07.04.2025
Par sa décision du 3 décembre 2024, le Tribunal administratif du canton de Saint-Gall a statué que E., apprenti employé de commerce atteint de dyslexie, a droit à un supplément de temps de 15% pour réaliser ses examens écrits. Le tribunal annule ainsi les précédentes décisions rendues par le service de la formation professionnelle ainsi que par la Commission de recours administratif du canton de Saint-Gall, qui concluaient au rejet de la demande de compensation des désavantages. Ce jugement constitue ainsi une avancée importante pour l’égalité de traitement des personnes en situation de handicap dans le domaine de la formation.

En 2015, E. se fait diagnostiquer un trouble de la lecture et de l’écriture (dyslexie). Il bénéficie ainsi de mesures de soutien ciblées jusqu’à la fin de l’école primaire. Le diagnostic est confirmé en 2019 par une consultation psychologique soulignant qu’il cause un ralentissement important des activités en lien avec l’écrit. Sur la base de ce constat, le jeune homme dispose, jusqu’au terme de sa scolarité obligatoire, d’un supplément de temps pour toutes ses évaluations. Au début de son apprentissage d’employé de commerce en août 2023, E. dépose une demande auprès du service de la formation professionnelle du canton de Saint-Gall afin de bénéficier d’un supplément de temps lors des examens et de pouvoir utiliser un support d’aide auditif. Sa demande est rejetée le 21 novembre 2023, au motif que la lecture et l’écriture sont des aptitudes de base essentielles au CFC d’employé de commerce et qu’une adaptation des exigences serait de ce fait impossible. Le jeune homme conteste cette décision devant la Commission de recours administratif, qui confirme par sa décision du 6 juin 2024 le premier verdict.
Le 26 juin 2024, E. saisit le Tribunal administratif du canton de Saint-Gall afin de demander l’annulation de la précédente décision et l’octroi d’un supplément de temps d’au moins 15% pour effectuer ses examens écrits. Il fait valoir qu’une telle mesure ne conduirait pas à un abaissement des exigences, mais viendrait uniquement compenser le désavantage qu’il subit en raison de son handicap. Il souligne par ailleurs l’existence d’outils informatiques d’assistance, qu’il a parfaitement intégrés dans son quotidien professionnel.
Le Tribunal administratif statue en sa faveur: le refus d’octroyer au recourant un supplément de temps constitue une discrimination au titre de l’art. 8 al. 2 de la Constitution et de l’art. 2 al. 5 let. b de la loi sur l’égalité pour les handicapés (LHand). Les juges concluent que les adaptations demandées par E. sont nécessaires et proportionnées afin de garantir des conditions d’examen conformes à l’égalité des chances, sans pour autant abaisser les exigences évaluées en vue de l’exercice du métier.
Par sa décision du 3 décembre 2024, le tribunal cantonal admet le recours, annule la décision précédente et accorde au recourant un supplément de temps de 15% pour les examens écrits.
La dyslexie, un désavantage reconnu
La dyslexie est un trouble spécifique de l’apprentissage qui se caractérise par d’importantes difficultés de lecture et d’écriture. Souvent héréditaire, elle influence les processus neurophysiologiques en lien avec le traitement des informations provenant de sources auditives et visuelles. Elle est reconnue par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) comme un trouble clairement défini. Si la CIM-11 la classe parmi les troubles développementaux de l’apprentissage, le DSM-5 la considère comme un trouble spécifique des apprentissages.
La dyslexie n’est pas une limitation des capacités mentales, mais bien un trouble qui influe sur certains processus cognitifs spécifiques. On estime qu’au niveau mondial, 5 à 6% des enfants sont touché·e·x·s par un trouble spécifique des apprentissages, qui est par ailleurs deux à trois fois plus diagnostiqué chez les garçons que chez les filles.
La Constitution protège contre la discrimination
En vertu de l’art. 8 al. 2 de la Constitution, nul ne doit subir de discrimination du fait d’une déficience corporelle, mentale ou psychique. La loi interdit donc expressément toute inégalité qui ne repose pas sur une justification objective. Une discrimination peut être tant directe qu’indirecte.
