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Cas Brian

Le cas Brian – la chronique

01.02.2024

Cette chronique documente l'histoire de Brian en retraçant l'attitude des autorités au regard de leurs obligations en matière de droits humains.

1. Premières années de vie à Paris (1995 – 1998)

Brian naît le 21 septembre 1995 à Paris. Il y passe les trois premières années de sa vie avec sa sœur aînée, son frère et sa mère dans une famille élargie africaine. Son père est pendulaire entre Zurich et Paris.

2. Arrivée en Suisse (1998 – 2002)

À l'âge de trois ans, Brian part en Suisse avec sa mère et sa sœur pour vivre avec son père. Il apprend rapidement l'allemand. Après trois mois, il est déjà capable de converser avec les autres enfants de la crèche.

Au cours de sa deuxième année d'école enfantine et avec l’accord de ses parents, l'enseignante l'inscrit à un cours pour enfants surdoué·e·s, qui s'adresse aux élèves de l’école enfantine jusqu’à la sixième année.

3. Difficultés et premiers séjours en institutions fermées à 10 ans (2002 – 2007)

Diagnostiqué hyperactif, Brian se retrouve ballotté d’une institution à l’autre, et effectue plusieurs courts passages à la prison de la caserne de la police à Zurich. Pendant cette période, Brian, encore enfant, est peu scolarisé.

Dans les unités fermées, on lui demande de se comporter de manière adaptée et de respecter les règles, ainsi que d’être disposé à suivre une thérapie. Comme récompense, on lui promet une scolarisation en prison, qui ne se concrétisera finalement jamais. Entre-temps, Brian est placé dans des familles en Allemagne et en Italie dans le cadre de pauses lors desquelles il doit aider à la ferme.

À 10 ans, Brian est soupçonné à tort d'incendie criminel. Il est arrêté chez lui, menotté et placé en détention provisoire, également connu sous le nom de détention préventive, pour la première fois. Ses parents ne sont pas autorisé·e·s à l'accompagner au poste de police. Il passe un jour dans la prison de la caserne de la police à Zurich et près de deux mois en établissement fermé dans le centre de transition de Winterthur. Les accusations contre Brian se révèlent infondées.

Alors qu’il a 11 ans, Brian est placé dans un service fermé de l'hôpital de Bâle pendant 6 mois, où il est surveillé 24 heures sur 24. Brian se souvient de cette période: «quand on est un enfant, c'est extrêmement difficile d'être séparé de ses parents pendant si longtemps. Je voulais juste rentrer chez moi, auprès de ma famille».

4. Huit mois de prison pour un enfant de 12 ans (2008 – 2009)

En raison de nouvelles accusations à la suite d’une légère altercation avec son père, Brian est placé en détention dans un poste de police, puis dans l’établissement de Horgen et en maison d’arrêt à Bâle. Le «manque d’alternatives» et sa «propre sécurité» sont invoqués pour justifier la détention de plusieurs mois dans le cadre d’un placement préventif en vertu de l’article 15 du Code pénal des mineurs.

Entre juin 2008 et novembre 2009, Brian est détenu huit mois en isolement dans des établissements pour adultes et passe 23 heures par jour en cellule. Lors de la promenade d’une heure dans la cour, il n’a généralement aucun contact avec les autres détenus. Durant cette période, Brian n’est pas ou peu scolarisé; ce n’est qu’au cours des deux derniers mois qu’il a droit à une heure d’enseignement par semaine. Les visites parentales ne sont autorisées qu’une fois par semaine, au parloir et derrière une cloison. Brian gardera des troubles du sommeil liés à cette période.

5. Neuf mois de prison après une agression au couteau (juin 2011)

De 2006 à 2011, Brian a commis un total de 34 délits selon le Ministère public des mineur·e·s.

Alors qu’il a 15 ans, Brian commet un acte de violence grave dans le quartier de Schwamendingen à Zurich le 15 juin 2011. Après une altercation verbale avec un jeune de 18 ans, il le poignarde deux fois dans le dos avec un couteau.

Brian passe environ neuf mois en détention préventive et en placement à titre provisionnel (art. 12 ss. en relation avec l’art. 5 DPMin) à la prison de Limmattal. Il est finalement condamné à neuf mois de prison, qu’il a déjà purgés en détention préventive.

L’adolescent est détenu 180 jours en isolement et 60 jours dans une cellule partagée avec une autre personne dans la prison de Limmattal. Il est enfermé 23 heures par jour et a droit à une heure de promenade. La plupart du temps, il doit se promener seul dans la cour et n’a pas de contact avec les autres personnes détenues. Ses parents ne sont autorisé·e·s à lui rendre visite derrière une cloison à raison d'une heure par semaine seulement. Brian n’est ni autorisé à aller à l'école, ni à travailler.

Le Tribunal fédéral admet partiellement une plainte contre les conditions de détention de Brian, déclarant que le Ministère public des mineur·e·s aurait dû activement rechercher une place dans un établissement éducatif et thérapeutique approprié; un tel transfert n’a cependant jamais eu lieu.

Durant cette période, Brian fait deux tentatives de suicide. Il tente de se pendre le 5 juillet 2001, après quoi il est admis à la clinique psychiatrique universitaire de Zurich (PUK). Lors de son retour en prison en septembre, il ingère un mélange de shampooing, de pommades et de gel désinfectant. Après cette deuxième tentative, Brian est à nouveau admis à la PUK. Comme il refuse de prendre des sédatifs, ceux-ci lui sont administrés de force.

6. Contention pendant plusieurs jours à l'hôpital à ses 15 ans (novembre – décembre 2011)

Après ses tentatives de suicide, Brian est admis à la clinique psychiatrique universitaire de Zurich du 14 septembre au 19 décembre 2011. Pendant treize jours consécutifs, il est attaché en continu à son lit, où lui sont administrés de force trois fois la dose habituelle nécessaire du sédatif Promazin. Il passe son seizième anniversaire complètement immobilisé.

Au moyen de la contention à sept points, Brian est privé de toute liberté de mouvement. Le haut de son corps est attaché par une ceinture serrée, qui l'immobilise en position allongée. Il n’est pas autorisé à aller aux toilettes ou à prendre une douche. Certaines attaches sont légèrement desserrées afin qu’il puisse aller à la selle et uriner en position allongée. Après dix jours, Brian est autorisé à faire une promenade accompagnée d’une heure par jour. Les médicaments et la contention prolongée l’ont affaibli à tel point qu'il a besoin d'être soutenu pour marcher.

Après ce passage à la clinique psychiatrique universitaire de Zurich, Brian est transféré au Centre de psychiatrie médico-légale de Rheinau, où sa médication est réduite. Après deux semaines, Brian, alors âgé de 16 ans, peut arrêter la prise de médicaments et reste dix-huit jours supplémentaires sans traitement médicamenteux. Il est ensuite placé pendant quarante-huit jours supplémentaires à la Clinique psychiatrique universitaire de Bâle, dans le service médico-légal pour mineur·e·s alors nouvellement créé, avant d’être à nouveau transféré à la prison de Limmattal.

En septembre 2011, la sœur de Brian porte plainte pour lésion corporelle et séquestration. 

7. Programme de réinsertion: vers une vie sans infraction (2012 – 2013)

En 2011, Brian avait été condamné à neuf mois de prison et à une amende à la suite d’une agression au couteau. Brian avait déjà purgé les neuf mois de prison en détention préventive. Mais comme celle-ci a été reportée en faveur d'un traitement ambulatoire en secteur ouvert, il est maintenant placé dans un programme de réinsertion.

Ce programme de réinsertion est conçu spécialement pour Brian et répond à ses besoins spécifiques. Il s’agit d’un encadrement spécial strict avec une supervision individuelle et un programme minuté 24h/24, sept jours sur sept. Brian a des cours particuliers, suit une psychothérapie et s'entraîne à la boxe thaïlandaise. Pendant 13 mois, Brian fait ses preuves et ne commet aucune infraction. Selon un rapport des autorités pénitentiaires de Zurich, ce cadre a apporté la stabilité nécessaire à Brian et peut ainsi être considéré comme un succès.

8. Construction médiatique de l'affaire «Carlos» (août 2013)

Le 25 août 2013, la Télévision Suisse diffuse un portrait du juge des mineur·e·s zurichois Hansueli Gürber, alors responsable du programme de réinsertion spécial conçu pour Brian. Hansueli Gürber rend compte du succès de la mise en place de ce programme et des progrès réalisés par Brian pendant cette période. Il mentionne en passant le coût du programme, soit environ 29’000 francs suisses par mois.

