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Interdiction de contact et interdiction de périmètre en Suisse

07.10.2013

L’initiative fédérale de la Marche Blanche «pour que les pédophiles ne travaillent plus avec des enfants» exige que les personnes condamnées pour avoir porté atteinte à l’intégrité sexuelle d’un enfant ou d’une personne dépendante soient définitivement privées du droit d’exercer une activité professionnelle ou bénévole avec ces deux groupes de personnes.

Mais l’aspect automatique de l’interdiction pose problème dans la mesure où il ne respecte pas le principe fondamental de proportionnalité. C’est pourquoi le parlement et la Confédération ont réalisé un contre-projet indirect: un durcissement du code pénal qui devrait entrer en vigueur en 2015. En plus d’une interdiction d’exercer circonscrite dans le temps, il s’agirait également d’inscrire dans le droit pénal l’interdiction géographique et de contact.
Jusque-là réservées à des cas précis, tels que le hooliganisme et la violence conjugale, l’interdiction de contact et l’interdiction de périmètre deviendraient des outils généraux du droit pénal. Un changement à prendre avec précaution.

Interdictions de périmètres et droits humains

Alors que l’interdiction de contact assure qu’une personne en particulier ne puisse plus rentrer en contact avec une autre, ou avec un groupe de personnes, l’interdiction de périmètre prévoit quant à elle que la personne concernée ne puisse plus, pour une durée donnée, se rendre dans des zones géographiques définies.

Cela représente une restriction claire au droit fondamental qu’est la liberté de mouvement (art. 10 Cst.). Une telle restriction est de fait possible si elle repose sur une base légale et qu’elle constitue une mesure nécessaire à la sécurité nationale ou à la protection des droits et des libertés d’autrui. Sans oublier qu’elle doit évidemment respecter le principe de proportionnalité. Toutes des conditions claires qui n’évitent cependant d’ores et déjà pas les dérives, comme l’a démontré récemment l’interdiction critiquable de périmètre annoncée par l’Office fédéral des migrations pour les requérant-e-s d’asile du centre d’hébergement de Bremgarten (voir notre article du 27 août 2013).

Utilisation actuelle dans…

…le droit pénal

Dans le code pénal (CP), il est inscrit que les tribunaux et les autorités d’exécution peuvent interdire à une personne condamnée d’approcher une personne ou un lieu, sous forme de règles de conduite émises pendant le délai d’épreuve. L’article 66 du CP permet également de soumettre à l’interdiction de contact une personne ayant proféré des menaces.

…le droit civil

L’article 28b du code civil prévoit également l’interdiction de contact et de périmètre en cas de violence, de menaces ou de harcèlement.

…le concordat sur le hooliganisme

Le concordat intercantonal instituant des mesures contre la violence lors de manifestations sportives, adopté le 15 novembre 2007 et modifié en 2012, précise que des «témoignages crédibles ou les prises de vue de la police, de l’administration des douanes, du personnel de sécurité ou des fédérations et associations sportives» (art. 3) suffisent pour mettre en œuvre contre une personne une interdiction de périmètre valable un an et jusqu' à trois ans dans les cantons qui ont adopté le condordat révisé (art. 4 et 5).

…le droit des étrangers

L’article 74 al. 1 de la Loi fédérale sur les étrangers autorise l’autorité cantonale compétente à enjoindre à un étranger «de ne pas quitter le territoire qui lui est assigné ou de ne pas pénétrer dans une région déterminée» s’il ne dispose pas d’un permis de séjour valable ou s’il menace l’ordre public.

Des interdictions au rang d’instruments généraux

En plus de ces différents moyens d’appliquer l’interdiction de contact et de périmètre à des cas particuliers, il s’agirait maintenant d’inscrire ces interdictions directement dans le code pénal dans le cadre du contre-projet indirect du Conseil fédéral (CF) vis-à-vis de l’initiative de la Marche blanche.
Voilà qui signifierait, concrètement, qu’en cas de crime ou de délit avéré, n’importe quel tribunal aurait la compétence d’infliger au coupable, en plus des autres mesures, une interdiction de contact et/ou de périmètre de cinq ans renouvelable. Il suffirait d’une simple crainte que le condamné récidive en présence de sa victime pour que la mesure soit applicable. Le projet de loi ne propose aucune autre précision qui permettrait de cadrer l’usage d’une mesure représentant pourtant une atteinte à un droit fondamental. La notion de «crime ou délit» reste vague et rien n’est dit quant à la façon dont le danger de récidive sera ou non évalué. Un flou d’autant plus étonnant que l’interdiction d’exercer une profession, toujours en rapport avec l’initiative de la Marche blanche, est quant à elle précisément circonscrite.

COMMENTAIRE HUMANRIGHTS.CH

L’interdiction de contact et l’interdiction géographique sont des instruments efficaces et nécessaires lorsqu’ils sont utilisés au cas par cas, pour des raisons valables et dans le respect du principe de proportionnalité. C’est le cas notamment de l’éloignement du fautif dans les situations de violences conjugales ou de harcèlement obsessionnel, sans parler de garder les hooligans loin des stades. Mais pour toutes ces situations, des outils juridiques existent déjà.

Le CF lui-même admet d’une part qu’ils permettent d’ores et déjà de circonscrire bon nombre de situations et d’autre part que les interdictions de contacts et de périmètres ne sont pas les instruments les plus adaptés contre les pédophiles. Comment faire en effet pour appliquer ces interdictions alors que les enfants sont partout présents dans notre environnement? Une telle interdiction ferait peu de sens, en plus d’être irréalisable. Si un pédocriminel, après l’exécution de sa peine, est toujours considéré comme présentant un danger réel pour des enfants, l’instrument légal utilisé doit dans tous les cas être plus radical que des interdictions géographiques ou de contact.
Sous couvert de lutter contre la pédophilie, on met donc avec ces interdictions un instrument puissant entre les mains des juges alors même qu’on les reconnait peu efficaces contre les pédophiles. De plus, le manque de cadre émis pour limiter l’utilisation de cette mesure fait craindre qu’on en abuse, en toute légalité, dans le cadre de dérives sécuritaires telles qu’on en connait régulièrement. Afin d’exclure ce risque, il faut impérativement que l’interdiction géographique et l’interdiction de contact applicables pour des personnes condamnées soient formulées de la façon la plus précise possible. Voilà l’unique façon d’en garantir une utilisation raisonnable et proportionnelle. L’initiative de la Marche blanche ne doit pas donner carte blanche aux juges!

Sources