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Theo W.: chronique d'une mort annoncée en psychiatrie

09.07.2024

Le 2 janvier 2021, Theo W., âgé de 18 ans, décède à l’hôpital universitaire de Zurich en raison d’un grave traumatisme crânien. Il avait été héliporté en urgence depuis la clinique psychiatrique de Königsfelden, située dans le canton d’Argovie. Les blessures visibles que le jeune homme s’infligeait des blessures depuis plus d’une semaine n'ont été traitées que lorsqu'il s'est retrouvé dans le coma.

Theo souffre du syndrome d’Asperger. En mai 2020, sur conseil de la psychologue traitante, il est placé dans le service de psychiatrie pour enfants et adolescents de la clinique de Königsfelden. Ses parents ne savent plus comment gérer les troubles du comportement de leur fils, accentués par la pandémie et par le stress scolaire. Pendant un certain temps, les psychiatres exerçant à la clinique ne peuvent précisément identifier les problèmes que Theo présente, et concluent finalement qu’il s’agissait probablement d’un trouble obsessionnel ou d’une psychose. Le diagnostic du syndrome d’Asperger est à peine évoqué. Cependant, à la clinique, les compulsions de Theo se multiplient et s’aggravent. Les tentatives de ramener le jeune homme à la maison se soldent par des échecs. Le 18 novembre 2020, après un incident lors duquel il bouscule sa mère, il est transféré directement vers le service consacré aux adultes. Le personnel soignant du service de pédopsychiatrie est en effet dépassé par son comportement, qui se traduit alors par des agressions verbales de plus en plus fréquentes. Toutefois, pour Theo, atteint du syndrome d’Asperger, le changement est trop brusque, et les soignantes qu’il connaissait lui manquent. Lorsque sa mère lui demande pourquoi il se comporte de manière inacceptable, il répond qu’il ne ressent plus rien à cause des médicaments et que cette sensation est si terrible qu’il essaye de provoquer un sentiment de peur afin d'éprouver de nouveau des émotions.

Selon les parents, c’est à l’arrivée de leur fils dans le nouveau service que la situation se détériore sérieusement. On leur fait savoir assez rapidement que Theo doit «couper le cordon» avec eux. Puisque leur fils s’agite lorsqu’ils viennent le voir, les visites sont limitées à une par semaine, avant d’être complètement interdites pendant un certain temps en raison des restrictions imposées durant la pandémie. En outre, les parents n’ont que rarement le droit de téléphoner à leur fils.

Alors que Theo avait inscrit ses parents comme personnes de confiance, ceux-ci ne sont après quelque temps plus informés ni impliqués dans son traitement ou dans ses changements de médication. De nombreux documents légaux ne leur sont pas remis. De plus, les parents ne sont pas consultés lorsque le placement à des fins d’assistance est ordonné et prolongé le 22 décembre 2020.

D’après l’outil BROESET, utilisé afin de prédire le risque de violence, Theo ne présente qu’un faible potentiel de violence. Pourtant, il est isolé en raison de ses troubles du comportement. Entre le 29 novembre 2020 et le 30 décembre 2020, le jeune homme était placé presque quotidiennement dans une cellule d’isolement, et ce pendant environ 23 heures d’affilée. Pendant plus de 30 jours, Theo s’est donc retrouvé en isolement de manière continue, bien que les conséquences d’une telle pratique aient fait l’objet de nombreuses recherches.