Le lendemain de la diffusion du reportage «Der Jugendanwalt», le tabloïd Blick déclenche un tollé médiatique nationale avec un article titrant «Délire social! Le procureur des mineur·e·s de Zurich paie à l'homme responsable d’une agression au couteau un professeur particulier, un appartement de quatre pièces et demie et des cours de boxe thaïe. Coût: 22’000 francs par mois» (traduction libre).

Le journal se moque du juge des mineur·e·s Gürber en le qualifiant de dorloteur de délinquant·e·s et de dilapidateur de l'argent des contribuables. Le jeune homme, connu sous le pseudonyme de Carlos, alors sur la voie de la réinsertion, se retrouve réduit au statut d’«agresseur au couteau». D’autres journaux reprennent l’affaire; l’«affaire Carlos» est née. Dans l'article «der Verrat» paru en mars 2014 dans Das Magazin, le journaliste Matthias Ninck retrace le tollé médiatique du documentaire et l'échec politique qui a suivi.

9. Privation arbitraire de liberté à ses 18 ans (août 2013 – février 2014)

Sous la pression médiatique, Martin Graf, ancien chef du département de justice du canton de Zurich et Marcel Riesen-Kupper, ancien directeur du Tribunal des mineur·e·s se voient contraints de licencier le juge des mineur·e·s Hansueli Gürber et de mettre fin au programme spécial conçu pour Brian. Au motif de le protéger de l'indignation publique et des médias, Brian est à nouveau placé en détention.

Le 30 août 2013, Brian est envoyé à la prison de Limmattal pour une durée de 83 jours, où il passe 23 heures par jour en isolement, sans aucune occupation. Il n’est pas autorisé à côtoyer d’autres personnes détenues pendant la promenade quotidienne, et ses parents ne peuvent lui rendre visite qu’une heure par semaine, derrière une cloison. Le 21 novembre 2013, il est transféré dans le service fermé du centre d’exécution des mesures d’Uitikon, où il reste détenu pendant 90 jours. Là-bas, ses parents ne sont autorisé·e·s à lui rendre visite à deux reprises au total dans un parloir ouvert et entament une grève de la faim.

Le 16 décembre 2013, les professeurs de droit pénal Daniel Jositsch et Peter Aebersold publient un article dans la revue en ligne Jusletter.ch expliquant que c’est l’opinion publique qui a déterminé ce qu’il adviendrait de Carlos. Ainsi, Martin Graf et Marcel Riesen-Kupper ont laissé le «Blick» décider du sort de Carlos.

Le 18 février 2014, le Tribunal fédéral juge que la détention de Brian ne se justifie par aucune raison juridique valable. Selon lui, Martin Graf avait placé Brian en détention uniquement sous la pression de l’opinion publique; l’adolescent n’avait rien fait de mal. La justice zurichoise a violé le principe de la bonne foi et tant Martin Graf que Marcel Riesen-Kupper ont agi de manière arbitraire. Le tribunal considère que Brian devrait être libéré et continuer le programme spécial de réinsertion, tel qu’il s’était arrêté en août 2013.

10. Innocenté en détention à 19 ans (octobre 2014 - avril 2015)

Brian est provoqué verbalement par une personne dans une rue de Zurich. Alors qu’il traverse la rue, la personne court dans une arrière-cour et s’arme d’une barre de fer. L’individu accuse Brian de l’avoir menacé avec un couteau de poche ouvert, ce que le jugement du Tribunal de district de Dietikon infirme.

Brian est placé en détention provisoire à la prison de Limmattal pendant environ six mois. Il est en isolement et passe 23 heures par jour dans sa cellule. Aucun couteau n’étant visible sur les vidéos des caméras de surveillance, Brian est finalement acquitté et indemnisé pour la détention injustifiée à hauteur de 100 francs par jour de détention.

11. Première condamnation en tant qu’adulte (août 2015)

Le 28 août 2015, Brian est condamné au paiement d’une amende pour dommages à la propriété au centre d’exécution des mesures d'Uitikon. Lors de sa détention arbitraire dans ce même établissement dès novembre 2013, il avait inondé sa cellule en signe de protestation. Dans sa décision, le tribunal estime que la privation de liberté arbitraire constitue un motif d’atténuation et que les actions du défendeur n’apparaissent pas comme moralement répréhensibles; et qu’au regard de la situation dans laquelle celui-ci se trouvait, il est probable que plus d’un·e citoyen·ne aurait été poussé·e à des actes de résistance. C’est la première condamnation de Brian en tant qu’adulte.

12. Bagarre et détention (mars 2016)

Alors qu'il est dans le tram, Brian retrouve une personne dont il avait fait connaissance lors d'un tournoi de kickboxing. Une dispute verbale éclate, à la suite de laquelle Brian lui donne un coup de poing. La mâchoire inférieure de l’homme est cassée et Brian se fracture les doigts. Les récits du déroulement de l’événement diffèrent selon les deux hommes. Cela faisait cinq ans que Brian n’avait plus été condamné pour une infraction (voir point 5), à l’exception des dommages matériels au centre d’exécution des mesures d’Uitikon (voir point 11).

Le Tribunal de district de Zurich condamne Brian à une peine de prison ferme de 18 mois pour tentative de lésions corporelles graves. Il s'agit de la deuxième peine pour laquelle il est condamné en tant qu’adulte.
Brian est détenu pendant 10 mois dans différentes prisons de district (Limmatal, Zurich, Winterthur, Pfäffikon). Il est toujours maintenu en isolement, 23 heures par jour dans sa cellule avec une heure de promenade dans la cour. Les visites de ses parents ne sont autorisées que derrière une cloison et parfois, aucune visite n'est possible pendant deux semaines.

13. Investigation exigée par la Cour suprême zurichoise (2016)

Après que la sœur de Brian ait déposé une plainte pénale pour lésions corporelles et séquestration en raison de sa contention pendant plusieurs jours à la clinique psychiatrique universitaire de Zurich en 2011, cette plainte avait été classée de manière indépendante par le Ministère public zurichois en 2015 (voir point 6). C’est seulement lorsque l’avocat Marcel Bosonnet fait recours en 2016 que le Ministère public zurichois se retrouve chargé par le Tribunal fédéral de mener une investigation.

14. Traitement inhumain et dégradant à la prison de Pfäffikon (2017)

Au début de l'année 2017, Brian est transféré dans la section de sécurité de la prison de district de Pfäffikon. Il doit dormir sur le sol pendant plus de deux semaines, vêtu d’un seul poncho et sans sous-vêtements. La cellule est glaciale. Brian est frigorifié, mais on ne lui donne pas de couverture. Il n’y a ni lit, ni chaise, ni matelas dans la cellule. Il n’est ni autorisé à prendre une douche ni à se brosser les dents pendant plusieurs jours. Durant trois semaines, il est menotté en permanence et n’a pas le droit de sortir de sa cellule. Ses repas se limitent à des sandwichs. Les conversations avec son avocat se déroulent à travers la porte fermée de la cellule et les visites de la famille ne sont pas autorisées. Selon l'enquête administrative menée par le Dr. Weder, la prison retient les lettres de Brian «pendant un certain temps», sans qu’une décision à cet égard ne le justifie. Le Dr. Weder conclut que la situation s'apparente objectivement à un «traitement dégradant et discriminatoire». Selon lui, c’est le surmenage du personnel de l’établissement pénitentiaire qui a conduit à un tel traitement. Toujours selon le rapport, le directeur de l’institution venait d’entrer en fonction et n’avait pas accordé suffisamment d’attention au contact entre Brian et le personnel. Il aurait dû envisager d’autres formes d’exécution des peines. Le Dr. Weder affirme cependant que le traitement n'a pas violé la Constitution ou la Convention européenne des droits de l'homme, le personnel n’ayant eu aucune intention apparente de nuire au détenu.

Le Dr. Weder est toutefois contredit lors d’une seconde expertise par le Dr. Künzli, Professeur de droit constitutionnel et public à l’Université de Berne. Selon ce dernier, contrairement à ce qui vaut en droit pénal, il n’est pas nécessaire qu’il y ait une intention ou une volonté de nuire de la part des organes étatiques pour qu’il y ait violation des droits humains. Brian a subi un traitement inhumain et dégradant au sens de l’art. 3 CEDH au sein de la prison de Pfäffikon. En revanche, le traitement subi ne peut pas être qualifié de torture au sens de ladite convention. Dans son expertise, le Prof. Dr. Künzli s’est basé sur le même état de fait que l’enquête administrative menée par le Dr. Weder.

La directrice du Département de la justice du canton de Zurich, Jacqueline Fehr, a admis par la suite que de graves erreurs avaient été commises lors de la détention de Brian. Le directeur de la prison a dû démissionner. Avec le soutien de son avocat Markus Bischof, Brian intente une action en responsabilité contre l'État.

