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Agenda 2030: la Confédération donne d’une main pour reprendre de l’autre

20.07.2018

Le fossé qui sépare le rapport officiel de la Suisse de l’Etat des lieux qui lui a pourtant servi de base est immense. Alors que la Confédération a activement participé à l’élaboration de l’agenda 2030 sur la scène internationale, l’attitude des autorités pose aujourd’hui la question de son application dans le pays.

Considéré comme une avancée majeure, l’agenda adopté par l’ONU en 2015 et entré en force en 2016, comprend 17 objectifs pour le développement durable (ODD) reliés les uns aux autres et complétés par 169 cibles concrètes. Avec lui, la communauté internationale reconnait la nécessité d’effectuer des efforts communs importants afin d’assurer une vie décente et digne aux futures générations qui occuperont la planète. Et s’engage à les mettre en œuvre.

Rapport de seconde main

Le 20 juin 2018, le Conseil fédéral a adopté le rapport national sur la mise en œuvre de l’agenda en Suisse et l’a présenté au siège new yorkais de l’ONU le 17 juillet 2018. Alors que la Confédération avait soulevé l’espoir de la société civile helvétique avec une large consultation, un véritable engagement et l’organisation de plusieurs forums de discussions, le document final se trouve être d’une affligeante platitude.

La montagne a en effet accouché d’une maigre souris de 24 page. Dans le rapport, chaque ODD s’accompagne d’une brève évaluation, sans que les lacunes ne soient évoquées, ni même que ne soient proposés un plan d’action, des priorités, des mesures ou même des instruments visant à mettre en œuvre ces objectifs. La conclusion officielle n’est autre que: la Suisse est déjà très avancée en matière de développement durable.

En outre, l’Agenda 2030 se voit rétrogradé en importance. Alors que dans ses précédentes prises de position, la Confédération le considérait comme une vision et une obligation, il est ici désigné comme étant «un cadre d’orientation» et non un «cadre juridiquement contraignant». De fait, la notion de «cadre d’orientation » s’est imposée partout où, dans une première version, se trouvait la phrase: «il faut maintenant passer des paroles aux actes.» D’après les médias, c’est le nouveau ministre en charge des affaires étrangères, Ignazio Cassis, qui aurait caviardé le rapport initial et poli l’image de la Suisse. Il est par ailleurs étonnant de constater que le rapport n’évoque pas une seule fois les droits humains, alors que nombres d’ODD sont en même temps des droits humains et que ces derniers sont bien des obligations pour le pays.

Etat des lieux…

Il est d’autant plus surprenant dans ce contexte que la Confédération ait, quelques jours après la publication du rapport national, également rendu public l’Etat des lieux, un document plus exhaustif qui devait servir de base au rapport officiel et s’engage plus loin que ce dernier. Un revirement sans doute dû aux pressions exercées par la société civile par le biais de la Plateforme Agenda 2030 et à la discussion menée à ce sujet au sein de la Commission des affaires extérieures du Conseil national.

Plus détaillé, plus critique et différencié, l’état des lieux propose une évaluation concrète, pour chacun des 17 ODD, de l’état de la mise en œuvre en Suisse. Sous le thème de «la cohérence des politiques en matière de développement durable», l’état des lieux propose une réflexion bien différente que le rapport national. On peut ainsi y lire que «la Confédération reconnaît que la cohérence politique en matière de développement durable est une démarche importante en ce qu’elle contribue à identifier des conflits d’objectifs, à favoriser les synergies entre les différents domaines politiques, à tenir compte tout à la fois des objectifs de la politique nationale et de ceux convenus dans les accords internationaux et à maîtriser les répercussions des politiques nationales sur les autres pays». Concrètement, cela concerne notamment l’utilisation des ressources et la politique des matières premières, la place financière suisse et les flux financiers illégaux, la compatibilité entre le fait, pour les entreprises suisses, de rester concurrentiel et de respecter les standards environnementaux ainsi que les droits humains. L’évaluation de la durabilité, un instrument juridique mis de côté ces dernières années pour des raisons de coûts, ressort ainsi fortement dans l’état des lieux. La longue tradition de collaboration avec la société civile est, elle aussi, mise en exergue à plusieurs reprises. Ainsi, les prises de position des organisations issues du milieu économique, de la société civile et du monde académique sont intégrées en annexes à l’Etat des lieux.

