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Prise en charge institutionnelle des personnes autistes en Suisse

14.04.2024

En janvier 2021, Theo W., 18 ans, est décédé des suites des blessures qu’il s’est lui-même infligées alors qu’il était interné en psychiatrie. Il avait été diagnostiqué «autiste Asperger». Comment a-t-on pu en arriver là? Comment la Suisse prend-elle soin des personnes «neurodivergentes» qui ne parviennent plus à gérer les exigences de la vie en société?

Depuis février 2021, humanrights.ch accompagne les parents de Theo W. dans le cadre du litige stratégique lancé afin d’identifier les dysfonctionnements qui ont mené à cette tragédie. Le constat est clair: Theo n’est pas un cas isolé. Ses parents ont pris contact avec d’autres personnes dont les enfants souffrent d’un trouble du spectre de l’autisme (TSA) et qui sont ou ont été placé·e·x·s dans des établissements psychiatriques. Tous les récits concordent sur un point: chaque enfant a vu sa situation se dégrader pendant son séjour en psychiatrie.

Quelques recherches supplémentaires confirment l’existence d’un problème de fond lors de la prise en charge de personnes atteintes d’un trouble du spectre de l’autisme (TSA): en 2018, la Cité du Genévrier à Saint-Légier (VD) a fait la une des journaux après la plainte déposée par les parents de cinq jeunes adultes ayant un TSA contre deux membres du personnel de l’institution à cause de maltraitances physiques et psychiques que ces jeunes adultes avait subies, telles que le surdosage de médicaments et l’isolement. En février 2022, de graves dysfonctionnements au sein du foyer spécialisé de Mancy dans le canton de Genève ont été rendus publics: les témoignages décrivent des enfants traîné·e·x·s par terre, laissé·e·x·s dans leurs excréments et privé·e·x·s de nourriture. Peu après, en août 2022, c’est le foyer grison «Chasa Flurina» qui s’est retrouvé au cœur d’un scandale: les parents d’un jeune patient atteint d’une forme sévère de TSA ont amené ce dernier dans une clinique zurichoise afin qu’il y soit ausculté, vu son «état intolérable»: il avait perdu énormément de poids et semblait vide et triste. Les différentes enquêtes menées sur ces situations sont indépendantes les unes des autres: chacune se concentre sur un seul établissement et sur sa direction ou sur l’organe cantonal chargé de son contrôle. À Genève, le scandale a suscité de fortes réactions, notamment politiques, et les personnes responsables se sont rejeté mutuellement la faute. Aux Grisons, le foyer a dû fermer fin 2022 faute de solutions apportées par la direction. Aucune des enquêtes n’a mentionné un problème structurel dans la prise en charge institutionnelle des personnes avec un TSA. Au contraire, elles concluent toujours à des lacunes dans les connaissances spécialisées en matière de TSA ainsi que dans la formation du personnel – et dans le cas du foyer de Mancy, de la direction. La commission de contrôle de gestion du Grand Conseil qui a examiné le cas de Mancy s’accorde avec le Conseil d’État sur la nécessité de confier la prise en charge des jeunes souffrant de TSA à des structures privées subventionnées. Le problème est-il donc résolu? C’est la question qui nous guidera tout au long de cet article.

Cet article fait le bilan de la prise en charge institutionnelle des personnes atteintes d’un TSA en Suisse. Pour bien saisir les enjeux de cette question, il faut au préalable expliquer les spécificités des troubles du spectre de l’autisme (TSA), mais aussi présenter les dispositions légales existantes (notamment en matière de droits humains), exposer l’état des débats à propos de la prise en charge institutionnelle des personnes autistes et examiner l’application réelle des mesures déjà décidées à ce sujet.

«Autisme», «Asperger» ou «trouble du spectre de l’autisme» (TSA)?

Le terme «autisme» a été introduit en 1911 par le psychiatre suisse Eugen Bleuler dans le cadre de ses travaux sur la schizophrénie afin de qualifier un des symptômes principaux de cette pathologie: le retrait dans un monde de pensée intérieur. Plus tard, Hans Asperger et Leo Kanner ont chacun repris, sans se concerter, le terme «autisme» pour décrire non plus un seul symptôme, mais tout un syndrome. Selon leur définition, les personnes autistes viennent au monde dans un état de repli intérieur, alors que les personnes schizophrènes vivent des épisodes ponctuels de retrait en elles-mêmes.