15. Incident au centre correctionnel de Pöschwies (juin 2017)

Peu avant que Brian n'ait purgé sa peine de 18 mois de prison (voir point 12), un événement capital se produit dans l’établissement pénitentiaire de Pöschwies où il a été transféré en fin janvier 2017. Le 28 juin 2017, Brian est convoqué dans le bureau du chef du département de la sécurité pour un entretien; un deuxième membre du personnel est également présent. Les deux membres du personnel informent inopinément le détenu qu'il est transféré du secteur ouvert du département vieillesse et santé au secteur d'isolement du département de sécurité.

On invoque sa propre sécurité pour justifier le transfert; des codétenus auraient prévu de l’agresser. L’argument de sa propre sécurité avait déjà été utilisé à plusieurs reprises à son encontre, notamment lors de son placement en prison durant huit mois alors qu’il était âgé de 12 ans (voir point 4) et après la fin du programme de réinsertion spécial en 2013 (voir point 9). Une fois de plus, Brian a l’impression d’être traité injustement et perd son sang-froid. Il se serait alors levé et aurait jeté une chaise contre le mur. Des altercations qui ont suivi ont résulté quelques blessures. L’employé de l’établissement pénitentiaire souffre de contusions et Brian d’un œil au beurre noir et de lèvres gonflées.

Les versions quant à cet incident diffèrent largement. Brian décrit les faits ainsi: «Pour moi, cette décision était complètement incompréhensible. Je n'avais rien fait. J'ai crié de rage et d'incompréhension, j'ai attrapé une chaise et je l'ai jetée en arrière, là où il n'y avait personne. Je pensais que la situation était grossièrement injuste, mais mon intention n’était pas de blesser qui que ce soit. Puis ça a dégénéré et tout le monde s’est mis à se battre. C'est tout» (traduction libre). Selon l'avocat de la défense Thomas Häusermann, «si le jeune homme de 23 ans, entraîné au kickboxing, avait effectivement frappé avec force, des blessures complètement différentes en auraient résulté» (traduction libre). L’avocat de la défense et le père du prévenu ont demandé, en vain, une reconstitution des faits. Le personnel pénitentiaire porte plainte et Brian est placé en détention provisoire respectivement en détention pour motif de sûreté trois mois avant la fin de sa peine.

16. Refus de sortie dans la cour à la clinique psychiatrique universitaire de Zurich (2017)

À la suite de l'altercation du 28 juin 2017 dans la prison de Pöschwies, Brian est transféré au centre de thérapie médico-légale interne de la clinique psychiatrique universitaire de Zurich pour une intervention de crise.

Brian est placé dans une chambre d'isolement du centre, qu'il n'est autorisé à quitter que pour aller aux toilettes, prendre une douche et se rendre dans la cour, chacune de ces visites nécessitant l'intervention de forces de police spéciales du canton de Zurich. Dans ce qui a été qualifié de décision, le directeur du centre informe Brian qu'il ne serait autorisé à rester à l’extérieur sous surveillance qu'un jour sur deux. Pendant les sept jours qu’a duré son séjour, Brian n'est pas autorisé à sortir une seule fois.

17. Détention provisoire suite à l’incident dans la prison de Pöschwies (septembre 2017)

Jusqu’au 27 septembre 2017, Brian purgeait une peine pour une bagarre survenue en mars 2016 (voir point 12). Le 28 septembre 2017, il est à nouveau détenu provisoirement en raison de l’incident survenu à la prison de Pöschwies (voir point 15). Le 29 septembre 2017, le Tribunal de district de Zurich ordonne sa détention provisoire au motif d’un risque de récidive.

18. Prison régionale de Burgdorf (avril – août 2018)

Après avoir été transféré à la prison de Thorberg au titre d’une détention pour motif de sûreté, Brian est transféré à la prison régionale de Burgdorf le 10 avril 2018. Il est placé en détention provisoire pendant quatre mois et sept jours. Dans le cadre d’engagements mutuellement assurés pendant son séjour, de petits succès et des objectifs clairement formulés peuvent être atteints. La mise en place d’une prise en charge individualisée, l’application progressive de celle-ci et l’adaptation du régime de détention ont été réalisées en étroite collaboration avec Brian et son avocat. Les parents de Brian sont également impliqués de manière proactive dans certains contextes.

Pendant son séjour à Burgdorf, Brian entretient des contacts avec d’autres détenus, peut faire du sport et se rendre à la salle de fitness une fois par semaine sans menottes. La porte de sa cellule est ouverte trois heures par jour, et les détenus sont autorisés à se rendre visite. Brian suit également un programme de formation continue. Son père est autorisé à lui rendre visite à Brian sans aucune cloison de séparation.

Dans le rapport correctionnel, le chef du département en charge fait les commentaires suivants: «Brian s’est laissé prendre de plus en plus souvent au jeu de l’humour et a également pu nous aborder de cette manière. Nous avons pu abandonner les menottes, lever le traitement individuel et le transférer de l’isolement à une unité de détention normale avec cellules ouvertes».

La prison régionale de Burgdorf décrit la deuxième moitié du séjour à Burgdorf comme plutôt positive. Les déclarations suivantes, tirées des rapports d’exécution et des journaux décrivant la progression de l’exécution de la peine, ne signifient pas que Brian a affiché un comportement parfait tout au long de sa détention. Ils suffisent cependant à prouver qu’une interaction humaine et constructive avec lui est possible et qu'’il fait sa part:

  • «Au cours des deux premiers mois de son séjour parmi nous, les épisodes dans lesquels Brian s’est particulièrement distingué doivent être considérés comme plutôt négatifs et destructifs, les deux derniers comme plutôt positifs et constructifs»;
  • «Son comportement à partir de ce moment-là était généralement aimable et parfois caractérisé par l’humour»;
  • «Il est apparu que de bonnes conversations étaient possibles dans une atmosphère détendue (...) Il était possible de parler au détenu de son cas sans qu'il soit agressif envers nous».
  • «Brian a indiqué être sous pression et stressé lorsqu'un «ajustement majeur» était requis de sa part».
  • «Ces promenades se sont déroulées sans incident ni plainte et la situation entre le personnel et le détenu s'est améliorée à vue d’œil».

Enfin, le rapport indique: «Le fait que Brian ait pris ses distances par rapport à l’attitude violente qu’il pouvait avoir avec nous est intéressant et laisse penser qu’une future intervention est possible». Comme moyen possible de sortir de l'«impasse» pour Brian, le rapport mentionne un programme par étapes. Selon le rapport, Brian «doit pouvoir vivre de bonnes expériences avec lui-même et être autorisé à en tirer une certaine fierté sans se sentir faible» (traductions libres).

19. Transfert à la prison de Pöschwies (août 2018)

Malgré les progrès qui y ont été accomplis, le petit établissement régional de Burgdorf est limité et ne peut offrir un programme d’exécution progressive des peines. Brian et son avocat se battent pour qu'il ne soit pas transféré à nouveau dans la prison de Pöschwies, où Brian a vécu une très mauvaise expérience.

Brian sera néanmoins transféré à la prison de Pöschwies le 18 août 2018. Il est accueilli par un détachement de sécurité et transféré directement dans une cellule conçue spécialement pour lui, associée à un régime de sécurité spécial. Le Ministère public avait déposé une demande de détention pour motif de sûreté, acceptée par le Tribunal des mesures de contrainte.

La Commission nationale pour la prévention de la torture (CNPT) a par la suite remis en question la nécessité du transfert d'un cadre relativement ouvert dans la prison régionale de Burgdorf vers un régime de sécurité strict dans le centre correctionnel de Pöschwies. Deux semaines après l'intervention de la CNPT, le centre de Burgdorf établit un nouveau rapport succinct à la demande de l'établissement pénitentiaire de Pöschwies, dans lequel les autorités expliquent ne plus voir la possibilité de continuer à s'occuper de Brian, principalement parce que le centre «ne dispose pas de service de sécurité». Les dossiers ne permettent pas de savoir pour quelle autre raison ce deuxième rapport succinct aurait pu être établi, si ce n'est pour légitimer ultérieurement le régime de haute sécurité.

Le 4 octobre 2018, Brian fait une demande de transfert de la section de sécurité de l'établissement pénitentiaire de Pöschwies vers une maison d’arrêt, sans succès.

20. Établissement de Pöschwies: isolement (août 2018 – janvier 2022)

Dans le centre correctionnel de Pöschwies, Brian est parfois pris en charge par des personnes qui ont porté plainte contre lui à la suite de l'incident du 28 juin 2017 et qui sont témoins principaux dans la procédure pénale en cours (voir point 15). Et ce, bien qu'il ait demandé à maintes reprises, avec son avocat, que ces personnes soient dispensées de sa prise en charge. Les gardiens impliqués dans le procès en tant que témoins principaux, mais aussi en tant qu’accusés potentiels dans deux agressions commises à l’encontre de Brian, sont responsables de l’alimenter et de le surveiller tous les jours. Brian décrit à humanrights.ch divers incidents lors desquels il a été insulté par le personnel pénitentiaire. humanrights.ch tient également un journal dans lequel sont consignés divers incidents problématiques décrits par Brian. La fréquence et la description précise des incidents indiquent que le personnel d’encadrement ne se comporte pas toujours de manière professionnelle à son égard. En été 2019, Brian est transféré pour un mois et demi à l'établissement pénitentiaire de Lenzburg, où un incident avec le personnel de la prison se produit également. Brian portera plainte plus tard.

Depuis son arrivée au centre correctionnel de Pöschwies, Brian est continuellement isolé dans une cellule d'environ 12 m², dans laquelle les toilettes sont ouvertes. Pendant les trois premiers mois, la fenêtre est recouverte d'un film afin qu'il ne puisse pas regarder dehors. Afin de contourner la notion de «sanction disciplinaire» devant être formellement ordonnée (art. 91 al. 3 CP), une télévision est placée derrière les barreaux de sa vitre. Brian peut voir l'écran uniquement debout, s'il se place suffisamment près de la vitre. La grille qui se composait initialement uniquement de barres verticales est ensuite complétée par des barreaux horizontaux. Depuis lors, Brian ne voit l'image qu’à travers la grille. Selon les déclarations de son père, Brian est aussi officiellement en «arrêt» pendant environ la moitié du temps. Il ne peut alors rien lire, sauf le Coran et les lettres de son avocat. Il ne peut pas non plus envoyer de lettres, ne reçoit aucune visite, n'est pas autorisé à parler à ses parents au téléphone et se voit souvent refuser l'accès à la cour. Brian n’a pas été autorisé à y accéder pendant 20 jours d'affilée.

D'après ses propres déclarations, pendant les quatre premiers mois, Brian est incapable de couper et d'entretenir les ongles de ses mains et de ses pieds parce qu'on ne lui donne pas les outils appropriés. Il raccourcit donc les ongles de ses mains en les rongeant. Ce n'est qu'à la mi-décembre 2018 qu'il reçoit une lime en plastique. Brian n'est pas autorisé à se raser ou à se couper les cheveux pendant les neuf premiers mois. Pendant les huit premiers mois, Brian n’a pas accès à un stylo pour prendre des notes ou écrire des lettres. Il reçoit ensuite un stylo en caoutchouc avec lequel il ne peut écrire que de façon indistincte. Ce n'est qu'en février 2020 que Brian reçoit un nouveau stylo avec lequel il peut écrire lisiblement.

Afin de faire traverser le couloir à Brian depuis sa cellule jusqu'à la cour de promenade, la prison de Pöschwies a longtemps envoyé six gardien·ne·s, équipé·e·s de casques et de boucliers de protection. Brian est conduit dans la cour avec des menottes rigides pour les mains et des menottes courtes pour les pieds. On ne lui enlève pas les menottes, même dans la cour, et ceci malgré le fait que la CNPT, à l'occasion de sa visite du 18 novembre 2018, ait indiqué à la direction de l'établissement correctionnel de Pöschwies que le retrait des menottes dans la cour était absolument nécessaire. Brian a de fortes douleurs aux poignets et aux chevilles à cause des menottes aux mains et aux pieds, ce qui l'empêche de se rendre dans la cour. Pendant deux ans, Brian n'est pas autorisé à se promener les week-ends et les jours fériés, sans aucune exception. Cette situation est justifiée par un manque de ressources au sein de l’établissement. Il ne serait pas possible d'assurer le nombre extraordinaire d'employé·e·s sans négliger la sécurité de l'institution dans d'autres domaines. Plus tard, le Tribunal administratif du canton de Zurich parle de conditions de détention «extrêmement restrictives», pouvant être comparées à un régime d’«arrêt permanent».

Brian ne peut voir ses proches et autres personnes de contact que derrière une cloison. Le 18 février 2021, la grand-mère très âgée de Brian fait une demande aux autorités pour rendre visite à son petit-fils à l’occasion de son 93e anniversaire, exceptionnellement sans cloison. Sa demande est rejetée. Son dernier contact physique remonte à mai 2018 lors d’une embrassade avec son père qui lui rendait visite à la prison régionale de Burgdorf.

21. Prescription du comportement de Brian à la PUK et accusation (septembre 2018)

La procédure pénale concernant la tentative de lésion corporelle s’éternise à tel point que la prescription est acquise en septembre 2018. Le Ministère public zurichois porte toutefois plainte de manière indépendante contre les trois psychiatres responsables de la clinique psychiatrique de Zurich en raison de la contention de Brian qui a duré 13 jours (voir point 6).

22. Court séjour à la clinique universitaire de Rheinau (avril 2019)

Du 11 avril 2019 au 25 avril 2019, Brian est transféré pour une courte durée à la clinique psychiatrique de Rheinau. Le rapport du séjour indique que Brian a été libéré «dans un état physique et mental stable vers le centre correctionnel de Pöschwies à Regensdorf». Brian était «correct, calme, poli, coopératif dans la mesure du possible et lucide». Selon le rapport, il n’y avait pas «d’indication de danger aigu pour lui-même ou pour les autres» au moment de la sortie. Au vu de cette évaluation, on peut se questionner sur les raisons pour lesquelles l’établissement pénitentiaire de Pöschwies n’a toutefois pas envisagé d’assouplir le cadre carcéral après son retour, et en particulier ce qui a guidé les autorités à lui laisser les menottes aux mains et aux pieds lors des promenades dans la cour.

23. Décision du Tribunal d’une détention pour motif de sûreté (avril 2019)

Le 25 avril 2019, le Tribunal de district de Dielsdorf prononce officiellement la détention pour motif de sûreté à l’encontre de Brian.

24. Brian dépose une plainte pénale contre le personnel pénitentiaire (avril 2019)

Brian dépose également une plainte pénale pour deux agressions physiques commises par le personnel le 9 avril 2019 à la prison de Pöschwies et le 20 juillet 2019 à la prison de Lenzburg (voir point 20). En ce qui concerne l'incident d'avril 2019, le Ministère public demande de renoncer à mener une enquête pénale à l'encontre du personnel impliqué (art. 148 de la Loi sur l'organisation des tribunaux et des autorités dans les procédures civiles et pénales du canton de Zurich).

25. Condamnation pour l’incident au centre correctionnel de Pöschwies en juin 2017 (novembre 2019)

En novembre 2019, le Tribunal de district de Dielsdorf condamne Brian à 4 ans et 9 mois de prison pour tentative de lésions corporelles graves, entre autres, sur l'employé de la prison qui avait eu des contusions (voir point 15). De plus, des mesures thérapeutiques institutionnelles sont ordonnées afin que Brian fasse l’objet d’une thérapie. Contrairement à une peine de privation de liberté, ces mesures peuvent être arbitrairement prolongées selon l’art. 59 du Code pénal, d’où sa qualification de «petit internement».

26. Le Ministère public doit mener une enquête (mars 2020)

Le 4 mars 2020, le Tribunal cantonal rejette la demande du Ministère public (voir point 24) et juge que celui-ci doit mener une enquête en bonne et due forme contre les gardien·ne·s impliqué·e·s. Dans sa décision, le tribunal déclare à propos de l'incident en question: «Plusieurs coups portés au requérant, dont certains étaient très forts, sont à relever (...). Au moment des faits, le requérant était pieds et poings liés, déjà au sol et maîtrisé par six agents de sécurité en gilet pare-balles. Aussi fort celui-ci soit-il, le rapport de force était manifestement déséquilibré (...). Bien que certaines des blessures aient pu se produire lorsque les menottes ont été enlevées, les ecchymoses documentées par photos sur le visage en particulier attirent l’attention, tout comme le fait que la partie opposée à la requête et l'établissement pénitentiaire de Pöschwies aient indiqué dans le rapport sur l'incident que personne n'avait été blessé, ce qui n'est manifestement pas le cas» (traduction libre).

La procureure, qui avait d’abord voulu empêcher l’enquête, en est maintenant chargée à contrecœur. Aussi, on peut se demander si l’exigence d'indépendance prévue par l’art. 6 par. 1 du Pacte ONU II (Observation générale nº 36, par. 28) de l'enquête pénale est bien remplie.

27. Acquittement en première instance des médecins de la PUK (août 2020)

En août 2020, les trois psychiatres de la clinique psychiatrique universitaire de Zurich sont acquitté·e·s en première instance par le Tribunal de district de Zurich et la contention de 13 jours est qualifiée de proportionnée (voir points 6 et 21). Le tribunal contredit ainsi le psychiatre berlinois Werner E. Platz, qui déclare dans son expertise qu'il n'a jamais connu une durée de contention de treize jours au cours de ses nombreuses années de pratique et parle de «mauvais traitements».

L'avocat de Brian fait recours contre cette décision auprès de la Cour suprême du canton de Zurich.

28. Refus d’un examen médical externe (septembre 2020)

Dans une lettre du 17 septembre 2020 adressée à la Direction de la justice, l’avocat de Brian, Thomas Häusermann, exige un examen médical externe pour les douleurs provoquées par les menottes aux mains et aux pieds: «Mon client a depuis longtemps de telles douleurs et des plaies ouvertes à répétition sur les chevilles qu'il ne peut pratiquement plus marcher». Ce ne sont pas les seuls problèmes de santé que présente Brian. Il a aussi de fortes douleurs nasales qui résultent d’une agression du personnel pénitentiaire. Son nez n'a jamais été examiné ou radiographié et ce, malgré le fait que le rapport de sortie de l'hôpital universitaire de Rheinau (voir point 22) indique clairement: «Si les plaintes persistent dans la région du nez et du dos ainsi que sur le genou droit, nous recommandons une clarification ORL ou chirurgicale-orthopédique». À cet égard également, son avocat a demandé à plusieurs reprises un examen médical externe en septembre 2020.

29. Décision sur le refus de sortie dans la cour (août – novembre 2020)

Le 27 août 2020, le Tribunal administratif du canton de Zurich juge le refus de l'accès à la cour à la clinique psychiatrique universitaire de Zurich contraire au droit (voir point 16). Selon les juges du tribunal administratif, les difficultés d'organisation et les circonstances particulières du cas d'espèce ne peuvent justifier la restriction des sorties à l’extérieur.

Le 17 novembre 2020, le Tribunal fédéral confirme l’interdiction de promenade dans l’établissement pénitentiaire de Pöschwies et rejette la plainte pour abus de droit. Le raisonnement des juges est basé sur le fait que Brian, après s'être vu construire une cellule séparée avec accès à la cour de promenade, l'a si gravement endommagée peu après son arrivée qu'il a dû être ramené dans l'ancienne cellule. Brian a expliqué qu’il s’était mis en colère, car il avait remarqué que la cellule était entièrement surveillée par des caméras, y compris à l’intérieur. Le 19 novembre 2020, le tribunal administratif zurichois a considéré dans un arrêt que l'exécution de la détention de sécurité dans un établissement pénitentiaire était admissible.

30. Nouveau refus d’un examen médical externe (janvier 2021)

En janvier 2021, l'avocat adresse une nouvelle lettre à la direction de l’établissement pénitentiaire, dans laquelle il explique qu’entre-temps, plus de 20 mois se sont écoulés, au cours desquels l'examen médical complet a continué à être refusé malgré ses nombreux courriers et l'aggravation et les douleurs supplémentaires de Brian, Au lieu de cela, celui-ci a été contraint de prendre de très fortes doses d'analgésiques pendant deux ans. Brian explique à humanrights.ch qu'il refuse souvent la promenade dans la cour pendant la semaine, parce que ses chevilles sont à tel point enflammées et gonflées par les liens serrés qu’il peut à peine marcher.

31. Le Tribunal fédéral rejette le recours sur le placement dans l’établissement pénitentiaire de Pöschwies (mars 2021)

Le 24 mars 2021, le Tribunal fédéral rejette le recours de Brian contre les conditions de détention à l’établissement pénitentiaire de Pöschwies (point 29) et conclut que le placement dans cet établissement est toujours justifié. Selon les juges, ce n’est qu’à plus long terme que la question de la conformité des conditions de détention avec la dignité humaine pourrait se poser, si le régime de détention reste inchangé. Étant donné que l'isolement de longue durée est dure déjà depuis plus de trois ans, il est difficile de savoir quand ce «long terme» sera atteint.

32. Le Tribunal de district de Zurich reconnaît que les conditions de détention constituent un traitement inhumain (mars 2021)

En mars 2021, le Tribunal de district de Zurich admet que les conditions de détention de Brian à la prison de Pfäffikon (voir point 14) constituaient un traitement inhumain et dégradant au sens de l’art. 3 CEDH et l’art. 10 al. 3 Cst., mais rejette ses demandes de dommages-intérêts et de réparation morale, celles-ci étant prescrites. Le jugement est porté devant la Cour suprême du canton de Zurich.

33. Expertise du «International Rehabilitation Council for Torture Victims» (IRCT) (avril 2021)

Dans un rapport, l’IRCT critique vivement les conditions de détention de Brian. Les expert·e·s indiquent notamment que l’isolement auquel Brian est soumis depuis deux ans et six mois correspond dans une large mesure à la définition de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ou humiliants selon la Convention des Nations Unies contre la torture ainsi que selon les déclarations de l’Association Médicale Mondiale (AMM) de Tokyo (1975). L’organisation appelle ainsi à mettre immédiatement fin à cette pratique et ajoute que Brian devrait être autorisé à rencontrer physiquement les membres de sa famille.

L'IRCT, basée à Copenhague et présente dans 76 pays, est la plus grande organisation de soutien aux victimes de la torture et est notamment chargée de veiller au respect du Protocole d'Istanbul. Deux de ses experts médicaux Dr. Pierre Duterte et Dr. Önder Özkalipci ont examiné des milliers de survivant·e·s de la torture et des mauvais traitements dans leur vie professionnelle et rédigé de nombreux articles et ouvrages sur les conséquences psychologiques de la torture.

Alors que les expert·e·s avaient demandé que leur visite dure au minimum dix heures, l'Office de l’exécution judiciaire ne leur accorde que cinq heures. La rencontre a lieu le 28 avril 2021 dans une petite salle de réunion de la prison de Pöschwies, derrière une cloison, et ce malgré le fait que l'IRCT ait demandé que la réunion se déroule dans une grande salle avec une table, un accès aux toilettes et à un robinet, et sans cloison.

34. Brian dispose de sa propre cour (mai 2021)

Depuis mai 2021, Brian peut effectuer sa promenade sans contrainte physique et tous les jours, dans une nouvelle cour minuscule construite à cet effet.

35. Rapport psychiatrique (mai 2021)

Selon le rapport du psychiatre Dr. Binswanger datant du 24 mai 2021, d'après les antécédents de Brian, on peut supposer que son système nerveux serait dépendant d'un niveau élevé de stimulation et de variabilité pour qu'il puisse maintenir son équilibre mental. Les conditions d'enfermement prévues allant totalement à l’inverse, la méthode de privation de stimulus est «hautement susceptible de détruire son identité psychologique».

Le Dr. Binswanger décrit l'isolement cellulaire comme une torture psychologique, ou «torture propre». Or l'un des objectifs que poursuit la torture, à savoir l'extorsion de déclarations, est complètement absent dans le cas de Brian. De plus, pour l’expert, le traitement réservé à Brian visait clairement à briser sa personnalité et avait également un caractère dissuasif. Binswanger estime que le comportement de Brian est justifié d'un point de vue tant éthique que rationnel. Selon lui, toute personne a le droit de se défendre avec tous les moyens disponibles contre la torture, les traitements inhumains et toute autre atteinte de l'État à sa personnalité, son identité et sa survie psychologique ainsi que de revendiquer ses propres droits.

Cette résistance a permis à Brian de contrecarrer les effets de la privation sensorielle et perceptive causée par ses conditions de détention. Il n'est pas exclu que la résistance continue ait entraîné des dommages physiques et psychologiques moindres que ceux auxquels on pouvait s'attendre compte tenu des conditions de détention et de la longue durée.

36. Intervention du Rapporteur spécial de l’ONU sur la torture (mai 2021)

Fin mai 2021, l’ancien Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture Nils Melzer intervient auprès du gouvernement suisse pour dénoncer les conditions de détention de Brian. Il demande officiellement des clarifications supplémentaires au ministre suisse des affaires étrangères, laissant à la Suisse 60 jours pour répondre. Ce n'est qu'à l'expiration de ce délai que son intervention et les réponses éventuelles de la Suisse seront publiées sur le site internet du Haut-Commissariat aux droits de l'homme. 

Nils Melzer rend visite aux détenu·e·s dans le monde entier depuis de nombreuses années; depuis 2016 en tant que Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture, et auparavant pendant douze ans en tant que délégué du Comité international de la Croix-Rouge (CICR). En ce qui concerne la pratique de l’isolement, il affirme que celle-ci tend à exacerber les problèmes sous-jacents et ne constitue en général pas une solution à long terme. L'objectif de la détention doit toujours être de trouver la forme d’incarcération la plus humaine pour chaque détenu·e et non de faciliter le travail des autorités pénitentiaires.