  • L’isolement peut provoquer de nombreux effets délétères, tels que de l’anxiété, des attaques de panique, des dépressions, de la colère, de la fureur, des troubles de la perception pouvant aller jusqu’à la confusion totale, aux troubles sensoriels, aux hallucinations, la paranoïa, la psychose, l’automutilation et le suicide.
  • La pratique de «l’isolement de longue durée» ordonnée durant plus de quinze jours consécutifs est prohibée par les Règles Nelson Mandela (règle 43). Cependant, malgré les dégâts qu’il inflige à la santé, l’isolement est toujours ordonné en Suisse, parfois pendant des mois, voire des années.
  • Dans le cas Brian, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture Nils Melzer avait déjà sévèrement critiqué la Suisse pour l’utilisation de cette pratique et avait rappelé que «tout dépassement des quinze jours viole l’interdiction de mauvais traitements».
  • Contrairement à la conception erronée qui prévaut en Suisse, cette interdiction ne s’applique pas uniquement à la réclusion en isolement, laquelle affecte volontairement la perception sensorielle («sensory isolation»), mais également à toute forme d’isolement («solitary confinement»), c’est-à-dire à toute mise à l’écart de détenu·e·x·s pour un minimum de 22 heures par jour, sans réelle interaction humaine. Dans le cadre du placement à des fins d’assistance, Theo a été placé en isolement pendant plus de 30 jours. Il n’avait jamais commis de délit.

Les répercussions que cet isolement prolongé a provoquées sur Theo étaient pourtant clairement visibles. Le personnel était au courant qu’il se blessait, mais les responsables laissaient le jeune homme en isolement. Lorsque Theo se trouvait encore dans le service de pédopsychiatrie, on le décrivait comme plein d'humour et d'affection, et on savait qu'il avait besoin de bouger et d’effectuer des promenades régulières. Theo se blesse une première fois en novembre 2020; à partir du 21 décembre 2020, soit après plus de 3 semaines d’isolement, il s'inflige des blessures de manière continue. Le jeune homme se jette plusieurs fois par terre sous les yeux du personnel de soin et se frappe la tête sur le sol. Malgré des blessures à la tête visibles ainsi que de nombreux hématomes sur tout le corps, il n’est pas transféré à l’hôpital.

Le 30 décembre 2020, Theo est retrouvé inconscient dans la chambre d’isolement. Il est héliporté vers l’hôpital universitaire de Zurich. Les médecins expliquent aux parents qu'au vu de son état cérébral, Theo ne survivra pas. Le 2 janvier 2021, Theo décède de ses blessures cérébrales. Il n’aurait jamais dû être placé en isolement si longtemps.

Les parents déclarent le décès de leur fils auprès du Département de la santé du canton d’Argovie. En 2021, ce dernier entame une procédure de surveillance de la clinique Königsfelden, tant sur le plan de l’organisation que du cas de Theo.

Le 4 juillet 2024, le Département de la santé du canton d'Argovie annonce avoir adressé un avertissement à la clinique Königsfelden pour plusieurs motifs: une surveillance insuffisante, l'absence de prise de mesures nécessaires et un contrôle de la médication et de la thérapie lacunaire. Cette décision se fonde sur une expertise externe ayant conclu que le jour du décès, la clinique n'avait pas bien évalué le potentiel de Theo à se mettre en danger, ou n'avait du moins pas pris suffisamment de mesures de protection. Theo aurait eu besoin d'une prise en charge continue par un membre du personnel, car celui-ci avait remarqué ses chutes. Les effets des différents médicaments que prenait Théo auraient par ailleurs dû faire l'objet d'un suivi.

Le Département de la santé y a partiellement donné suite à une deuxième procédure de surveillance engagée en parallèle contre la clinique Königsfelden, qui concernait le traitement d'une autre patiente présentant plusieurs diagnostics.La la clinique a annoncé dans un communiqué de presse vouloir faire appel de cette décision. Dans les deux procédures de surveillance, un délai de neuf mois à compter de l'entrée en vigueur de la décision pour remédier aux manquements constatés est fixé à la clinique.

Dans le cas de Theo, la procédure menée par le ministère public n’a pas encore abouti. L’avocat spécialiste des droits humains Philip Stolkin soutient les parents et a lancé la procédure judiciaire. Selon lui, ce sont la froideur du personnel soignant, un certain mépris de la dignité humaine, l’isolement qui a été imposé à Theo et la suffisance des médecins qui ont coûté la vie à Theo.