humanrights.ch Logo Icon

Institution nationale des droits humains

Office des droits humains de Genève, une structure pionnière en Suisse

 

Une genevoiserie ? L’Office des droits humains créé en avril 2008 est le premier du genre au sein d’une administration cantonale. Un an après, sa directrice générale, Fabienne Bugnon, tire un bilan positif de l’exercice. Elle partage son expérience avec Humanrights.ch (entretien du 27 avril 2009).

Une structure cantonale inédite

L’Office des droits humains fait partie du Département des institutions du Canton de Genève, au même titre que l’Office cantonal de la population, la Police, l’Office pénitentiaire ou l'Office cantonal des automobiles et de la navigation. Il regroupe les quatre services cantonaux : le Bureau de l’intégration des étrangers, le Bureau du Délégué aux violences domestiques, le Service pour la promotion de l’égalité entre homme et femme, et le Service de la solidarité internationale. L’Office est chargé de les coordonner afin de mettre en œuvre une politique cantonale cohérente en faveur des droits humains, en collaboration avec les partenaires de la société civile, de l’administration fédérale et de la Genève internationale.

Donner de la visibilité aux droits humains

Sécurité et droits humains, voici les deux piliers indissociables du Département des Institutions, selon son chef actuel Laurent Moutinot. C’est lui qui a mis en place l’Office des droits humains, dans une volonté de « donner une visibilité, si ce n’est pas identique, du moins égale à ces deux secteurs », explique Fabienne Bugnon. L’acte politique était aussi un acte administratif : sans biffer aucune place de travail, se mettait ainsi en place une meilleure gestion des différents services cantonaux liés à la protection des droits humains.

Mission exploratoire et évolutive

Avec sa bonne connaissance des milieux politiques tant genevois que fédéral, administratif et associatif, Fabienne Bugnon a pris les rennes de l’Office des droits humains, consciente de l’aspect exploratoire de la tâche et convaincue de son utilité. Si quelques légitimes inquiétudes ont été vécues au sein des services au début du regroupement, l’Office travaille désormais dans une « agréable stabilité ».

Collaborer et puiser forces, compétences et connaissances là où elles sont

C’est ainsi que des collaborations transversales se sont fortement développées, que ce soit entre les services de l’Office, entre les Offices du Département des institutions ainsi qu’au sein de l’administration cantonale. Par exemple, des réunions mensuelles permettent à la directrice de l’Office des droits humains de s’entretenir régulièrement, à même niveau hiérarchique,  avec la cheffe de la Police sur des sujets tels que le suivi du rapport d’Amnesty International, l’introduction du Taser ou la formation des policiers. Outre la Police, l’Office des droits humains travaille aussi avec l’Office cantonal de la population, l’Officie pénitentiaire ou le Bureau du Délégué aux relations de la Genève internationale au sein du Département. Par sa proximité avec le Conseiller d’Etat à qui il peut transmettre ses préoccupations, l’Office des droits humains dispose d’un levier précieux.
L’interaction interdépartementale a plutôt lieu à travers des groupes de travail spécialisés, par exemple avec des Départements liés à la santé ou à l’instruction publique (voir exemple ci-dessous).

Depuis 2001, Genève a aussi une Commission parlementaire auprès du Grand Conseil, qui s’occupe spécifiquement des questions des droits humains, et qui reste unique dans les 26 cantons. Elle est habilitée à rédiger des projets de motions ou de résolutions à l’attention du Grand Conseil. Participer à certaines séances de la Commission fait partie des attributions de la direction de l’Office des droits humains et constitue pour elle un bon terrain de rencontre entre le politique et l’administratif. Actuellement, la Commission se préoccupe des questions d’accueil des requérants d’asile et visite les structures d’accueil sur Genève.

De même, Genève est l’unique canton à disposer d’une Commission des visiteurs, instituée de longue date par le Grand Conseil et dont la fonction, tout à fait autonome, est d’examiner les conditions de détention, suite à des visites annoncées ou inopinées. Pour toutes les préoccupations d’ordre carcéral, comme par exemple la surpopulation à Champ-Dollon, l'Office des droits humains projette de développer une collaboration avec l’Office pénitentiaire.