…Et monitoring statistique

Autres données censées se répercuter dans rapport national, celles récoltées dans le cadre du monitoring de l'Agenda 2030 en Suisse. Celui-ci est mené par le biais d’un outil statistique créé à cet effet - le système d’indicateurs MONET - dont les données sont gérées par l’Office fédéral de la statistique (OFS). Il constitue une base fondamentale à la fois pour le rapport officiel de la Suisse et pour l’Etat des lieux. Le bilan intermédiaire de l’OFS contraste pourtant avec celui, auto-congratulant, du Conseil fédéral, relevant que «le monitoring de l'Agenda 2030 en Suisse témoigne d'évolutions contrastées et parfois contradictoires en regard des objectifs poursuivis.» Concernant l’ODD n°1, «Pas de pauvreté», pour lequel le rapport officiel retient le plein succès, l’OFS relève que «l'indicateur «Taux de pauvreté» ne montre aucune évolution significative alors que la tendance visée est à la baisse».

Rapport de la société civile

Parallèlement à cela, la plateforme Agenda 2030 de la société civile a présenté son propre rapport au public le 3 juillet 2018: «La Suisse a-t-elle un développement durable? Mise en œuvre de l’Agenda 2030 du point de vue de la société civile». Alors que la plateforme comprend une quarantaine d’organisations suisses actives dans l’aide au développement, le droit du travail, les droits humains, la protection de l’environnement, le genre, la paix et une économie soutenable, son rapport est le reflet de ces différents domaines qui, tous, ont à avoir avec le développement durable.

Avec ses 80 pages, le rapport met en avant 11 exigences communes à la société civile traduites dans autant de recommandations, ainsi que différentes contributions d’expert-e-s sur des points spécifiques de l’Agenda 2030. A côté du respect des limites planétaires et des droits humains, la plateforme demande également la mise à disposition de ressources suffisante pour la mise-en-œuvre nationale et globale, un ancrage institutionnel fort pour l’Agenda 2030 au sein de l’administration fédérale, un programme de législature adapté ainsi qu’un renforcement de la cohérence politique en vue d’un développement durable, une cohérence qui concerne évidemment aussi les droits humains.

Un Agenda des droits humains

Car l’Agenda 2030 est également celui des droits humains. Ainsi, la troisième demande formulée dans le rapport de la société civile les concerne. L’Agenda 2030 doit être mis en œuvre en conformité avec les droits fondamentaux et les conventions internationales relatives aux droits humains. La Suisse est donc tributaire du droit international et tenue de rendre des comptes. La Confédération doit garantir la cohérence nécessaire à ce processus et exploiter les synergies existantes. Il convient d’agir surtout au niveau des droits humains des personnes particulièrement vulnérables et défavorisées. La Suisse doit faire en sorte que les entreprises suisses respectent elles aussi les droits humains, tant sur son territoire qu’à l’étranger.

Pour chaque élément concret, tels que l’égalité des personnes présentant un handicap, la politique extérieure ou même la fiscalité, le rapport – qui énonce les directions de cap qui s’imposent – se base sur les obligations internationales de la Suisse en matière de droits humains. Le chapitre concernant la cohérence des politiques se termine de fait sur ces mots: «L’Agenda 2030 se fonde sur des obligations dictées par les droits humains et les droits environnementaux. Aussi la Suisse doit-elle s’appuyer, pour sa mise en œuvre de l’Agenda 2030, sur les droits fondamentaux et les engagements pris au niveau international, en liant étroitement les procédures de rapports les unes avec les autres.»

Commentaire de humanrights.ch

La Suisse s’est considérablement investie à l’ONU pour et sur l’Agenda 2030. Son rapport officiel sur la mise en œuvre de l’Agenda en Suisse se pose maintenant à l’opposé de l’engagement global. Comparé à l’Etat des lieux produit par la Confédération elle-même et aux résultats du monitoring statistique, ce document a été redimensionné de façon proprement scandaleuse, tout comme est scandaleux l’esprit d’autocongratulation qui l’imprègne. Cette position ne reflète plus du tout le contexte international et la forte dynamique qui s’est enclenchée autour de l’Agenda 2030. Pour la société civile, qui a largement contribué aux travaux préparatoires pour le rapport national, la déception est grande et le constat implacable: la Confédération ne prend pas la société civile au sérieux.

Les composantes contraignantes de l’Agenda 2030 ne sauraient être noyées sous la vague dénomination de «cadre d’orientation», comme le suggère le rapport officiel. C’est bien l’Etat des lieux et non le rapport officiel qui nous rappelle ce qui est également clair pour l’administration fédérale: l’Agenda 2030 doit toujours être compris comme un agenda des droits humains aussi et ces droits humains composent des obligations internationales.