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Cas traité: Suicide en garde à vue – prise en charge défaillante d’un choc carcéral

04.12.2024

Alex Berger* s’est ôté la vie peu de temps après son arrivée en garde à vue. Des lacunes dans sa surveillance et son suivi médical ont été mises en évidence par une enquête. Un litige stratégique a été lancé pour, d’une part, établir si les directives en vigueur visant à prévenir les chocs carcéraux sont bien conformes aux standards du droit international et, d’autre part, examiner la responsabilité de l’État.

Au matin du 22 mai 2023, plusieurs agent·e·x·s de police arrêtent Alex Berger* sur son lieu de travail, sous les yeux de ses collègues et de ses responsables. On le soupçonne alors de tentative d’instigation à assassinat. 

Après de nombreuses heures d’interrogatoires au poste de police, M. Berger est transféré en fin d’après-midi dans une cellule individuelle de la prison régionale de Bienne. Lors de son audition, il indique n’avoir besoin d’aucun soutien médical ou psychologique, et lorsque la police lui demande explicitement s’il a des intentions suicidaires, il répond par la négative. 
 
Au petit matin, Berger est retrouvé mort dans sa cellule, pendu avec ses lacets. Afin de faire toute la lumière sur cette affaire, ses enfants et sa mère, qui se demandent si ce suicide aurait pu être évité, déposent une plainte pénale. Le 21 août 2023, le ministère public chargé des tâches spéciales du canton de Berne ouvre une enquête pénale contre inconnu pour homicide par négligence par omission.

L’enquête conclut que ce motif n’est pas fondé. