclaration des Nations Unies à travers certaines de ses actions, mais elle mène aussi des politiques qui nuisent aux paysanneries familiales des pays du Sud et va à l’encontre des droits que leur garantit la Déclaration. C’est ce qui ressort de l’étude réalisée par une experte indépendante (Caroline Dommen) et un chercheur de l’Académie de droit international humanitaire et de droits humains à Genève (Christophe Golay) mandatée par l’alliance. L’étude, résumée sous forme de messages-clé, montre que la Confédération doit améliorer la cohérence de domaines centraux de sa politique extérieure en matière de commerce, de droits de propriété intellectuelle et de droit aux semences, d’investissements et de coopération au développement si elle entend contribuer à la concrétisation des droits des paysan·ne·s dans le monde. Le message du Conseil fédéral sur la stratégie de coopération internationale concernant la période 2021 à 2024 ne mentionne en effet ces droits que dans le Programme global sécurité alimentaire de la DDC. Or selon les chercheur·se·s, la Confédération doit veiller à ce que tous les projets du SECO et de la DDC soient conformes aux droits des paysan·ne·s: le secteur privé fait en effet planer une menace importante sur le respect des droits humains et l’usage coutumier du sol. L’étude préconise donc que la Suisse examine minutieusement l’impact des accords de libre-échange, déjà en vigueur ou en préparation, sur les familles paysannes en Suisse et celles dans les pays signataires. Elle recommande par ailleurs que la coopération internationale suisse aide les paysan·ne·s à réclamer et à exercer leurs droits afin d’encourager et de rendre effective leur participation dans les processus et instances de décision. Enfin, elle souligne l’urgence que la Suisse reconnaisse clairement le droit aux semences.
Dans son communiqué de presse d’août 2020, la coalition d’ONG s’est réjouie d’avoir pu présenter ces résultats aux responsables du Département fédéral des affaires étrangères et de l’Institut fédéral de la propriété intellectuelle. Elle attend maintenant de voir ses revendications se concrétiser.