Du point de vue national, le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) a montré un intérêt réel pour le fonctionnement de la structure genevoise, dans le cadre du débat sur la création d’une institution nationale des droits humains. Jusqu’à ce jour, le temps a manqué à l’Office pour se faire connaître au-delà des frontières cantonales.

Indépendance suffisante ?

Un an après la création de l’Office des droits humains, sa directrice livre une réflexion et un constat : l’Office devait-il être rattaché à l’administration ou devait-il être complètement indépendant ? Rattaché, il peut être l’ « œil au sein de l’administration », mais il doit fonctionner en réseau avec les ONG de protection des droits humains. Tout en soutenant les actions réactives de ces dernières, Fabienne Bugnon souligne que discrétion ne veut pas dire passivité : par son ancrage, une action crédible de la part de l’Office peut avoir lieu de façon privilégiée dans une confiance réciproque qui se bâtit, sans avoir recours à des conférences de presse. « Je crois que c’est très complémentaire. »

Rassemblement pour les droits humains

L’Office n’est d’ailleurs pas inactif à l’égard de la communauté des ONG locales et internationales installées à Genève. Depuis 7 ans, une journée intitulée Rassemblement des droits humains réuni en automne les nombreux défenseurs des droits humains à Genève (ONG, organisations internationales, experts) autour d’un thème porteur d’actualité. C’est ainsi que les questions des droits syndicaux, des droits des femmes, de la liberté d’expression ou de la liberté de croyance ont été abordées. En 2009, l’accent sera mis sur l’influence du changement climatique sur la protection des droits humains. Si les sujets sont d’intérêt international et national, la volonté des organisateurs est clairement locale. Un des objectif est aussi d’offrir à toute ONG, petite ou grande, active dans le canton ou liée à la Genève internationale un lieu de rencontre et d’échange, voire de faire un pont vers les organisations internationales, également intéressées. L’organisation de ce Rassemblement est désormais inclue dans le mandat de l’Office des droits humains.

Application cantonale des différentes Conventions

Soutenu par le Conseil d’Etat, l’Office des droits humains souhaite une application cantonale des Conventions des droits de l’homme ratifiées par la Suisse – si possible de façon systématique mais « là, je manque un peu de force », admet Fabienne Bugnon. « Mais les quatre services qui dépendent de mon Office sont là pour faire le travail de terrain, et je trouve cela très bien ». Car chacun de ces services sait désormais que sa mission s’inscrit dans le cadre d’une Convention internationale, qui pose un cadre législatif et demande un travail très concret jusqu’au niveau local. « Nos actions, comme la question des mutilations génitales féminines pour laquelle je suis un peu plus spécialiste, ce ne sont pas des dada qui nous ont  pris un jour, s’exclame Fabienne Bugnon. Le Comité de la Convention pour l’élimination des discriminations faites aux femmes a demandé à la Suisse de se préoccuper des femmes migrantes, de leur intégration, de certains codes culturels qu’elles transposent. »

Collaboration entre les services : exemple d’une action vraiment genevoise

C’est un rapport publié en 2004 par UNICEF-Suisse qui a été le détonateur pour ce qui est devenu un programme de prévention cantonal contre les mutilations génitales féminines (MGF) à Genève. Alors directrice du Service de promotion de l’égalité entre homme et femme (SPPE), Fabienne Bugnon puise la connaissance nécessaire dans le rapport, qui indique qu’environ 7000 femmes à risque provenant de pays à forte prévalence de MGF vivent en Suisse, dont environ 1200 à Genève. Une motion parlementaire est déposée au Grand Conseil pour demander une action de l’Etat, que le gouvernement genevois accepte. L’affaire est relayée devant le parlement fédéral par la conseillère nationale Maria Roth-Bernasconi, dont l’initiative parlementaire est actuellement en consultation.

À Genève, un groupe de pilotage pluridisciplinaire est créé, à la fois transversal dans l’administration cantonale et ouvert sur l’extérieur. Y participent plusieurs services d’Etat (le SPPE, le BIE, et des services de santé), l’Organisation internationale des migrations (OIM), ainsi que plusieurs ONG, comme le centre d’accueil pour femmes migrantes Camarada ainsi que les associations des communautés somalienne, érythréenne, éthiopienne et soudanaise. Le Service de Solidarité internationale y est aussi associé en ce sens que des actions, comme la reconversion des exciseuses ou la sensibilisation des autorités locales et des populations ont été engagées dans les pays concernés. Des contacts sont noués avec les cantons du Valais et de Zurich, qui sont aussi actifs en la matière. Par soucis de cohérence, le Conseil d’Etat genevois écrit à la conseillère fédérale en charge du Département de justice et police (DFJP) pour lui présenter le projet et lui demander que ses services en charge de la migration soient particulièrement attentifs à ne pas renvoyer les femmes, désormais protégées en Suisse, risquant d’être mutilées à leur retour au pays.