Plusieurs classifications internationales permettent d’établir un diagnostic. Jusqu’en 2022, l’ancienne typologie de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), la CIM10 (Classification statistique internationale des maladies et des problèmes de santé connexes), distinguait trois types d’autismes, regroupés dans la catégorie «troubles envahissants du développement»: l’autisme infantile, l’autisme atypique et le syndrome d’Asperger, parfois appelé «autisme de haut niveau» ou «autisme à haut niveau de fonctionnement» en raison de l’absence d’un déficit ou d’un trouble du langage ou du développement cognitif chez les personnes atteintes. Le DSM-5 (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux), publié en 2013 par l’Association américaine de psychiatrie (APA), ainsi que la nouvelle classification CIM11, en vigueur depuis 2022, considèrent obsolètes ces sous-catégories et définissent uniquement les «troubles du spectre de l’autisme», catégorie suffisamment générale et exhaustive. Par cette modification, les classifications sont en adéquation avec les nouvelles connaissances scientifiques qui rejettent la possibilité d’une délimitation claire entre les différents types présentés plus haut et placent plutôt les manifestations individuelles de l’autisme sur un même continuum. Aujourd’hui, 25 à 30% des personnes autistes souffriraient d’une forme sévère de TSA dont les symptômes ressembleraient à la définition de «l’autisme infantile». Selon les dernières estimations, plus de la moitié des personnes avec un TSA sont concernées par un trouble du développement intellectuel léger, et près d’un tiers présentent un déficit intellectuel plus grave. Les troubles du spectre de l’autisme s’accompagnent souvent de comorbidités également liées à des troubles mentaux: parmi les personnes atteintes d’un TSA, 28% présentent des troubles déficitaires de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), 20% ont des troubles anxieux, 13% se plaignent de troubles du sommeil, 12% souffrent de troubles disruptifs, du contrôle des impulsions et des conduites, 11% présentent des troubles dépressifs, 9% sont atteintes de troubles obsessionnels-compulsifs, 5% font part de troubles bipolaires, et 4% ont des troubles psychotiques. Si on ne constate aucune augmentation du nombre de diagnostics pour les formes sévères de TSA, il en va tout autrement pour l’autisme dit «à haut niveau de fonctionnement». Les personnes atteintes par cette forme de TSA sont généralement diagnostiquées à la puberté, voire à l’âge adulte. Il existe d’ailleurs une différence considérable entre les genres, en particulier pour les filles autistes ne présentant aucun trouble du développement intellectuel, puisqu’elles sont beaucoup moins rapidement diagnostiquées que les garçons avec la même forme de TSA.

Les personnes ayant souffrant d’un TSA ont une autre manière de traiter l’information: elles ne voient, n’entendent et ne perçoivent pas le monde comme les personnes «neurotypiques». Il leur est difficile d’appliquer la «théorie de l’esprit», c’est-à-dire de se mettre à la place des autres personnes et d’adapter en fonction leur manière de communiquer. Les personnes autistes ne parviennent pas très bien à lire les émotions de leur interlocuteur·trice·x sur son visage, ce qui entraîne des difficultés pour la compréhension des codes sociaux ou de l’ironie. Elles évitent donc souvent les interactions sociales. Elles ont en outre de la difficulté à s’habituer à quelque chose de nouveau, raison pour laquelle elles préfèrent rester dans un environnement familier et organiser leur journée en suivant toujours le même déroulement (rituels). Elles se repèrent grâce aux détails, ce qui rend difficile la perception d’une situation dans son ensemble. Elles aiment généralement se concentrer sur un domaine particulier. Elles présentent souvent une hypersensibilité ou une hyposensibilité à la lumière, aux odeurs, au bruit ou au toucher, ce qui se manifeste par une fascination pour la lumière ou pour les surfaces brillantes, par des réactions violentes à certains bruits, par une recherche constante du contact physique, ou par la volonté de sentir ou de lécher des surfaces et des objets. En raison de ces troubles de la modulation sensorielle et de l’importance qu’elles accordent aux détails, les personnes atteintes d’un TSA ont de grands problèmes pour appréhender leur environnement comme un tout cohérent, ce qui entrave considérablement leur capacité d’assimilation des apprentissages. Cette perception différente du monde peut conduire à un «overload», soit une surcharge sensorielle qui survient lorsque les sens sont tellement stimulés que la personne ne peut plus distinguer entre les incitations importantes et les autres. La personne ne peut alors ni se calmer ni se retirer, ce qui peut provoquer chez elle un «meltdown» (effondrement qui se manifeste généralement par une explosion de colère incontrôlée), voire aboutir à un «shutdown» (repli complet de la personne sur elle-même et perte partielle ou complète de sa capacité d’interaction).

Le trouble du spectre de l’autisme (TSA) est un trouble neurodéveloppemental présent dès la naissance qui ne peut pas être «guéri». Si ses causes ne sont pas clairement établies à ce jour, la recherche s’accorde sur son origine multifactorielle. Ainsi, des prédispositions génétiques, mais aussi des processus biologiques se déroulant avant, pendant ou après la naissance peuvent nuire au bon développement du cerveau et causer ou favoriser l’apparition d’un TSA. Les influences provenant de l’environnement social, telles que l’éducation prodiguée par les parents ou les conflits familiaux, sont en revanche exclues des causes possibles de l’autisme.

Contrairement aux les troubles déficitaires de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), aucune médication ne permet d’atténuer ou de soigner un TSA. Le·la médecin peut en revanche prescrire des médicaments pour soigner les symptômes associés tels que la dépression, les troubles anxieux, les troubles obsessionnels compulsifs, ou les actes (auto-)agressifs. Concernant le trouble lui-même, la meilleure manière d’accompagner les personnes atteintes d’un TSA passe avant tout par la logopédie, la thérapie psychomotrice, l’ergothérapie et les thérapies comportementales. Ces différentes thérapies cherchent à favoriser le développement des personnes autistes et ciblent en particulier leurs compétences sociales, de sorte qu’elles comprennent mieux leur environnement et puissent s’y intégrer.

Historique de la sensibilisation du public

Selon une méta-analyse portant sur des études publiées entre 2012 et 2021, 1% de la population mondiale est porteuse d’un TSA diagnostiqué, un pourcentage en légère augmentation qui reste pourtant vraisemblablement sous-estimé en raison du manque de données concernant certains pays. En étendant le champ de recherche jusqu’en 1980, on constate une augmentation massive du nombre de diagnostics ces 40 dernières années. Cette hausse ne reflète pas nécessairement un accroissement de la prévalence des TSA, mais est probablement le fruit de l’attention accrue qui leur est portée et des nouvelles connaissances acquises ces dernières années. En Suisse, le taux de prévalence des TSA est estimé à 1%, ce qui signifie que chaque année, 800 à 1000 enfants naissent avec un trouble du spectre de l’autisme.

