16.08.2023
Au printemps 2022, le Tribunal fédéral a rendu plusieurs arrêts portant sur l'absence de consentement dans le cadre de relations sexuelles. Ces arrêts mettent en évidence des lacunes dans le droit pénal sexuel en vigueur et contreviennent aux obligations de la Suisse en matière de droit international. Ils alimentent en outre le débat sur la révision du droit pénal en matière sexuelle en cours.
En mars 2022, le Tribunal fédéral a estimé que dans le droit pénal en matière sexuelle actuellement en vigueur, l'absence de consentement à un acte sexuel ne suffisait pas à qualifier l'infraction de contrainte sexuelle ou de viol. En septembre 2020, le Tribunal correctionnel du canton de Genève avait condamné un homme pour contrainte sexuelle et viol, qui avait fait appel auprès de la Chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice de Genève et avait été acquitté de ces chefs d’accusation. La femme concernée avait alors recouru contre cette décision auprès du Tribunal fédéral. Celui-ci a rejeté son recours en mars 2022, le motivant par l'absence de l'élément de contrainte et d’intention, requis comme éléments constitutifs des articles 189 et 190 du Code pénal. La contrainte suppose que la victime ne consent pas à un acte sexuel et que la personne qui commet l'acte le sait ou s’en rend compte mais passe outre par l'abus de la situation ou l'utilisation de certains moyens.
Selon le Tribunal fédéral, l'élément de contrainte n'apparaît pas clairement dans le cas présent, car la crédibilité des deux parties était moyenne, d'égale façon, et qu'il existe des divergences concernant le déroulement des faits et le consentement de la plaignante. Selon le principe de la légalité («pas de peine sans loi»), il n'était donc pas possible de punir l'auteur des faits, car on ne peut renoncer à l'élément constitutif de la contrainte qu'en modifiant la législation.
En mai 2022, le Tribunal fédéral a ensuite décidé dans deux cas (bâlois et zurichois) que le retrait furtif et non consenti du préservatif pendant les rapports sexuels - ce que l'on appelle le stealthing - ne tombait pas sous le coup de l'infraction d’«actes d’ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance» (art. 191 CP). Le Tribunal fédéral a fondé cette décision par le fait que la victime n’avait pas apporté d'élément constitutif de l'infraction d’incapacité de résistance exigée par la norme pénale. Certes, la victime n'a pas la possibilité de s’opposer si le préservatif est retiré à son insu, mais elle n’est pas impuissante pour s’opposer physiquement à cet acte si elle s'en rendait compte.
Le Tribunal fédéral a jugé à deux reprises, en mars et en mai 2022, que les engagements de la Suisse en droit international n’étaient pas pertinents pour interpréter le droit pénal suisse en matière sexuelle. Selon la Convention européenne des droits de l'homme, tous les États parties sont tenus de punir et de poursuivre les actes sexuels non consentis (art. 3 CEDH, art. 8 CEDH), ce que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme a déjà confirmé (arrêt 39272/98). Dans son arrêt de mai 2022, le Tribunal fédéral a considéré que l’infraction de stealthing échappait à la législation pénale mais que ce n’est pas en interprétant le droit international qu’on pouvait combler cette «lacunes de punissabilité». En Suisse, seuls les actes qui sont explicitement punis par le droit suisse peuvent être sanctionnés. Par ailleurs, la Convention d'Istanbul ratifiée par la Suisse (art. 36 par. 2) oblige les États parties à rendre punissables les actes sexuels qui soumettent intentionnellement une personne sans son consentement. Dans le cas genevois, Selon l'arrêt rendu par le Tribunal fédéral en mars, il importe peu que les articles relatifs à la contrainte sexuelle (art. 189 CP) et au viol (art. 190 CP) du Code pénal suisse répondent aux exigences de la Convention d'Istanbul. Les juges considèrent qu’aucun droit subjectif ne découle de la Convention d'Istanbul pour la personne qui s'en prévaut. La plaignante a donc décidé de porter son cas devant la Cour européenne des droits de l'homme. Dans son arrêt de mai 2022, le Tribunal fédéral précise que les obligations de droit international s'adressent principalement au législateur.
Le Parlement s’est également penché sur la question et a entamé une révision du droit pénal en matière sexuelle. C’est sur la détermination du caractère consenti de l’acte sexuel en particulier que s’est concentré le débat politique. La section suisse d’Amnesty International et Opération Libero ont mené une vaste campagne en faveur de la solution du consentement («Seul un oui est un oui») dans le droit pénal sexuel. Selon cette solution, le consentement explicite de toutes les personnes concernées est nécessaire pour qu’un acte sexuel soit légal. À la suite de l’arrêt portant sur la pratique du stealthing, plusieurs membres du Conseil national et du Conseil des États se sont à nouveau prononcé·e·x·s en faveur de cette proposition. Toutefois, le Conseil des États a opté pour la solution «Non, c’est non». Ainsi, seuls les actes sexuels refusés expressément par l’une des personnes et ensuite menés contre la volonté de cette dernière seraient punissables.
Après de nombreux débats et va-et-vient entre les deux Chambres lors des sessions de printemps et d’été 2023, le Parlement est finalement parvenu à un compromis et a adopté la révision. C’est la solution «Non, c’est non» qui a été retenue, mais l’infraction de viol a été redéfinie: la nouvelle formulation reconnaît que les victimes de violence sexuelle peuvent parfois entrer dans un état de sidération (appelé «freezing») les empêchant d’exprimer leur refus. À l’avenir, les tribunaux devront en tenir compte; un refus implicite ou non verbal devrait alors suffire pour qu’un viol soit reconnu. Le vaste mouvement d’organisations de société civile et féministes ont décrit ces modifications comme «une amélioration remarquable par rapport à la situation actuelle». Dans une déclaration commune également signée par humanrights.ch, ces associations expriment leur soutien en faveur de la réforme, bien que le principe initialement visé «Seul un oui est un oui» n’ait pas été retenu.
Les procédures judiciaires n’ont pas permis d’obtenir le changement de pratique souhaité. Comme l’a également communiqué le Tribunal fédéral, ce changement aurait dû émaner de la législation, et donc être introduites par le biais de décisions politiques. Au travers des campagnes et des relations publiques, notamment en lien avec les arrêts rendus en la matière, la société civile est parvenue à sensibiliser les politicien·ne·x·s à la problématique. Ce cas de figure illustre le fait que les litiges stratégiques, s’ils ne bénéficient pas de l’engagement de la société civile, n’ont aucune portée. Il peut par ailleurs être judicieux de mener une campagne fondée sur plusieurs litiges.
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Marianne Aeberhard
Responsable Projet Accès à la justice / Directrice de l'association
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