15.09.2022
Au printemps 2022, le Tribunal fédéral a rendu plusieurs arrêts portant sur l'absence de consentement dans le cadre de relations sexuelles. Ces arrêts mettent en évidence des lacunes dans le droit pénal sexuel en vigueur et contreviennent aux obligations de la Suisse en matière de droit international. Ils alimentent en outre le débat sur la révision du droit pénal en matière sexuelle en cours.

En mars 2022, le Tribunal fédéral a estimé que dans le droit pénal en matière sexuelle actuellement en vigueur, l'absence de consentement à un acte sexuel ne suffisait pas à qualifier l'infraction de contrainte sexuelle ou de viol. En septembre 2020, le Tribunal correctionnel du canton de Genève avait condamné un homme pour contrainte sexuelle et viol, qui avait fait appel auprès de la Chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice de Genève et avait été acquitté de ces chefs d’accusation. La femme concernée avait alors recouru contre cette décision auprès du Tribunal fédéral. Celui-ci a rejeté son recours en mars 2022, le motivant par l'absence de l'élément de contrainte et d’intention, requis comme éléments constitutifs des articles 189 et 190 du Code pénal. La contrainte suppose que la victime ne consent pas à un acte sexuel et que la personne qui commet l'acte le sait ou s’en rend compte mais passe outre par l'abus de la situation ou l'utilisation de certains moyens.
Selon le Tribunal fédéral, l'élément de contrainte n'apparaît pas clairement dans le cas présent, car la crédibilité des deux parties était moyenne, d'égale façon, et qu'il existe des divergences concernant le déroulement des faits et le consentement de la plaignante. Selon le principe de la légalité («pas de peine sans loi»), il n'était donc pas possible de punir l'auteur des faits, car on ne peut renoncer à l'élément constitutif de la contrainte qu'en modifiant la législation.
En mai 2022, le Tribunal fédéral a ensuite décidé dans deux cas (bâlois et zurichois) que le retrait furtif et non consenti du préservatif pendant les rapports sexuels - ce que l'on appelle le stealthing - ne tombait pas sous le coup de l'infraction d’« actes d’ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance » (art. 191 CP). Le Tribunal fédéral a fondé cette décision par le fait que la victime n’avait pas apporté d'élément constitutif de l'infraction d’incapacité de résistance exigée par la norme pénale. Certes, la victime n'a pas la possibilité de s’opposer si le préservatif est retiré à son insu, mais elle n’est pas impuissante pour s’opposer physiquement à cet acte si elle s'en rendait compte.
Le Tribunal fédéral a jugé à deux reprises, en mars et en mai 2022, que les engagements de la Suisse en droit international n’étaient pas pertinents pour interpréter le droit pénal suisse en matière sexuelle. Selon la Convention européenne des droits de l'homme, tous les États parties sont tenus de punir et de poursuivre les actes sexuels non consentis (art. 3 CEDH, art. 8 CEDH), ce que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme a déjà confirmé (arrêt 39272/98). Dans son arrêt de mai 2022, le Tribunal fédéral a considéré que l’infraction de stealthing échappait à la législation pénale mais que ce n’est pas en interprétant le droit international qu’on pouvait combler cette «lacunes de punissabilité». En Suisse, seuls les actes qui sont explicitement punis par le droit suisse peuvent être sanctionnés. Par ailleurs, la Convention d'Istanbul ratifiée par la Suisse (art. 36 par. 2) oblige les États parties à rendre punissables les actes sexuels qui soumettent intentionnellement une personne sans son consentement. Dans le cas genevois, Selon l'arrêt rendu par le Tribunal fédéral en mars, il importe peu que les articles relatifs à la contrainte sexuelle (art. 189 CP) et au viol (art. 190 CP) du Code pénal suisse répondent aux exigences de la Convention d'Istanbul. Les juges considèrent qu’aucun droit subjectif ne découle de la Convention d'Istanbul pour la personne qui s'en prévaut. La plaignante a donc décidé de porter son cas devant la Cour européenne des droits de l'homme. Dans son arrêt de mai 2022, le Tribunal fédéral précise que les obligations de droit international s'adressent principalement au législateur.
Le droit pénal suisse en matière sexuelle est actuellement en cours de révision. La détermination du caractère consenti de l'acte sexuel fait notamment l'objet d'un débat politique. La section suisse d'Amnesty International et Opération Libero mènent une vaste campagne en faveur de la solution du consentement - seul un oui est un oui - dans le droit pénal sexuel. Selon cette solution, le consentement explicite de toutes les personnes concernées est nécessaire pour qu’un acte sexuel soit légal. Le Conseil des États s'est toutefois déjà rallié aux recommandations du Conseil fédéral et de la Commission des affaires juridiques du Conseil des États, et s'est prononcé en faveur de la solution du refus («non, c’est non»). Selon cette proposition, seuls les actes sexuels explicitement refusés par une personne et effectués ensuite contre sa volonté seraient punissables. Après le jugement sur le stealthing, plusieurs membres du Conseil national et du Conseil aux États se sont à nouveau prononcé·e·x·s en faveur de la solution du consentement explicite, car avec la solution du refus, le stealthing resterait, dans certaines circonstances, impuni, car il ne releverait ni de la qualification d’«actes d’ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance», ni de celle de viol.
Les procédures judiciaires menées dans ce domaine jusqu’à maintenant n'ont pas permis d'obtenir le changement de pratique juridique souhaité. Ainsi, comme l'affirme le Tribunal fédéral, c’est la législation qui doit changer, par l'intervention d'acteur·trice·x·s politiques. Par le biais de campagnes et d'un travail de communication et de lobbying, en écho notamment avec la jurisprudence, la société civile tente désormais de sensibiliser les politicien·ne·x·s à cette problématique. Ces cas d’espèce révèlent ainsi clairement que, dans certains cas, les décisions judiciaires n'ont aucun effet sans l'engagement de la société civile et le travail de plaidoyer. Une campagne se référant à plusieurs litiges est par ailleurs d’autant plus stratégique.
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Marianne Aeberhard
Responsable Projet Accès à la justice / Directrice de l'association
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