L’autisme se fait une place sur la scène internationale dès 1998, lorsque l’association Autisme-Europe crée la «World Autism Organisation» (WAO), en réaction à l’absence de publications à ce sujet de la part de l’OMS et de programmes spécifiques dirigés par l’UNESCO. Il fait l’objet d’un véritable examen scientifique en 2001, avec la création de «l’International Society for Autism Research» (INSAR). Ces deux événements ont d’immenses effets en Europe, et accélèrent la mise en place de programmes officiels pour l’autisme: de tels plans sont acceptés en 2005 en France, en 2006 au Danemark et en 2008 au Pays de Galles et en Hongrie. C’est ensuite au tour de l’Angleterre en 2010, de l’Irlande du Nord et de l’Écosse en 2011, de l’Espagne en 2015 et de Malte en 2016 de les développer. «L’Autism Act» entre en vigueur en 2009 au Pays de Galles et en Angleterre.

Le 18 décembre 2007, jour auquel l’Assemblée générale de l’ONU a proclamé Journée mondiale de la sensibilisation à l’autisme (A/RES/62/139) le 2 avril, a constitué un important tournant en matière de lutte pour la sensibilisation du public à la thématique au niveau international. Cette journée vise à favoriser l’application des droits des enfants et des adultes en situation de handicap, tels que définis dans la Convention internationale des droits de l’enfant (art. 2), entrée en vigueur en 1990, et dans la Convention relative aux droits des personnes handicapées, entrée en vigueur en 2008.

Au niveau de la politique nationale, c’est le postulat Hêche (12.3672) «Autisme et trouble envahissant du développement. Vue d’ensemble, bilan et perspectives» déposé par le conseiller aux États Claude Hêche (PS/JU) le 10 septembre 2012 qui a servi de déclencheur. En réponse à ce postulat, le Conseil fédéral a commandé un rapport de recherche, sur la base duquel il a adopté en juin 2015 un premier rapport présentant la situation dans les domaines de la détection, de la prise en charge et du soutien aux parents d’enfants autistes, et a fourni des recommandations pour améliorer leur situation. Par la suite, un groupe de travail formé par des représentant·e·x·s de la Confédération, des cantons, d’association de parents et de sociétés de discipline médicale a eu pour tâche d’évaluer les recommandations formulées dans le premier rapport afin de développer une stratégie globale, de définir des champs d’action et de présenter des recommandations au Conseil fédéral avant la fin de l’année 2016. Celui-ci a adopté en octobre 2018 un deuxième rapport détaillant des mesures d’application, centré sur trois axes d’interventions prioritaires: le dépistage précoce et la pose de diagnostic, le conseil et la coordination, et l’intervention précoce. Depuis, le Conseil fédéral n’a fourni aucune évaluation complète et officielle de la mise en œuvre des mesures et recommandations présentées dans ce rapport. Au contraire, son avis du 17.02.2021 en réponse à l’interpellation déposée par la conseillère nationale Franziska Roth (PS/SO) est une grande source de désillusions et témoigne du peu d’avancées qui ont été faites, voire de l’absence de progrès dans certains domaines (une analyse plus détaillée sera présentée plus loin).

Ces dernières années, la thématique des troubles du spectre de l’autisme (TSA) a gagné beaucoup de terrain dans l’opinion publique suisse, en témoignent les nombreux documentaires et émissions télévisées, les podcasts, les sites internet et les articles de journaux qui visent surtout la sensibilisation du public et l’augmentation de la visibilité des personnes autistes, notamment des adultes. D’autres initiatives se sont développées, telles que les forums spécialisés et les associations regroupant des personnes souffrant d’un TSA, leurs proches et les thérapeutes, et qui recensent notamment les différentes aides existantes. D’autres événements permettent de visibiliser les TSA, notamment les initiatives facilitant les contacts et les discussions entre les différents acteurs, les réseaux de chercheur·euse·x·s ainsi que la création de nouvelles filières dédiées à l’autisme au sein de certaines hautes écoles.

Malgré cette prise de conscience générale, l’intervention du Conseil fédéral se fait encore attendre. Les personnes touchées de près ou de loin par les TSA font face à une grande souffrance et ont besoin que des mesures soient prises, comme en attestent les messages et les appels à l’aide – portant souvent sur la thématique de l’école – que l’on peut lire sur le forum en ligne «Autismusforum Schweiz». Par ailleurs, la page germanophone d’Autismus Schweiz recensant pour chaque canton les différents organismes venant en aide aux personnes concernées affiche un message indiquant qu’en raison de la surcharge importante des infrastructures, les délais d’attente sont prolongés et la prise en charge des nouvelles et nouveaux patient·e·x·s est ralentie. L’obtention d’un diagnostic peut ainsi durer jusqu’à un an et demi. Le nombre de personnes concernées par les TSA qui se tournent vers humanrights.ch pour avoir de l’aide ne diminue pas. Les dysfonctionnements constatés dans plusieurs établissements liés à la prise en charge institutionnelle de jeunes souffrant d’un TSA sont la preuve de l’absence d’action politique concrète. Se pose alors la question suivante: la Suisse respecte-t-elle ses obligations envers les personnes atteintes d’un TSA?

Bases juridiques et obligations de la Suisse en matière de droits humains

Sur le plan juridique, les TSA appartiennent à la catégorie des handicaps, puisque ce trouble est décrit dans les versions actuelles des classifications CIM11 et DSM-5 et que le diagnostic est posé par des spécialistes. Les personnes concernées ne se reconnaissent toutefois pas toutes dans cette catégorie, puisque bon nombre d’entre elles ne disposent d’aucun diagnostic et parviennent à gérer les stimuli du quotidien. Par définition, les troubles du spectre de l’autisme forment un continuum; la présence d’un «handicap» varie donc fortement d’une personne à l’autre. Certaines personnes se heurtent alors à un défi de taille, puisqu’un diagnostic est nécessaire pour que leurs droits soient reconnus, étant donné que ceux-ci sont garantis dans le cadre des droits des personnes handicapées. En raison de la grande hétérogénéité des TSA, les personnes concernées préfèrent généralement les termes «neuro-atypique» ou «neurodivergent» (contraires de neurotypique).