37. Procès de l’incident de juin 2017 au centre correctionnel de Pöschwies (mai/juin 2021)

En mai 2021, la Cour suprême du canton de Zurich condamne Brian à 6 ans et 4 mois d'emprisonnement pour l'incident de juin 2017 à l’établissement pénitentiaire de Pöschwies (voir point 15), durcissant ainsi la peine prononcée par l’instance précédente qui l’avait condamné à 4 ans et 9 mois d’emprisonnement (voir point 25). Toutefois, contrairement à la première instance, les juges renoncent à ordonner des mesures thérapeutiques institutionnelles ainsi qu’à imposer un internement demandé par le Ministère public.

Le juge cantonal Christian Prinz justifie cette décision de la manière suivante: l’internement ne peut être ordonné qu’en dernier recours. Cette pratique n’entre en question que lorsque tous les autres moyens ont été épuisés. Brian a été reconnu coupable de tentative de lésions corporelles graves, infraction pour laquelle un internement peut être ordonné. Prinz évoque également un risque de récidive, tout en rappelant que les prévisions de récidive comportent une certaine marge d’erreur.

Le juge affirme que personne ne peut exactement prédire le comportement à venir d’un individu. «Brian n’est pas un meurtrier, un violeur, un voleur ou un pyromane», dit Prinz. Sa violence doit être comprise comme une lutte contre le système judiciaire. Selon lui, il est donc tout à fait possible que Brian puisse faire ses preuves après avoir purgé sa peine de prison. Aussi, un internement n’est pas proportionné à l'heure actuelle.

38. Condamnation d’un agent de l’établissement pénitentiaire de Lenzburg (juillet 2021)

Le 13 juillet 2021, un agent de l’établissement pénitentiaire de Lenzburg est condamné à une amende avec sursis de 18’900 francs et à une amende de 4’700 francs pour abus de fonction (voir point 24). Il aurait donné des coups de pied à Brian après que celui-ci a été plaqué au sol et soit tasé par six autres agent·e·s de la prison de Lenzburg. 

39. Prononcé présidentiel de la Cour suprême du canton de Zurich (septembre 2021)

Depuis septembre 2017, Brian se trouve en détention provisoire puis en détention pour motif de sûreté (voir point 17). Il a fait recours au Tribunal fédéral contre la décision de novembre 2021 de la Cour suprême du canton de Zurich (voir point 37). Il n’a donc pas encore commencé à purger sa peine de privation de liberté. Il dépose ensuite une demande de libération immédiate que la Cour suprême du canton de Zurich rejette le 17 septembre 2021. Le tribunal ordonne la prolongation de sa détention pour motif de sûreté jusqu’au début de l’exécution ordinaire de sa peine. La Cour suprême justifie les conditions de détention restrictives en se basant sur les rapports officiels, tout en refusant toute crédibilité aux expertises privées remises par Brian.

40. Deuxième intervention du Rapporteur spécial de l’ONU sur la torture (septembre 2021)

À la suite de la première intervention de l’ancien Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture, Niels Melzer (voir point 36), le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) a rejeté toute reproche qui lui était adressée. Le 3 septembre 2021, le Rapporteur spécial intervient de nouveau. Il dénonce le DFAE de ne pas coopérer avec l’ONU et demande, encore une fois, la levée de l’isolement de Brian ainsi qu’une enquête sur toutes les plaintes pour mauvais traitements depuis 2006.

41. Recours de Brian (octobre 2021)

En octobre 2021, Brian fait recours au Tribunal fédéral et demande l’annulation du prononcé présidentiel du 17 septembre 2021 (voir point 39). La Cour suprême du canton de Zurich avait refusé la libération immédiate de Brian et ordonné la prolongation de sa détention pour motif de sûreté jusqu’au début de l’exécution ordinaire de sa peine.

42. Le Tribunal fédéral donne raison à Brian (novembre 2021)

Dans son arrêt du 12 novembre 2021, le Tribunal fédéral admet entièrement le recours de Brian contre le jugement de l’instance cantonale précédente. Ainsi, le tribunal annule le jugement de la Cour suprême du canton de Zurich rendu en mai, par lequel Brian a été condamné à une peine privative de liberté de 6 ans et 4 mois pour plusieurs délits commis lorsqu’il purgeait sa peine (voir point 37). Le recours du Ministère public zurichois demandant un internement est donc déclaré sans objet.

Les juges considèrent qu'en répondant par la négative à la question de savoir si l'intéressé avait été soumis à des conditions d'exécution inhumaines et dégradantes et se trouvait de ce fait dans un état de nécessité, le tribunal cantonal a eu tort de ne se pencher que sur les conditions de détention actuelles. Le Tribunal fédéral conclut que la Cour suprême a violé son obligation de motivation ainsi que le droit d'être entendu de Brian et a établi les faits de manière incomplète. 

Le Tribunal fédéral renvoie la cause à l'instance précédente pour une nouvelle décision: elle demande à la Cour de revoir son jugement en examinant notamment les peines et les mesures de contrainte que Brian a encourues depuis qu'il a l'âge de dix ans, ainsi que les avis de droit et son carnet personnel. Enfin, les juges rappellent à l'instance cantonale qu'elle ne doit plus se référer à des décisions antérieures qui n'ont pas pris en compte les conséquences personnelles, sociales et psychiques des conditions de détention de Brian.

43. Critique de la Commission nationale de prévention de la torture (novembre 2021)

En novembre 2021, la CNPT publie ses recommandations dans une lettre de sept pages. Elle critique notamment la longue durée de l'isolement et constate qu’un isolement prolongé peut nuire gravement à la santé mentale et limiter fortement les possibilités de resocialisation. Elle recommande donc d'introduire des mesures globales pour que l'isolement de Brian soit conforme aux droits humains et pour éviter que sa santé ne se détériore.

La CNPT estime que les critères d'assouplissement de la détention devraient être mieux adaptés aux capacités du jeune homme afin de lui donner une réelle possibilité d'améliorer la situation actuelle de détention par son propre comportement. De plus, au vu de la situation délicate, la commission s’interroge sur la possibilité de chercher des alternatives pour le placement de Brian dans d'autres établissements.

44. Renvoi de la demande de dommages-intérêts et de réparation morale à l’instance précédente (novembre 2021)

Dans le jugement de première instance, le Tribunal de district de Zurich reconnaît le placement inhumain de Brian, mais n’admet pas sa demande de dommages-intérêts ni de réparation morale, car les prétentions n’auraient pas été invoquées à temps (voir point 32). Contrairement à ce premier jugement, la Cour suprême zurichoise juge que la loi applicable en question n’est pas le Code de procédure pénale, mais la loi cantonale sur la responsabilité civile. Ainsi, Brian a fait valoir ses droits dans les délais et l’affaire est renvoyée au Tribunal du district de Zurich.

45. Acquittement des psychiatres par la Cour suprême de Zurich (novembre 2021)

La Cour suprême de Zurich acquitte les trois psychiatres de la clinique psychiatrique universitaire de Zurich de l’accusation de séquestration (voir points 6 et 24), confirmant ainsi le jugement de la première instance (voir point 27). Le tribunal juge que la durée de la contention de treize jours était proportionnée, mais reconnaît également que Brian est victime d’une injustice et que le système judiciaire a échoué. Il admet une violation du principe de célérité en raison de la longue durée de la procédure.

46. Le Tribunal fédéral exige la fin de l’isolement (décembre 2021)

Dans un arrêt du 3 décembre 2021, le Tribunal fédéral exige des autorités zurichoises la levée des conditions de détention inhumaines. En octobre 2021, Brian avait fait recours contre le prononcé présidentiel du 17 septembre 2021 de la Cour suprême du canton de Zurich (voir points 39 et 41), qui ordonnait la prolongation de la détention pour motif de sûreté jusqu’au début de l’exécution ordinaire de la peine. Le Tribunal fédéral admet partiellement le recours et renvoie l’affaire à la Cour suprême du canton de Zurich. Le Tribunal fédéral critique le raisonnement à sens unique de l’instance précédente et constate que les conditions de détention de Brian «contredisent les exigences d’une exécution de la peine conforme aux droits humains, qui exige, même en cas de détention à haute sécurité, des contacts sociaux tant à l’extérieur qu’à l’intérieur de l’établissement ainsi qu’une planification du déroulement de la journée avec des activités adaptées» (traduction libre).

47. Questions au Conseil fédéral (décembre 2021)

Dans le cadre de l'heure des questions au Conseil national lors de la session d'hiver 2021, la conseillère nationale Sibel Arslan demande au Conseil fédéral ce qu'il entreprend pour s'assurer que la Suisse remplisse ses obligations en matière de droits humains dans le cas de Brian, en particulier celles qui relèvent de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et s'il s'engage pour qu'une enquête indépendante, éventuellement pénale, soit menée pour examiner les allégations de torture formulées.

