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Motarjemi vs. Nestlé

Motarjemi contre Nestlé: un combat pour la santé publique, les droits humains et la liberté d'expression

13.03.2023

Yasmine Motarjemi s'est battue seule pendant des années contre son ancienne employeuse, la multinationale Nestlé. Après plus de dix ans de procès, la Cour d’Appel du Canton de Vaud a statué en sa faveur en mars 2020 et a condamné Nestlé en janvier 2022.


Mme Motarjemi avait accusé Nestlé de harcèlement moral systématique, aussi qualifié de «mobbing», mais derrière cette accusation se cachait une autre histoire. En tant que cadre dans la multinationale, elle avait découvert de nombreuses lacunes dans la sécurité alimentaire de l’entreprise, qui avait été sciemment ignorées par les membres de la direction.

La relation de travail entre Nestlé et Mme Motarjemi débute en 2000 lorsque l’entreprise recrute l'experte en sécurité alimentaire de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Yasmine Motarjemi gravit ensuite rapidement les échelons de la hiérarchie du contrôle alimentaire interne en tant que «Directrice de sécurité sanitaire des aliments au niveau mondial». Durant ses premières années dans sa fonction, on la félicite constamment pour son excellent travail.

Dès son arrivée Mme Motarjemi découvre de nombreux dysfonctionnements et des lacunes dans la gestion de la sécurité des aliments. En 2003, elle prend conscience avec choc que les biscuits pour bébés de Nestlé n'avaient pas été retirés du marché malgré de nombreuses plaintes concernant les risques d'étouffement. Plus tard, elle alerte sur d’autres dysfonctionnements, tels que la négligence dans la gestion des contaminants chimiques, notamment la mélamine. Toutefois, ses supérieur·e·x·s ne prennent pas en compte ses conseils et avertissements. Yasmine Motarjemi établit alors un lien avec une nouvelle règle de l'entreprise qui lie les bonus des managers aux rappels de produits. Elle relève dans une lettre que cela a pu décourager les responsables de rappeler les produits contaminés et les a incités à harceler et à licencier le personnel récalcitrant. 

C'est exactement le sort qui lui est réservé lorsqu’elle fait part de ses critiques. Son supérieur tente de l’intimider et de l’humilier de diverses manières. Motarjemi exige un audit de son service et la gestion de la sécurité alimentaire, qui lui est étonnement catégoriquement refusé. À la place, une enquête imparfaite et biaisée est menée sur les tentatives d’intimidation qu'elle avait signalées aux RH et à la direction de l'entreprise plus de trois ans auparavant.

En juillet 2010, la direction annonce le licenciement de Motarjemi, le motivant par des différences d'opinion. Depuis lors, choquée et traumatisée par cette expérience, elle souffre de graves problèmes de santé mentale et n'est plus en mesure de travailler. En 2011, elle décide malgré tout de poursuivre Nestlé en justice pour mobbing. Le service juridique de la multinationale fait appel et usage de mesures dilatoires à maintes reprises, retardant le procès de plusieurs années. En décembre 2015, les PDG de Nestlé (Paul Bulcke) et de Nespresso (Jean-Marc Duvoisin) ainsi que deux autres directeurs généraux de Nestlé ont dû comparaître devant un tribunal, faisant la une des journaux.

Le 7 janvier 2020, le Tribunal cantonal vaudois de deuxième instance juge finalement que la plaignante avait été intimidée par ses supérieur·e·x·s d'une «manière insidieuse», ce qui a brisé sa carrière brillante et l’a soumise à une souffrance longue et intense. Le tribunal reconnaît la nature fallacieuse de l'enquête pour harcèlement menée par la direction et le refus de donner suite aux alertes de Mme Motarjemi. Nestlé fait également appel, qui est rejeté par le Tribunal fédéral. En mars 2020, la plus haute juridiction suisse renvoie l'affaire devant le tribunal de première instance pour le calcul des indemnités. En janvier 2023, Nestlé annonce qu'elle renonce à faire recours devant le Tribunal fédéral: la multinationale ne conteste plus le harcèlement qu’a subi Yasmine Motarjemi. L’entreprise est à présent tenue de lui verser une indemnisation, comprenant 2 millions de francs pour perte de gain, 100 000 francs pour frais de justice, ainsi qu'un franc symbolique pour tort moral. Yasmine Motarjemi revient sur le procès et le contexte dans lequel il s'inscrit dans un entretien réalisé en mars 2023.