Au niveau international, les droits des personnes en situation de handicap sont garantis par la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées (CDPH). Entrée en vigueur en 2008, la Convention n’a été ratifiée par la Suisse qu’en 2014, et le protocole facultatif, qui prévoit une procédure de recours individuel pour les personnes concernées, n’a jamais été signé. Lors du premier examen de la Suisse en mars 2022, le comité d’évaluation a en outre constaté des manquements considérables en lien avec l’inclusion des personnes en situation de handicap, notamment des enfants. Il n’a toutefois donné aucune recommandation spécifique concernant les personnes atteintes d’un TSA. Pour elles, un autre traité est bien plus important, à savoir la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), que la Suisse a ratifiée en 1997 et dont le troisième protocole facultatif permettant le dépôt de plaintes individuelles a été accepté en 2014, en dépit de fortes résistances internes. Les dispositions les plus pertinentes concernant les enfants souffrant d’un TSA se trouvent à l’art. 23 CIDE, relatif aux droits des enfants en situation de handicap, et à l’art. 2 CIDE, relatif à la protection des enfants face à toutes les formes de discrimination, notamment celles liées à une «incapacité». Lors des différents examens des rapports étatiques livrés par la Suisse, le Comité des droits de l’enfant a relevé, pour chacun des deux derniers cycles de suivi (2009-2015 et 2019-2021), des manquements graves dans la prise en charge des enfants ayant un TSA, et a émis des recommandations spécifiques les concernant (cf. titre «évaluation des mesures et de leur application à l’aune des droits humains»).

Les normes applicables en Suisse concernant les droits des personnes en situation de handicap se trouvent en majorité dans la loi sur l’égalité pour les handicapés (LHand) ainsi que dans les trois ordonnances qui s’y rapportent. Cette loi applique l’interdiction de la discrimination, prévue à l’art. 8 al. 4 de la Constitution, dans certains domaines centraux qui comportent des obstacles pour les personnes en situation de handicap. L’article 20 alinéa 2 prévoit par exemple que les cantons encouragent l’intégration des enfants et adolescent·e·x·s en situation de handicap dans l’école ordinaire. D’autres dispositions légales sont pertinentes, notamment les textes relatifs aux assurances-maladie – pour la prise en charge des coûts liés au diagnostic par exemple – ainsi que ceux relatifs à l’assurance-invalidité (AI) – concernant par exemple le financement de mesures de «compensation des inégalités» dans le domaine de la formation et l’octroi de l’allocation pour impotent (API) ou d’une contribution d’assistance.

En Suisse, il n’existe aucune loi spécifique garantissant les droits des personnes atteintes d’un TSA. Ces dernières années en revanche, la justice a rendu plusieurs décisions en lien avec l’autisme. En matière d’intégration au sein des classes ordinaires, le Tribunal fédéral a statué dans son arrêt 2C_590/2014 du 4 décembre 2014 que les parents d’un adolescent autiste n’étaient pas tenus de verser une participation aux coûts de l’assistance dont leur fils bénéficiait dès lors que l’intégration de leur enfant en classe ordinaire représentait le meilleur projet pédagogique pour ce dernier. Mais rien n’est gravé dans le marbre: un tribunal cantonal a donné raison aux parents d’un élève autiste qui avaient déposé un recours contre la direction de l’école secondaire où était scolarisé leur fils car elle n’avait pas recommandé leur enfant pour une admission sans examen au lycée, alors même qu’il avait de bonnes notes (Droit et handicap 03/2022). Une autre décision du Tribunal fédéral (arrêt 9C_131/2022 du 12 septembre 2022) concerne la formation professionnelle et ordonne à l’office AI de réexaminer un dossier en tenant compte du marché du travail particulier qui est ouvert aux personnes atteintes d’un TSA, en vertu de la compensation des inégalités. Le Tribunal fédéral a rendu une décision historique (9C_37/2020 du 19 mai 2020) lorsqu’il a reconnu le droit des personnes présentant un TSA à bénéficier des aides financières octroyées par l’AI.

Évaluation des mesures et de leur application à l’aune des droits humains

Si le Conseil fédéral a affirmé dans son premier rapport de 2015 que la Suisse était en retard sur la question des TSA par rapport aux autres pays, les travaux qu’il a menés jusqu’en 2018 permettaient au moins de se faire une bonne idée de l’état des choses à ce moment-là et des mesures qu’il fallait urgemment mettre en place. Les recommandations et surtout les priorités qu’il a établies dans le deuxième rapport de 2018 ne coïncidaient toutefois que partiellement avec celles du Comité des droits de l’enfant (CDE).  Le Réseau suisse des droits de l’enfant le déplorait en 2015 déjà par rapport aux recommandations du premier rapport. Les paragraphes suivants s’intéresseront aux stratégies développées par la Suisse en évaluant leur conformité avec les exigences en matière de droits humains et avec les recommandations du CDE. Nous nous pencherons en outre sur l’état d’avancement de leur mise en œuvre domaine par domaine.