Le Conseil fédéral répond le 13 décembre 2021 qu’il soutient le travail d'organes indépendants internationaux et nationaux de prévention de la torture, et a une confiance totale dans le travail des tribunaux cantonaux et fédéral, au sein desquels l'affaire est toujours pendante. Selon le principe de séparation des pouvoirs, il s'abstient de s'impliquer dans le travail judiciaire et de commenter des arrêts.

48. Plainte pénale contre les autorités judiciaires (décembre 2021)

Le 24 décembre 2021, les avocat·e·s de Brian ont déposé une plainte pénale contre les autorités judiciaires zurichoises, les accusant de torture et de traitements inhumains, en s'appuyant notamment sur une expertise du médecin André Seidenberg. À leur demande, celui-ci a examiné le dossier médical de Brian et a conclu que les traitements et examens médicaux effectués au centre de détention de Pöschwies ne répondaient pas aux standards médicaux. Seuls des examens sommaires ont été effectuées «là où la diligence médicale aurait été opportune», a déclaré Seidenberg lors de la conférence de presse du 21 février 2022.

Les avocat·e·s demandent une enquête complète sur les allégations de torture par un organisme indépendant ainsi que la libération immédiate de Brian. Ils/elles relèvent que bien que plusieurs expertises et rapports médicaux aient établi le traitement inhumain qu’a subi Brian, les autorités sont restées inactives, allant à l’encontre des obligations internationales auxquelles a souscrit la Suisse. Le Conseil économique et social de l'ONU déclare que «lorsqu'un détenu ou son parent ou son avocat porte plainte pour torture, une enquête devrait toujours avoir lieu et, à moins que l’allégation soit manifestement sans fondement, les fonctionnaires impliqués devraient être suspendus de leurs fonctions jusqu’à la conclusion de l’enquête et de toute autre procédure judiciaire ou disciplinaire y faisant suite».

49. Racisme: critique d'un groupe de travail de l'ONU (janvier 2022)

En janvier 2022, Brian reçoit à Pöschwies la visite d'un groupe de travail d'expert·e·s de l'ONU sur les personnes d'ascendance africaine. La rencontre, qui dure environ une heure, a lieu dans la cour de promenade, sans barrières ni entraves. Le groupe d'expert·e·s considère le cas de Brian comme un «exemple drastique de racisme structurel en Suisse». Dans son communiqué de presse, le groupe de travail constate que la discrimination raciale et l'injustice sont manifestes à chaque étape de cette affaire.

50. Transfert dans un centre de détention provisoire (janvier 2022)

Suite au jugement rendu par le Tribunal fédéral en décembre 2021 (voir point 46), la détention de longue durée de Brian est levée par la direction de la justice zurichoise en janvier 2022. Brian est transféré dans une maison d’arrêt zurichoise afin d’être intégré dans le régime de détention ordinaire. Il a notamment la possibilité d'entretenir des contacts avec des codétenus.

51. Réparation morale pour les conditions de détention inhumaines (février 2022)

Le 24 février 2022, le Tribunal de district de Zurich accorde à Brian une réparation morale d’un montant de 1’000 francs. En mars 2021, le tribunal avait certes reconnu le caractère inhumain des conditions de détention de Brian au sens de l’art. 3 CEDH et de l’art. 10 al. 3 Cst., mais avait encore rejeté ses demandes de dommages-intérêts et de réparation morale car, selon lui, elles étaient prescrites (voir point 32). Après que la Cour suprême du canton de Zurich ait statué en appel, l’affaire avait été renvoyée en novembre 2021 à l’instance précédente pour que celle-ci revoit la validité des prétentions en dommages-intérêts et en réparation morale. Contrairement à ce qu’avait jugé la première instance, ce n’était pas le code de procédure pénale, mais la loi cantonale sur la responsabilité civile qui constituait la loi applicable. Or sur la base de cette loi, Brian avait fait valoir ses droits dans les délais (voir point 44).

52. La Cour suprême prolonge la détention pour motif de sûreté (mars 2022)

Par un arrêt rendu par un juge unique le 17 mars 2022 (SB210634-O/Z7/js), la Cour suprême du canton de Zurich prolonge la détention pour motif de sûreté de Brian jusqu’à ce que soit rendue la décision finale de l’autorité d’appel dans le cadre de la procédure pénale en cours. La Cour estime que les conditions d’une détention, à savoir le soupçon grave et le risque de récidive, sont toujours réunies. Les juges considèrent qu’il n’y a pas non plus de risque de détention excessive pour l’instant et que Brian se trouve dans un cadre de détention ordinaire qui ne peut faire l’objet de critiques. Les avocat·e·s de Brian déposent un recours contre cette décision auprès du Tribunal fédéral.

53. Intervention finale du Rapporteur spécial de l’ONU sur la torture (mars 2022)

Le Département fédéral des affaires étrangères n’ayant toujours pris aucune mesure après la deuxième intervention du Rapporteur spécial de l’ONU sur la torture (voir point 40), Niels Melzer dépose une intervention finale fin mars. Dans celle-ci, il invite la Suisse à mener une enquête juridique portant sur sept incidents représentatifs du traitement de Brian par l’État. Le Rapporteur spécial de l’ONU dénonce la Suisse de ne pas avoir mené ces enquêtes conformément à la Convention de l’ONU contre la torture, et ce malgré les demandes répétées. Les autorités auraient uniquement réagi pour justifier le non-respect du droit international impératif. L’intervention finale a été cosignée par Miriam Estrada-Castillo, présidente-rapporteure du Groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire, ainsi que par Dominique Day, membre du groupe de travail d’expert·e·x·s de l’ONU sur les personnes d’ascendance africaine. 

54. Le Tribunal fédéral rejette le recours contre la détention pour motif de sûreté (mai 2022)

Dans un arrêt du 11 mai 2022, le Tribunal fédéral rejette le recours contre la prolongation de la détention de Brian (voir point 52). Si la Cour estime que son comportement s’est amélioré, elle considère que Brian ne se trouve «que depuis environ trois mois et demi, donc depuis peu de temps dans un régime moins contraignant» (traduction libre). Une thérapie qui pourrait lui assurer une stabilisation est également encore en discussion. Globalement, le Tribunal fédéral part du principe que le risque de récidive s’est réduit, mais qu’il reste considérable. Une «détention excessive», c’est-à-dire une détention pour motif de sûreté qui dure plus longtemps que la peine privative de liberté correspondant à ce qui lui sera prononcée, devient toutefois de plus en plus probable.

55. Groupe de travail de l’ONU: prise de position sur Brian (octobre 2022)

Après avoir rencontré Brian en janvier 2022 à Pöschwies (voir point 49), le groupe d’expert·e·x·s de l’ONU sur les personnes d’ascendance africaine publie ses conclusions dans un rapport le 4 octobre 2022. Selon le groupe de travail, l’État partie s’appuie fortement sur des stéréotypes racistes
et des convictions fondées sur des considérations raciales concernant les hommes et les garçons noirs. L’enfance, l’accès à la famille et l’éducation lui ont été volés. Sa situation est un exemple frappant du racisme systémique et de la torture légalement autorisée en Suisse.

56. La Cour suprême du canton de Zurich ordonne la libération (octobre 2022)

Par une décision datant du 31 octobre 2022, la Cour suprême du canton de Zurich ordonne la libération de Brian de la détention pour motif de sûreté. Les juges estiment que la détention de longue durée ne serait plus proportionnelle, car trop proche de la peine privative de liberté correspondant aux délits qui lui sont reprochés. Dans un arrêt du 11 mai 2022, le Tribunal fédéral avait déjà relevé les risques de plus en plus probables d’une détention excessive (voir point 54).

57. Le Ministère public demande la détention préventive (novembre 2022)

Dans un communiqué de presse du 3 novembre 2022, le Ministère public zurichois indique qu’il ne conteste pas la décision de la Cour suprême zurichoise de libérer Brian. Toutefois, dans le cadre de la procédure pénale en cours concernant différents incidents survenus dans des établissements pénitentiaires, il dépose une demande de détention provisoire auprès du tribunal des mesures de contrainte de première instance, invoquant comme motif un risque de récidive avéré à l’heure actuelle.

58. Le Tribunal zurichois des mesures de contrainte ordonne la détention provisoire (novembre 2022)

Le 8 novembre 2022, le Tribunal zurichois des mesures de contrainte ordonne la mise en détention provisoire de Brian, à la suite de la demande du Ministère public (voir point 57). La décision de la Cour suprême du canton de Zurich du 31 octobre 2022 (voir point 56), qui prévoyait la libération de Brian en raison du risque de détention excessive, devient ainsi nulle. Les avocat·e·s de Brian portent la décision du Tribunal zurichois des mesures de contrainte devant la Cour suprême de Zurich.

