humanrights.ch Logo Icon

Strasbourg constate que la Suisse n’a pas violé le droit à un procès équitable

17.06.2015

Dans l’affaire S.-L. contre Suisse (requête no 41269/08), la Cour européenne des droits de l’homme (CrEDH) a rappelé que la police a l'obligation d'informer toute personne impliquée dans une procédure, même à un stade précoce, de son droit de garder le silence et de ne pas contribuer à son incrimination tel qu’il est garanti dans l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). Dans le cas de la plaignante, actuellement en prison pour tentative d'assassinat sur la personne de son mari, la Cour a aussi conclu que le procès dans son ensemble n’avait pas été inéquitable. Les déclarations qu'elle avait faites en tant que témoin sans avoir été informée de son droit de garder le silence n'ont en effet d'après le Cour pas été déterminantes dans la procédure.

Résumé de l'arrêt rédigé par l'association Dialogue CEDH

L'affaire

La plaignante a été accusée d'avoir essayé, conjointement avec son partenaire de l'époque, d'assassiner son mari, duquel elle vivait séparée et avec lequel elle se disputait par rapport au droit de garde des enfants. Suite à ces accusations, elle avait été condamnée par le Tribunal d'arrondissement de Baden à 7 ans et demi de détention dans un établissement pénitentiaire pour tentative d’assassinat, mise en danger de la vie d’autrui et dénonciation calomnieuse. Elle a ensuite fait recours contre ce jugement au Tribunal cantonal argovien et finalement au Tribunal fédéral. Ce dernier s’est prononcé en faveur de la plaignante dans son arrêt du 8 mai 2006 et a suspendu le jugement contesté, au motif que la requérante avait formulé des aveux, alors qu'elle était en détention provisoire, sans avoir été préalablement informée de son droit de garder le silence. Le Tribunal cantonal argovien a à nouveau jugé le cas et a condamné la plaignante le 6 juin 2007 à une peine de prison de 7 ans dans un établissement pénitentiaire.

La plaignante a ainsi fait recours de droit public au Tribunal fédéral. Elle argumentait que le jugement contesté était basé sur le témoignage qu'elle avait fait dans le cadre d’un interrogatoire qui avait eu lieu le 1er août 2001 et au cours duquel elle était présente en tant que témoin, non-avertie de son droit de refuser de témoigner. De ce fait, les informations recueillies durant cet interrogatoire n'auraient d'après elle pas dû être utilisées devant le tribunal. L’interrogatoire en question avait eu lieu après que son partenaire de l'époque avait tenté de poignarder son mari le 31 juillet 2001.

L'arrêt du Tribunal fédéral

Dans son arrêt du 21 janvier 2008 – qui est l’objet du recours de la plaignante auprès de la CrEDH – le Tribunal fédéral a retenu que le code de procédure pénale argovien qui était valable au moment de l'interrogatoire du 1er août 2001 ne contenait aucune obligation d'attirer l’attention sur le droit de garder le silence dont disposent les personnes appelées à témoigner. Du fait de cette lacune du droit cantonal, c’est le droit d’être informé garantit à  l'art. 31 § 2 de la Constitution fédérale qui se serait appliqué. Selon cette disposition, seule la personne en privation de liberté aurait le droit d’être informée des droits en question. Dans la mesure où la plaignante était en liberté lorsqu'a eu lieu son interrogatoire, le Tribunal fédéral a décidé que l’art. 31 § 2 de la Constitution n’était pas applicable et que donc les témoignages faits par la plaignante sont utilisables. Au demeurant, le Tribunal fédéral considéra également que le Tribunal cantonal avait pu s’appuyer sur les dépositions de son partenaire de l'époque, jugées crédibles, et que le refus d’entendre d’autres témoins n’était donc pas arbitraire. Il a donc également débouté la plaignante sur ce point.

Arrêt de la CrEDH: pas de violation de l’article 6 § 1 CEDH

Dans son arrêt du 16 juin 2015 la Cour de Strasbourg retient que la plaignante s’est, à bon droit, référé à l’article 6 § 1 de la CEDH. Cette disposition peut jouer un rôle important dans la procédure préalable au procès, si dans ce contexte le droit à un procès équitable est mis en danger. Dans l’affaire en cause, la Cour indique que les garanties fondamentales de l’article 6 § 1 CEDH se rapportent notamment au droit de garder le silence et de ne pas s’auto-incriminer et au droit de refuser de témoigner. Selon la CrEDH, la police aurait dû, lors de l'interrogatoire du 1er août, attirer l’attention de la plaignante sur ces droits. Pour autant, les témoignages de la plaignante faits durant cet interrogatoire n'étaient pas déterminants pour le jugement, mais uniquement d'une importance subordonnée dans l'exposé des preuves. Le jugement s'appuie plutôt sur les aveux de son partenaire de l'époque. Ces derniers ont été renforcés par plusieurs autres personnes. Par ailleurs, la plaignante n'avait pas réellement témoigné contre elle-même durant l'interrogatoire du 1er août 2001. De ce fait, la CrEDH considère la procédure contre la plaignante équitable dans l’ensemble. 

Autres motifs: pas de violation de l’article 6 § 1 et 3 CEDH

Concernant le grief du refus de demande de preuve de la plaignante, la Cour a retenu que l’interprétation du législatif en question relève de la compétence des tribunaux nationaux. Ceci concerne aussi l’adéquation de demande de preuve. En raison des preuves rassemblées auparavant, le Tribunal fédéral a justement considéré les demandes de preuve de la plaignante comme non-adéquates. Finalement, la CrEDH a estimé que l'exposé du Tribunal fédéral concernant les griefs portant sur d'éventuelles irrégularités commises dans la rédaction des procès-verbaux d'audition comme plausible et non répréhensible.

Commentaire

La CrEDH contredit le Tribunal fédéral sur un point central de la procédure en constatant que la plaignante aurait dû être avisée de son droit de refuser de témoigner dans le cadre de l'interrogatoire. Suite aux preuves claires, et vu que la plaignante n'a pas témoigné contre elle-même, cette erreur n’est pas cruciale pour l'issue de la procédure. La procédure a donc été considérée comme équitable dans l’ensemble par la CrEDH dans une argumentation convaincante. Il semble en particulier cohérent que le droit de refuser de témoigner basé sur l’article 6 § 1 CEDH puisse être évoqué dans la procédure préalable au procès. Il faut attirer l’attention sur le fait que, selon la CrEDH, l'interprétation de la législation nationale et donc aussi comme dans ce cas-ci, le jugement sur l'adéquation des preuves, relève de la compétence des tribunaux nationaux. La Cour de Strasbourg n'intervient que de manière subsidiaire pour faire valoir les droits conventionnels mis en question dans des cas spécifiques.