Données disponibles: Dans son rapport publié en 2015, le Comité des droits de l’enfant constate l’absence de données détaillées sur les enfants en situation de handicap, y compris les enfants ayant un trouble du spectre de l’autisme (n°54 a.), et enjoint à la Suisse de recueillir et d’analyser des données sur la situation de l’ensemble des enfants en situation de handicap (n°55 a.). Le rapport de recherche de 2015 commandé par le Conseil fédéral rend bien compte de l’état lacunaire et de l’hétérogénéité des données disponibles en Suisse (cf. p.9). Dans son second rapport de 2018, le Conseil fédéral consacre un domaine d’intervention entier à l’état des données (cf. p.42) en se basant sur les recommandations du Comité des droits de l’enfant. Il propose en outre d’effectuer des études épidémiologiques et de constituer un registre de l’autisme (cf. p.43), deux mesures qui sont toutefois reléguées au second degré de priorité. À la question de connaître le nombre de personnes atteintes par l’autisme, soulevée par Franziska Roth (PS/SO) dans son interpellation, le Conseil fédéral répond en février 2021 ne disposer d’aucun chiffre exact à ce sujet. Il poursuit en disant que la possibilité envisagée à l’origine de collecter des données dans le cadre du projet MARS (Modules ambulatoires des relevés sur la santé) s’est révélée inadéquate et que la centralisation de toutes les données est complexe du fait du grand nombre d’institutions impliquées. Il réitère ensuite la possibilité d’effectuer une étude épidémiologique sous la responsabilité du Fonds national suisse ou de la société de discipline médicale concernée, ainsi que celle de constituer un registre de l’autisme, qui supposerait la création d’une base légale au préalable. Dans ce domaine, aucune avancée n’est à noter, du moins jusqu’en 2021.

Inclusion: Dans le domaine de la formation, le Comité des droits de l’enfant demande en 2015 à la Suisse d’assurer aux enfants en situation de handicap, durant toute leur scolarité et leur formation professionnelle, un accès aux services d’éducation et de prise en charge inclusifs qui répondent à leur besoin (n°55 d. et e.). Si le Comité constate six ans plus tard quelques progrès dans ce domaine, il réitère sa demande, car selon certaines des dernières données disponibles, plusieurs enfants en situation de handicap, notamment des enfants autistes, n’ont pas d’autre choix que de fréquenter des classes ou des écoles spécialisées (n°33 a.). Il demande à la Suisse de donner des instructions claires aux cantons qui suivent encore une approche ségrégative (n°34 a.). Dans son second rapport, le Conseil fédéral formule treize mesures pour favoriser l’intégration scolaire et professionnelle, et attribue à neuf d’entre elles la priorité la plus élevée (en particulier dans les domaines de l’accompagnement de la transition, de la mise à disposition d’offres de soutien, et le suivi des spécialistes comme des écoles). De son côté, la conseillère nationale Roth s’interroge (point 5 de son interpellation) au sujet de la mise en œuvre de mesures permettant une meilleure inclusion dans tous les domaines de la vie sociale des enfants autistes. Le Conseil fédéral lui répond en se basant uniquement sur des données ayant trait à la scolarité obligatoire, et avance, comme preuve d’un progrès, la baisse de 40% du nombre d’élèves scolarisé·e·x·s dans des structures spécialisées, établissements dont la proportion par canton est loin d’être homogène (allant de 0,8% à 2,66%). Dans son second rapport, le Conseil fédéral présente 19 mesures en matière de logement et loisir; une seule toutefois est jugée prioritaire, à savoir «l’adaptation/l’extension des offres existantes de soutien à une vie autonome (par exemple accompagnement à domicile) en fonction des besoins des personnes souffrant d’un TSA» (14.1. p.34). Le Conseil fédéral ne détaille pas davantage l’application actuelle des mesures, ne répondant de fait pas à l’interpellation Roth. Selon le rapport de 2021 du Comité des droits de l’enfant toutefois, les enfants en situation de handicap continuent de faire l’objet de discrimination et d’exclusion sociale (n°33 d.). Ce même rapport recommande de mener des campagnes de sensibilisation afin de combattre ces phénomènes et de promouvoir une image positive de ces enfants en tant que titulaires de droits et le respect du développement de leurs capacités, dans des conditions d’égalité avec les autres enfants (n°34 g.). Parmi les mesures édictées dans le second rapport du Conseil fédéral, aucune ne vise la mise en place d’une campagne de sensibilisation d’ampleur. Seules les personnes travaillant dans les domaines de l’accueil extrascolaire ou des offres de loisir doivent être sensibilisées aux TSA, et les mesures qui le prévoient sont classées au niveau de priorité le plus bas.

Dépistage précoce, diagnostic et intervention précoce: En 2015, le Comité des droits de l’enfant recommande à la Suisse de mettre en place des mécanismes de détection précoce et de veiller à ce que les enfants ayant un TSA bénéficient effectivement de programmes de développement précoce fondés sur des connaissances scientifiques (n°55 e.). Parmi les trois axes d’intervention prioritaires définis dans le rapport du Conseil fédéral figurent le dépistage précoce et la pose de diagnostic ainsi que l’intervention précoce. Concernant le premier champ, le Conseil fédéral retient onze mesures, dont quatre de priorité élevée (ressources pour la pose de diagnostic, collaboration entre les cantons, méthode de diagnostic et formation continue). Il formule en outre six mesures se référant au deuxième champ. Parmi celles-ci, celles portant principalement sur la pérennité et l’extension des interventions précoces relèvent du plus haut degré de priorité. En réponse à la question en lien avec le dépistage précoce et la pose de diagnostic soulevée par Franziska Roth dans son interpellation, le Conseil fédéral déclare en 2021 que «d’après le rapport annuel 2019 d’Autismus deutsche Schweiz, l’évolution est à ce jour décevante. […] la situation varie fortement d’un canton à l’autre: tandis qu’à Genève, par exemple, les ressources mises à disposition pour la pose de diagnostic ont été augmentées, le canton de Fribourg a fermé son service de pose de diagnostic pour l’autisme.»