L’art. 8 al. 4 de la Constitution oblige enfin le législateur à prévoir des mesures en vue d’éliminer les inégalités qui frappent les personnes en situation de handicap. Ce mandat s’est notamment concrétisé par l’adoption de la loi sur l’égalité pour les handicapés (LHand), qui vise à prévenir et à éliminer cette catégorie d’inégalités (art. 1 al. 1 LHand). Une personne en situation de handicap est une personne dont la déficience corporelle, mentale ou psychique l’empêche d’accomplir les actes de la vie quotidienne, d’entretenir des contacts sociaux ou d’exercer une activité professionnelle, ou la gêne dans l’accomplissement de ces activités (art. 2 al. 1 LHand). Une inégalité survient lorsque les personnes en situation de handicap sont moins bien traitées que les personnes sans handicap ou lorsqu’une différence de traitement nécessaire au rétablissement d’une égalité fait défaut (art. 2 al. 2 LHand).
La compensation des désavantages, un moyen de rétablir l’égalité
La compensation des désavantages est un facteur décisif pour favoriser l’égalité d’accès à la formation et prévenir les inégalités. Dans le domaine de la formation, elle peut se traduire par une adaptation des conditions d’examen, afin que les personnes en situation de handicap puissent apporter la preuve de leurs connaissances et de leurs capacités dans un cadre équitable.
Conformément à l’art. 2 al. 5 LHand, les prestations de formation offertes ainsi que les examens doivent être adaptés aux besoins spécifiques des personnes en situation de handicap. La performance d’une personne lors d’un examen doit en effet refléter les capacités réelles de celles-ci. Cette règle s’applique également aux personnes en situation de handicap, qui ont donc droit à des conditions d’examen adaptées: de cette manière, l’évaluation équitable de leurs compétences est garantie. Dans la pratique, un handicap affectant la rapidité d’exécution des tâches pourra ainsi être compensé par l’octroi d’un supplément de temps.
De telles adaptations ne doivent toutefois pas entraîner une modification des exigences fondamentales de l’examen: par exemple, elles ne peuvent pas concerner des compétences essentielles à la formation ou à l’exercice de la profession étudiée.
En l’espèce, la dyslexie dont souffre E. entrave ses performances lors d’examens. Le supplément de temps de 15% demandé est donc un moyen adéquat de compenser l’inégalité dont il est victime du fait de son handicap, et permet de rétablir l’égalité des chances entre lui et les autres candidat·e·x·s. En effet, la prolongation du temps alloué pour l’examen ne modifie en rien le contenu de celui-ci, mais permet simplement d’adapter ses conditions aux besoins individuels du recourant. De la sorte, les performances de E. pendant l’examen refléteront ses compétences réelles, sans modification des exigences fondamentales de l’examen.
Une décision suivie d’effets
Le Tribunal administratif du canton de Saint-Gall a annulé tant la décision du service de la formation professionnelle que celle de la Commission de recours administratif. Il a accordé au recourant le supplément de temps de 15% que ce dernier demandait et lui a octroyé un remboursement des coûts de procédure à hauteur de 1800 francs, puisque conformément à la loi, les procédures prévues aux art. 7 et 8 LHand sont par principe gratuites.
Ce jugement fera jurisprudence pour la mise en œuvre de la compensation des désavantages dans le domaine de la formation et renforcera les droits des personnes en situation de handicap. Il reconnaît en effet que le droit à l’égalité des chances dans un contexte de formation s’applique également aux apprenti·e·x·s et que l’adaptation d’examens constitue une mesure essentielle pour empêcher les discriminations.
Sources
- Dyslexie, site de l’association pour la dyslexie en Suisse romande
- https://www.adsr.ch/dyslexie
- Compensation des désavantages à l'école professionnelle, We claim
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Marianne Aeberhard
Responsable Projet Accès à la justice / Directrice de l'association
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