59. La Cour suprême du canton de Zurich confirme le maintien de la détention provisoire (décembre 2022)

Le 14 décembre 2022, la Cour suprême de Zurich rejette le recours contre le maintien en détention provisoire (voir point 57) et confirme ainsi la décision du Tribunal zurichois des mesures de contrainte de novembre 2022 (voir point 58). La décision n'est pas encore entrée en force et peut faire l'objet d'un recours devant le Tribunal fédéral.

60. La Cour suprême du canton de Zurich confirme le maintien de la détention provisoire (décembre 2022)

Par son arrêt du 13 février 2023 (1B_22/2023), le Tribunal fédéral confirme le jugement de la Cour suprême zurichoise. Celle-ci ayant conclu à l'existence d'un risque de récidive, le requérant doit rester en détention provisoire. Le Tribunal fédéral rejette le recours de Brian, considérant que la Cour suprême zurichoise ne viole ni le droit fédéral ni les droits fondamentaux du recourant en admettant que celui-ci présente à ce stade un risque de récidive. Les juges de Lausanne estiment qu'au vu des infractions graves commises par le passé et d'un pronostic de récidive clairement défavorable, il existe un risque sérieux que Brian puisse à nouveau commettre des infractions de violence du même genre. Le Tribunal fédéral constate par ailleurs qu'il n'y a pas lieu d'examiner la proportionnalité des détentions antérieures, mais seulement la durée de la nouvelle détention provisoire ordonnée le 8 novembre 2022; les juges considèrent que celle-ci n'est pas encore très proche de la peine privative de liberté (ch. 3.2).

61. Le Tribunal fédéral annule l’acquittement des psychiatres de Brian (juillet 2023)

Par son arrêt du 13 juin 2023 (6B_356/2022), le Tribunal fédéral annule le jugement de la Cour suprême zurichoise du 29 octobre 2021 à la suite du recours des avocats de Brian. Le Tribunal fédéral renvoie la décision à l’instance précédente, car celle-ci n’a pas satisfait aux exigences de motivation. En outre, le Tribunal fédéral reconnaît que Brian a possiblement été victime de torture ou d’autres formes de traitements cruels, inhumains ou humiliants. Les psychiatres responsables de la contention à sept points que Brian a subie à 16 ans (voir point 6) risquent finalement tout de même d’être condamné·e·x·s pour séquestration.

62. Le Tribunal fédéral constate que la détention de Brian pour motif de sûreté est conforme à la loi (août 2023)

Dans son arrêt du 24 juillet 2023 (7B_188/2023), le Tribunal fédéral juge toutefois que la détention pour motif de sûreté est conforme à la procédure pénale et n’entrave pas le droit à la liberté de Brian. Les juges estiment cependant que l’attente provoquée par l'ouverture tardive d’une enquête pénale par le Ministère public zurichois ainsi que sa décision de renouveler la peine seulement trois jours avant la libération sont incompréhensibles. Le Tribunal fédéral enjoint les autorités pénales de faire immédiatement avancer l’enquête pénale en cours (§ 10.5.1).

63. Le Tribunal fédéral condamne un gardien pour coups

Le 10 juillet 2023, le Tribunal fédéral condamne (6B_1298/2022) un employé de l’établissement pénitentiaire de Lenzburg pour abus d'autorité. Lors d’un transfert vers un autre établissement, ce dernier avait porté deux coups de pied et de poing à Brian alors qu’il se trouvait à terre et sans défense.

64. Décision du Tribunal de district de Dielsdorf (ZH): les trois années et demie d’isolement à Pöschwies constituaient un traitement inhumain (novembre 2023)

Depuis la levée de la détention en isolement en janvier 2022 par le Tribunal fédéral et le transfert de Brian vers une maison d’arrêt zurichoise, son comportement est irréprochable: il respecte les conditions de la vie carcérale et n’a pas recours à la violence.
Malgré un bon rapport de conduite de la prison de Zurich, Brian doit se présenter devant le Tribunal de district de Dielsdorf pour des délits qu’il a commis durant ses trois années et demie d’isolement à l’établissement pénitentiaire de Pöschwies. Selon la défense, les actions de Brian étaient une réponse directe aux conditions inhumaines de son placement prolongé en isolement. Les autorités zurichoises l’auraient privé des occupations et des stimulations dont il avait pourtant besoin. Sa solitude et son isolement – sans livres, sans possibilités de formation et sans contact avec des codétenus - ne lui auraient laissé d’autres possibilités que de se défendre contre l’état de folie qui le guettait, de s’exprimer et de provoquer des stimulations. La défense de Brian estime que celui-ci a subi un traitement inhumain proscrit par l’interdiction de la torture dont il voulait simplement s’extraire. Ses actes s’inscrivaient donc dans un état de nécessité licite au sens de l’article 17 du code pénal suisse. Ces arguments des avocats de Brian sont étayés par l’expert chargé par la Cour suprême de Zurich d’examiner les conditions de détention.
Deux jours avant l’ouverture du procès, Thomas Manhart, directeur du centre pénitentiaire de Zurich entre 2007 et 2019, présente des excuses publiques à Brian. Il s’excuse pour le tort qui lui a été infligé sous sa responsabilité, les violations des droits humains, l’isolement prolongé et l’absence tant d’espoir que de perspectives.
Lors de l’ouverture du procès le 8 novembre 2023, le Tribunal de district de Dielsdorf désapprouve clairement la durée excessive de l’isolement de Brian à Pöschwies, estimant que ces trois ans et demi ont constitué un traitement inhumain. Le tribunal ne suit cependant pas l’avis de la défense selon lequel la violence de Brian pouvait être justifiée par son isolement inhumain, et prononce une peine d'emprisonnement de 2 ans et demi à son encontre. Vu l'imminence de la durée de détention, qui est bientôt excessive, Brian sort du régime de détention pour motif de sûreté le 10 novembre 2023. Les parents et les avocats de Brian ont élaboré un plan pour le soutenir de manière adéquate dans tous les défis qui l'attendent en dehors des murs de la prison après sa longue privation de liberté.

65. Le Tribunal fédéral admet partiellement les recours de Brian Keller: le Ministère public doit, contre sa volonté, poursuivre l'enquête pénale contre deux collaborateurs de l'établissement pénitentiaire de Pöschwies en portant plainte contre eux auprès du tribunal compétent.

En avril 2019, un incident se produit au sein de l'établissement pénitentiaire de Pöschwies alors que Brian se prépare pour la promenade dans la cour avec des employés du service de sécurité. Brian, qui a des entraves au niveau des mains et des pieds, frappe le bouclier de protection d'un des collaborateurs. Six agents pénitentiaires le mettent alors à terre et au moins deux agents le frappent. Les parents de Brian Keller portent plainte contre les collaborateurs concernés, leur reprochant d'avoir agressé et blessé leur fils de manière disproportionnée. Le jour de l'incident, le médecin de la prison constate un gonflement et un hématome au nez, des gonflements et des hématomes aux deux poignets avec des marques circulaires, possiblement causées par des menottes, une petite plaie superficielle par déchirure au coude droit ainsi que plusieurs petits hématomes aux deux avant-bras.
Pour le Tribunal fédéral, il est clair que deux agents ont porté des coups contre lui et ont donc commis des actes en principe répréhensibles. Les juges estiment toutefois que la situation en fait et en droit ne permet pas de savoir si ces actes ont été commis conformément à l'article 23 de la loi sur l'exécution des peines et mesures du canton de Zurich en relation avec l'article 14 du code pénal. Pour la Cour, l'enregistrement vidéo ne permet en effet pas de déterminer si les coups ont été portés uniquement avant ou encore après l'immobilisation au sol - ce qui fonderait l'existence d'une situation justifiée. En outre, il est nécessaire qu'un tribunal clarifie si les coups étaient réellement appropriés et nécessaires pour l'immobilisation - ce qui fonderait la proportionnalité des actes. Par conséquent, le Ministère public ne peut classer la procédure: il doit poursuivre l'enquête pénale contre ces deux fonctionnaires et porter plainte devant le tribunal compétent (7B_68/2023, jugement du 7 novembre 2023). Le Ministère public n'est pas entré en matière sur le recours de la défense selon lequel l'enquête pénale doit être menée par un ministère public indépendant de l'appareil judiciaire zurichois (7B_472/2023, jugement du 7 novembre 2023).

66. Le Ministère public zurichois ouvre une procédure pénale contre Brian Keller (janvier 2024)

Le 22 janvier 2024, le ministère public a ouvert une enquête contre Brian pour provocation publique au crime ou à la violence selon l'article 259 du code pénal.

Contact

Livia Schmid
Responsable de la consultation juridique pour les personnes en détention

livia.schmid@humanrights.ch
031 302 01 61
Jours de présence au bureau: Ma/Je/Ve

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