Selon le Conseil fédéral, la Confédération est uniquement responsable de l’axe prioritaire portant sur l’intervention précoce. La question du financement commun, par la Confédération et les cantons, de l’intervention précoce intensive auprès des enfants autistes en âge préscolaire est au centre d’un long processus, et la garantie du maintien à long terme de ce financement a fait l’objet d’un projet pilote. Le Département fédéral de l’intérieur (DFI) publie en février 2021 un rapport final au sujet du projet intitulé «Interventions précoces intensives auprès d’enfants atteints d’autisme infantile (IPI)». En novembre 2022, l’ordonnance relative au projet pilote est prolongée avec succès, à défaut d’avoir trouvé une manière d’intégrer le projet à la législation ordinaire. Toujours dans le domaine de l’intervention précoce, le Conseil fédéral souligne dans sa réponse à l’interpellation Roth la création de trois nouveaux centres dans le canton de Vaud, au Tessin et en Thurgovie, ainsi que les deux projets de centres prévus à Berne et à Winterthour.

Conseil et coordination: En 2021, le Comité des droits de l’enfant adresse à la Suisse deux nouvelles recommandations: elle doit d’une part veiller à ce que les parents d’enfants en situation de handicap continuent de bénéficier de formations, de conseils et de mesures de soutien adaptés (n°34 f.) et d’autre part assurer le bon financement de ces mesures (n°34 c.). Ces recommandations recoupent parfaitement le dernier axe d’intervention prioritaire – et sans doute le plus important, au vu de ses répercussions sur les autres domaines – défini dans le second rapport du Conseil fédéral. L’objectif recherché est le suivant: «Les parents, les proches, les patients (et les institutions) bénéficient de prestations de conseil, de soutien et d’accompagnement suffisantes, coordonnées et continues, fournies par des professionnels, en ce qui concerne les thérapies et les aspects relatifs à la famille, aux loisirs, à l’école, à la formation, au travail et au logement.» De cet objectif découlent quatre mesures, regroupées sous le titre «Création d’un centre de compétence», dont trois relèvent de la priorité la plus élevée (conseil aux personnes concernées, accompagnement individuel des personnes concernées tout au long de leur vie, mise en réseau des différents acteurs et élaboration d’une vision commune sur l’autisme). Une des questions de la conseillère nationale Roth vise à savoir comment sont assurées la collaboration et la coordination de tous les acteurs impliqués, essentielles pour une mise en œuvre fructueuse des mesures, et interroge la Confédération quant à son rôle dans ce domaine. La réponse du Conseil fédéral est éloquente: il soutient qu’il est uniquement en charge de garantir l’intervention précoce, ce qui signifie qu’aucune responsabilité ne lui incombe pour toutes les mesures qui sont du ressort d’autres acteurs (elles le sont presque toutes), et qu’il ne prévoit pas de contrôler leur application. Il indique toutefois assurer un suivi de l’évolution de ces mesures dans les différents cantons en mettant systématiquement les TSA à l’ordre du jour du «Dialogue national sur la politique sociale» entre la Confédération et les cantons. Il ajoute que le conseil et le suivi des personnes en situation de handicap se trouvent renforcés pendant toute la durée de la procédure AI par l’entrée en vigueur, le 1er janvier 2022, du Développement continu de l’AI (DCAI), réforme qui bénéficie également aux personnes atteintes d’un TSA. Grâce à la DCAI, l’AI peut donc cofinancer les offres transitoires cantonales visant la réadaptation des jeunes et leur intégration au sein de la formation professionnelle, ce qui inclut également la coordination. Il poursuit en indiquant que dans le contexte de la formation préscolaire et scolaire (obligatoire), la collaboration et la coordination des acteurs impliqués sont garanties par les services et les autorités cantonales en charge de la pédagogie spécialisée (cf. Concordat sur la pédagogie spécialisée et Concepts cantonaux de pédagogie spécialisée). Pour les enfants d’âge préscolaire, les services de pédagogie curative spécialisée assument cette fonction en étroite collaboration avec les familles. Selon les besoins, ces services assurent également la collaboration avec d’autres spécialistes et services, notamment en ce qui concerne les mesures médico-thérapeutiques, l’accueil de la petite enfance, le travail social et la protection de l’enfance. Lorsque les enfants sont scolarisés dans une école ordinaire (classe ordinaire ou classe spécialisée), la coordination incombe au personnel pédagogique et thérapeutique (pédagogie curative scolaire, logopédie, psychomotricité, psychologie scolaire, travail social en milieu scolaire) ou à la direction de l’école. Pour les enfants inscrits dans une école spécialisée, cette tâche incombe à l’école. Enfin, il souligne la mise en place de services de conseil supplémentaires à Lausanne et à Zurich par l’organisation faîtière «Autisme Suisse» afin de répondre à la demande croissante.

