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Lutte contre le terrorisme

Terrorisme et crime organisé. Convention du Conseil de l’Europe – L'argumentaire

La nouvelle Loi fédérale «Terrorisme et crime organisé. Convention du Conseil de l’Europe» a pour but de garantir la mise en œuvre de la Convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme et son Protocole additionnel. Le projet de loi porte atteinte à l’Etat de droit et affaiblit la protection des droits humains et des droits fondamentaux.

L’article suivant rassemble divers arguments s’opposant à la loi fédérale «Terrorisme et crime organisé. Convention du Conseil de l’Europe» du point de vue des droits humains. Les principaux événements et dates qui jalonnent le parcours du projet de loi sont présentés dans la chronologie. Le contexte permettant de comprendre l’émergence de ce projet est détaillé dans l’«Essentiel en bref».

Violation du principe de la légalité!

En définissant le terme d’«organisation terroriste», le projet de loi instaure une nouveauté dans l’ordre juridique suisse (art. 260ter al. 2 P-CP). Or la définition élaborée ne permet pas d’indiquer concrètement les actes délictueux. Le texte viole donc le principe de la précision des sanctions.

Jusque-là, le législateur interdisait de manière ciblée et détaillée l’association et le soutien des groupes «Al-Qaïda» et «Etat islamique» et les organisations apparentées au moyen d’un arrêté fédéral provisoire. La nouvelle loi veut à l’inverse interdire globalement toutes les organisations poursuivant le but «de commettre des actes de violence criminels visant à intimider une population ou à contraindre un Etat ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque».

Ce qui apparaît d’abord comme une définition sensée laisse pourtant la porte grande ouverte à l’interprétation. Il n’est pas spécifié que les activités d’une organisation terroriste doivent être « criminelles » ou «de manière clandestine », ni qu’une infraction pénale, un acte ou une omission intentionnels ne sont nécessaires. Les membres de la famille et les proches des personnes soupçonnées d’activités terroristes pourraient ainsi être visé·e·s par les forces de l’ordre pour la simple raison qu’elle reçoivent un soutien familial. Les organisations non gouvernementales et les œuvres d’entraide sont également menacées d’entrer en conflit avec cette loi en effectuant leur travail. Le conseil et le soutien à certains groupes de migrant·e·s, l’aide humanitaire ou encore le travail de médiation avec des groupes armés pourraient être interprétés comme un soutien ou un engagement dans une «organisation terroriste».

Enfin, si le projet de loi veut considérer comme infraction le recrutement, l’entraînement et le voyage en vue d’un acte terroriste (art. 260sexies P-CP), il reste cependant très imprécis sur les critères de preuve fondant l’intention présumée. Celle-ci, en plus d’être dangereuse, est inutile, car le Code pénal identifie déjà les actes préparatoires délictueux.

Le texte de loi est très peu concret sur le comportement qu’une personne doit adopter pour ne pas être confrontée à une procédure pénale. Allant à l’encontre du principe de la précision, le projet de loi viole ainsi le principe de légalité du Code pénal (art. 1 CP) ainsi que la Convention européenne des droits de l’homme (art. 7 CEDH).

Atteinte aux principes de l’Etat de droit!

Le projet de loi déplace la quasi-totalité de la souveraineté du Parlement en matière de définition vers les tribunaux cantonaux et les autorités judiciaires, ce qui porte atteinte à la séparation des pouvoirs.
De plus, l’étendue des compétences des autorités judiciaires au niveau cantonal augmente le risque de conflit de compétences. Enfin, le projet de loi induit des risques sur le plan de la politique extérieure.

Selon la définition élaborée, la décision de poursuivre et de sanctionner un acte de soutien à une organisation terroriste ainsi que d’interdire une organisation pour motif de terrorisme serait laissée à l’appréciation du juge. Cette concentration des pouvoirs au sein des autorités judiciaires (cantonales) n’est pas seulement source d’un grand potentiel d’abus, mais aussi d’une énorme insécurité juridique. Il est très probable que l’interprétation de la formulation juridique varie d’un canton à l’autre: l’autorité judiciaire d’un canton pourra par exemple qualifier le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) d’organisation terroriste et non celle d’un autre canton. Ceci ouvre la voie à l’arbitraire et viole le principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs.