Au-delà de son action devant les tribunaux suisses, Yasmine Motarjemi a porté son expérience devant plusieurs instances de réglementation et autorités de santé publiques, en France, aux États-Unis et au sein de l'Union européenne sans pour autant obtenir leur soutien. D'autres incidents ont ainsi lieu: en 2022 en France, Nestlé est impliquée dans une grave toxi-infection alimentaire de 55 personnes, principalement des enfants, dont deux de deux et huit ans en sont décédés. Motarjemi explique qu'elle est une des rares scientifiques à avoir analysé les fautes commises.

Au total, Yasmine Motarjemi a investi à ce jour environ un million de francs suisses dans la procédure judiciaire, épuisant les économies d’une vie de travail. Au litige avec Nestlé s'est ajoutée une procédure d'arbitrage avec son assurance de protection juridique AXA, à laquelle Motarjemi s'est adressée lorsque Nestlé a refusé de donner suite à ses réclamations. L'assureur lui a assuré son soutien et a mandaté un avocat spécialisé dans le whistleblowing. Lorsque ce dernier a adressé une lettre à la direction de Nestlé pour solliciter une rencontre, Motarjemi a été licenciée sans réponse à sa demande. Elle décide alors de porter plainte, entraînant un conflit avec AXA, qui insiste pour obtenir un règlement extrajudiciaire. Motarjemi gagne finalement la procédure d'arbitrage contre AXA au niveau fédéral, qui avait fait appel. L’assureur est ainsi contraint de financer des frais de justice à hauteur d'environ 250 000 francs pour la procédure contre Nestlé. AXA refuse cependant de payer les frais de son propre arbitrage et d'accepter Motarjemi comme cliente pour de futurs litiges. Or, Nestlé avait entamé d'autres procédures contre Motarjemi, par le biais de son Fonds de pension notamment, entraînant l’ouverture d'un autre procès. En 2015, Motarjemi gagne ce procès et le la Cour des assurances sociales note qu'elle est une personne honnête disposant d’un sens des responsabilités hors norme. Petit détail: en 2012, alors que la procédure d'arbitrage était en cours, Nestlé avait fait entrer dans son conseil d'administration le PDG d'AXA, Henri de Castries, en tant que responsable de l'audit de l’entreprise.

Depuis de nombreuses années, ONG et privés accusent Nestlé de suivre une stratégie d'entreprise impitoyable et avide de profits peu soucieuse des personnes et l'environnement. La stratégie de Nestlé consistant à s’approprier les ressources naturelles dans les pays en développement ainsi que de nombreux scandales alimentaires ont fait la une des journaux du monde entier. Cependant, la multinationale a rarement été tenue responsable de ses actes par le passé. Il est d'autant plus remarquable que Yasmine Motarjemi y soit parvenue, et ce en Suisse, à travers ce litige stratégique.

Pour le courage dont elle a fait preuve en dénonçant les abus et en prenant des mesures contre la puissante mutlinationale de l’alimentaire Nestlé, Yasmine Motarjemi a été nominée pour le Prix Courage du Beobachter.

L'histoire de Yasmine Motarjemi a été mise en scène par le Theater Neumarkt de Zurich sous la forme d'une pièce documentaire intitulée «Whistleblower/Elektra». Vous pouvez trouver l'enregistrement ici.

contact

Marianne Aeberhard
Responsable Projet Accès à la justice / Directrice de l'association

marianne.aeberhard@humanrights.ch
031 302 01 61
Jours de présence au bureau: Lu/Ma/Me/Ve

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