Formation du personnel qualifié: Le Comité des droits de l’enfant constate en 2015 des lacunes dans la formation des professionnel·le·x·s s’occupant des enfants ayant un TSA (n°54 d.) et demande l’intensification des mesures permettant une formation adéquate du personnel qualifié (n°55 e.) Il répètera ces requêtes six ans plus tard (n°34 b.), en insistant surtout sur la formation des enseignant·e·x·s qui encadrent les enfants durant leur scolarité obligatoire. Le Conseil fédéral dédie tout un chapitre de son rapport de 2018 à la formation des acteurs concernés par la thématique de l’autisme, sous la rubrique «autres domaines d’intervention» (p.41). Il édicte six mesures et attribue la priorité la plus élevée aux quatre d’entre elles visant soit à garantir la présence d’un·e interlocuteur·ice·x TSA dans chaque canton, soit à développer les compétences spécialisées internes des établissements. L’intégration de la thématique de l’autisme dans les formations initiales et continues relève en revanche de la priorité intermédiaire. La question de la formation n’est pas du tout abordée dans la réponse du Conseil fédéral à l’interpellation Roth. Pour chacun des récents scandales dans des établissements à Genève, dans le canton de Vaud ou aux Grisons, le manque de formation du personnel soignant a été mis en cause, ce qui témoigne d’un besoin bien réel en la matière en particulier dans le cadre de la prise en charge institutionnelle des personnes atteintes d’un TSA.

Méthodes de traitement: Le Comité des droits de l’enfant mentionne dans son rapport de 2015 le fait qu’en Suisse, et en particulier dans le canton de Genève, des membres du personnel soignant ont recours à la technique du «packing» (enveloppement de l’enfant dans des draps humides et froids), ce qui est assimilable à des mauvais traitements (n°54 e.). Il demande donc l’interdiction de cette pratique (n°55 f.), requête qu’il réitère en 2021 (n°34 d.), en exigeant en parallèle de favoriser la spécialisation du personnel qualifié dans les troubles du spectre de l’autisme. De tels «traitements» sont sanctionnés par l’art. 3 (interdiction de la torture) de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) ainsi que par l’art. 15 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées (droit de ne pas être soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants). Ni le projet de recherche (2015) ni le rapport du Conseil fédéral ne se saisissent de ce problème. Les scandales déjà mentionnés attestent pourtant des graves manquements qui subsistent dans la pratique lors du traitement des personnes atteintes de TSA, en particulier lorsque ces traitements s’inscrivent dans une prise en charge institutionnelle.

Internement des enfants et des jeunes souffrant d’un handicap: Le Comité formule en 2015 des observations et des recommandations très complètes dans ce domaine. Il constate un manque d’information en Suisse sur les mesures qui sont prises pour prévenir le placement d’enfants en situation de handicap dans des services psychiatriques et pour que ces enfants ne soient pas arbitrairement privé·e·x·s de leur droit de recevoir la visite de leurs parents (n°54 f.), et demande instamment à la Suisse de prendre toutes les mesures nécessaires pour éviter que de telles choses se produisent (n°55 g.). Dans son rapport de 2021, le Comité constate que les enfants en situation de handicap, y compris les enfants autistes, sont encore parfois placé·e·x·s en institution, et doivent parfois y cohabiter avec des adultes (n°33 c.). Partant de ce constat, il recommande à l’État:

  • d’améliorer l’offre de services de soutien adaptés aux enfants en situation de handicap afin d’éviter leur placement dans des institutions spécialisées (n°34 e.);
  • de renforcer les mesures visant à réduire la durée du séjour des enfants en institution, notamment en allouant des moyens suffisants aux services de protection de l’enfance et aux services de formation, de soutien et d’accompagnement proposés aux parents d’accueil et aux parents adoptifs (n°31 c.);
  • de veiller à ce que les enfants qui font l’objet d’une protection de remplacement soient entendu·e·x·s dans le cadre des décisions qui les concernent, et ce tout au long de leur placement, et que les autorités compétentes aient les moyens techniques nécessaires pour garantir le respect de l’opinion de ces enfants (n°31 d.);
  • De faire en sorte que les enfants ne soient séparé·e·x·s de leur famille que si leur intérêt supérieur le justifie et sous réserve de contrôle judiciaire, conformément à l’article 9 (par. 1) de la Convention [internationale des droits de l’enfant], et à ce que la pauvreté et le handicap, y compris le trouble du spectre autistique, ne constituent jamais un motif de placement (n°31 e.).

Dans son second rapport, le Conseil fédéral n’aborde pas directement les moyens permettant d’éviter l’internement des personnes atteintes d’un TSA dans des établissements psychiatriques ou des foyers. S’il propose effectivement des mesures concernant le logement et l’aide aux familles, il ne les intègre à aucun axe d’intervention prioritaire. Par ailleurs, une seule de ces mesures relève de la priorité maximale, à savoir celle portant sur l’adaptation et l’extension des offres existantes de soutien à une vie autonome en fonction des besoins des personnes souffrant d’un TSA. Les mesures visant la conception de nouvelles offres et celles venant en aide aux familles sont reléguées aux degrés de priorité 2 et 3. Dans son interpellation, la conseillère nationale Roth répète les conclusions d’une étude de 2016 portant sur la prise en charge des personnes souffrant de maladies psychiques qui avait identifié des lacunes dans la prise en charge des personnes atteintes d’autisme (manque d’offres facilitant la transition entre la jeunesse et l’âge adulte, manque de connaissances spécifiques chez les spécialistes et longs délais d’attente). Sur cette base, elle demande si des données quantitatives comme qualitatives ont été récoltées sur la manière dont les mesures définies dans le rapport de 2018 ont permis une amélioration concrète de la situation des personnes souffrant de TSA. Le Conseil fédéral lui répond que: «Aucune donnée spécifique n’est disponible à ce sujet. Sur la base du rapport adopté par le Conseil fédéral en 2016 en application du postulat Stähelin «Avenir de la psychiatrie», la Confédération s’engage tout particulièrement en faveur d’une extension des offres de prise en charge intermédiaire (cliniques de jour, services psychiatriques mobiles), offres qui sont aussi importantes pour les personnes atteintes d’un TSA.»