Le risque de conflit de compétences entre les institutions augmenterait vu que les autorités cantonales seraient en mesure d’incriminer des groupes de manière beaucoup plus large que le Service de renseignement de la Confédération, qui tient une liste d’organisations interdites. Dans le domaine de la diplomatie internationale, la criminalisation de certains groupes pourrait être comprise comme une prise de position politique, et l’interdiction émise à l’encontre d’organisations pourrait sérieusement compromettre le rôle de médiation de la Suisse.

Affaiblissement des droits fondamentaux!

Le projet de loi provoque diverses atteintes aux droits fondamentaux, tels que la liberté d’expression et le droit de la personnalité. Cette restriction des droits fondamentaux ne pourrait être justifiée par l’intérêt public que dans de très rares cas.

Le projet ajoute notamment une nouveauté dans la Loi sur le renseignement, qui ne réprime pas seulement la propagande des «organisations interdites» mais aussi les actions de propagande qui ciblent les buts de ces organisations ainsi que toute autre promotion de leurs activités (art. 74 al. 4 P-LRens). Il est pourtant extrêmement difficile de faire la distinction entre la simple expression de sympathie pour ces organisations et la diffusion de leur propagande. Le risque de criminaliser l’expression d’opinions en menaçant de la punir est par conséquent élevé, alors que celle-ci ne constitue pas une infraction pénale en elle-même.

Le projet prévoit par ailleurs une adaptation de la Loi sur l’entraide pénale internationale (art. 80bis P-EIMP). Il devrait être possible de transmettre des informations et moyens de preuves aux autorités étrangères avant même que la décision de clôture ne soit rendue. Cela a pour effet de diluer considérablement la protection juridique actuelle: dans nouveau ce cas, la personne concernée ne devrait plus être obligatoirement informée au préalable du transfert de ses données. En outre, à l’avenir, les autorités cantonales, et non plus seulement nationales, seraient également en mesure de transmettre ces informations. Cela ne garantirait pas un traitement uniforme et méticuleux de ces données personnelles hautement sensibles.

Selon le projet de loi, la transmission de données aux autorités étrangères serait autorisée en cas de «danger grave et immédiat», concept peu clair qui ne présuppose aucun lien avec le terrorisme et permet l’entraide judiciaire dans pratiquement tous les cas. Le transfert de données pourrait également être mis à disposition d’États qui placent leur intérêts politiques devant les principes constitutionnels et les droits humains et répriment la dissidence à travers la poursuite pénale.
En outre, le projet prévoit que l’entraide judiciaire facilitée soit également utilisée pour aider les autorités étrangères à mener des enquêtes complexes. Avec ces changements, l’exception que représente l’entraide pénale internationale facilitée deviendrait la règle.

Aucune protection pour les peines sévères

Le projet de loi prévoit des sanctions disproportionnées. Il exige par exemple une expulsion obligatoire des étranger·ère·s lors des actes préparatoires (art. 66a P-CP). Les termes juridiques étant vagues, cet automatisme est d’autant plus disproportionné. Le projet de loi veut interdire jusqu’à 5 ans une organisation promouvant des activités et objectifs jugés comme étant terroristes (art. 74 P-LRens). La sanction pour le soutien et la participation à une organisation considérée comme terroriste peut quant à elle aller jusqu’à 10 ans (art. 260ter al.2 P-CP). Derrière cette mise en œuvre de la Convention du Conseil de l’Europe se cache en réalité une véritable révision du droit pénal.

Les lois restrictives ainsi que l’exclusion et la criminalisation des personnes qui en découlent ne peuvent pas promouvoir la sécurité publique: instaurer des peines plus sévères ne peuvent rien contre la menace terroriste. Afin d’assurer la protection des valeurs de liberté, les principes centraux d’un ordre fondamental démocratique et constitutionnel que sont la séparation des pouvoirs, l’Etat de droit et l’interdiction de l’arbitraire doivent être préservés.