Début avril 2009, le projet s’est étendu à la question des crimes d’honneur. Y était consacré un colloque, inédit en Suisse, pour lequel ont collaborés les quatre services de l’Office des droits humains, impliqués d’une façon ou d’une autre sur le terrain. D’impulsion genevoise, ces actions ont un impact qui déborde les frontières cantonales.

Sollicitation des cantons : la bonne adresse

Lorsque l’administration fédérale fait appel aux cantons pour des procédures ou la mise en œuvre de mécanismes liés au domaine des droits humains, l’Office devient la bonne adresse. Par exemple, suite à la ratification en 2005 de la Convention contre la criminalité transnationale organisée et ses protocoles additionnels visant, l’un, à réprimer la traite des personnes et, l’autre, à lutter contre le trafic illicite des migrants, la Suisse a mis en place le SCOTT. Ce Service de coordination contre la traite d'êtres humains et le trafic de migrants, qui dépend de la police fédérale, sollicite les cantons. A Genève, c’est sous la présidence de l’Office des droits humains qu’un groupe de travail s’est mis en place, réunissant le SCOTT, la Police, le Parquet du Palais de justice, l’Office cantonal de la population, ainsi que des ONG proches du domaine de la prostitution.

«On voit mal pourquoi Genève serait épargnée par le phénomène, étant un canton frontière, un lieu avec de nombreuses organisations internationales et un grand brassage de population. Il y a donc une volonté de ne pas être une plaque tournante, ni un lieu de prostitution forcée ou d’esclavage domestique ». L’idée est de travailler autant sur la prévention du phénomène, que sur la répression des réseaux et l'aide aux victimes. Fabienne Bugnon estime que ce groupe de travail mixte est une réalisation exemplative de ce qui peut pourrait être fait, par exemple dans la concrétisation des recommandations faites à la Suisse suite à son Examen périodique universel au Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Recommandations qui sont sur son bureau et dont elle étudie l’application cantonale.  

Voisinage onusien

L’Office des droits humains est généralement présent, ou suit, les grands rassemblements onusiens liés aux thématiques qui lui sont proches à Genève. Récemment, mi avril 2009, Fabienne Bugnon a suivi la Conférence de suivi de Durban contre le racisme. Par ailleurs, l’Office des droits humains était associé depuis quelques mois à la Mission suisse, à la Chancellerie d'Etat et au Bureau du Délégué aux relations de la Genève internationale lors des travaux préparatoires de la Conférence dans le cadre de l’accueil à offrir aux participants en tant que canton-hôte. Pour ce qui est de la Déclaration finale de Durban II, le Conseiller d’Etat Laurent Moutinot a demandé à l’Office des droits humains de l’étudier de près afin d’en déterminer les applications cantonales. Quant à l’homosexualité, thème mis de côté par la Déclaration, le canton a déjà décidé de soutenir en septembre 2009 l'organisation des premières Assises de l’homophobie, en collaboration avec des services sociaux et liés à l’instruction.

De la capitale des droits humains

Bien sûr, Genève tente d’être un exemple de bonnes pratiques en matière de droits humains, mais il y a plus. Dans l’histoire récente, en 2001, le Conseil d’Etat donne au Rassemblement pour mission de « contribuer au renom de Genève comme capitale mondiale des droits humains » mais aussi et surtout de « contribuer à la défense et à la promotion des droits humains ». Reprenant les questions d’égalité, qui sont à Genève certes un luxe en comparaison de la situation dans d’autres pays, Fabienne Bugnon rappelle le potentiel effet de modèle ailleurs : « l’évolution ici de la place des femmes joue un rôle très important pour ce qui se passe ailleurs ». Et de conclure : les droits humains, c’est sans frontières !

Information thématique supplémentaire