Un fossé sépare les priorités du gouvernement et celles des personnes concernées

Le premier rapport du Conseil fédéral publié en 2015 déçoit beaucoup les associations actives dans le domaine des TSA, puisqu’il ne contient aucune mesure immédiate. Les associations critiquent en outre le refus de la Confédération de se déclarer compétente pour définir une stratégie nationale dans le domaine de l’autisme – quand bien même elle vient de le faire pour la médecine palliative et pour la démence – refus motivé par le grand nombre d’acteurs impliqués. L’argument peut sembler étrange lorsque l’on voit que la coordination des différents acteurs est justement l’un des axes d’intervention prioritaire définis par le Conseil fédéral. Enfin, la Confédération ne déploie aucun effort en vue d’élaborer une base légale permettant la création d’un registre de l’autisme qui contribuerait à l’amélioration de l’état des données. En l’absence d’une coordination à l’échelle nationale, de contrôles d’application des mesures, et d’une collecte de données centralisée, il faut s’attendre à ce que la situation reste opaque et que les avancées se fassent à pas de tortue.

Les priorités établies par le Conseil fédéral dans le domaine du dépistage précoce, de la pose de diagnostic et de l’intervention précoce ne coïncident pas vraiment avec les recommandations du Comité des droits de l’enfant. Par exemple, seule une minorité des personnes atteintes d’un TSA sont concernées par les mesures prévues, notamment dans le domaine de l’intervention précoce qui relève de la compétence de la Confédération: en effet, moins d’un tiers des personnes autistes souffrent d’un trouble sévère pouvant être diagnostiqué très tôt. En corollaire, la majorité des personnes atteintes d’un TSA, et en particulier celles dites «autistes à haut niveau de fonctionnement» dont le nombre continue d’augmenter, ne disposent que très tardivement d’un diagnostic et sont laissées de côté. De plus, les mesures décidées dans le domaine de l’aide aux familles et du logement ne relèvent ni d’un axe prioritaire d’intervention ni d’un degré de priorité élevé, malgré les conclusions du projet de recherche datant de 2015: «Pour le groupe des jeunes adultes atteint·e·x·s du syndrome d’Asperger ou d’autisme de haut niveau, on observe dans l’ensemble un manque évident de concepts individualisés pour accompagner la transition entre la vie en famille et la vie autonome ou avec un soutien à domicile, et propres à les aider à organiser leur vie quotidienne.» Le rapport souligne en outre l’incertitude qui plane quant à l’identité de l’acteur devant financer ces nouveaux concepts. Parmi les huit recommandations qui concluent le rapport, une concerne le développement conceptuel et la mise en œuvre concrète des offres de soutien aux familles et de développement de l’autonomie (Recommandation 7). Cette recommandation est complétée par la recommandation subsidiaire suivante: «Pour favoriser la réussite de la transition à une vie autonome, des modèles appropriés d’hébergement et d’encadrement répondant aux besoins spécifiques des jeunes adultes souffrant du syndrome d’Asperger ou d’autisme de haut niveau doivent être développés et mis en place.» Trois ans plus tard, le Conseil fédéral ne retient qu’une seule mesure prioritaire dans ce domaine, concernant l’adaptation et l’extension des offres existantes en fonction des besoins des personnes atteintes d’un TSA.

Il est également incompréhensible de limiter aux domaines «protégés» les mesures d’aide aux familles, ce qui revient à ne soutenir que les familles des personnes atteintes par une forme sévère de TSA et à écarter celles des personnes dites «à haut niveau de fonctionnement». Il faut pourtant éviter à tout prix que ces personnes soient exclues du système, et considérer le logement dans son ensemble à la lumière des besoins spécifiques des personnes ayant un TSA: il faut notamment tenir compte de leur difficulté à gérer un changement, que celui-ci survienne dans leur routine quotidienne, dans leur environnement ou parmi leurs personnes de référence. Partant de ce constat, il est étonnant de voir parmi les mesures proposées par le gouvernement le développement des hébergements de courte durée pour les enfants et les adultes (19. p.39). Quelles mesures sont donc prévues pour les situations analogues à celle de Theo W., lorsqu’un jeune dit «Asperger» se retrouve en grande difficulté et que sa famille est dépassée? Pourquoi l’internement dans un service de psychiatrie est-il, dans cette situation, conseillé et pratiqué par le personnel soignant?

Il est plutôt alarmant de constater qu’un certain nombre de recommandations du Comité des droits de l’enfant concernant la prise en charge institutionnelle n’ont pas été reprises. Les mesures proposées par le gouvernement et les recommandations du Comité se recoupent-elles? Poursuivent-elles le même but, à savoir celui de ne retirer à sa famille un·e enfant souffrant d’un TSA que si son environnement n’est pas sain et d’éviter l’internement d’enfants dans des centres spécialisés, notamment en institutions psychiatriques? Dans le cas de Theo W., la situation s’est dégradée après son placement dans un service psychiatrique, et son histoire n’est pas une exception. En outre, les scandales qui se sont produits dans des établissements à Genève, Saint-Légier ou dans les Grisons sont la preuve qu’une action est absolument nécessaire dans le domaine de la prise en charge institutionnelle. Le fait que ce volet ne figure pas parmi les priorités de la Confédération est très inquiétante. L’inquiétude monte encore d’un cran quand, à la question de Franziska Roth: «que faut-il faire, du point de vue de la Confédération, pour améliorer durablement la situation des personnes atteintes d’un trouble du spectre de l’autisme?», le Conseil fédéral répond que «différents travaux visant à améliorer la situation des personnes atteintes de TSA sont en cours. Grâce à un échange régulier avec les cantons, la Confédération observe l’évolution sur le terrain.»

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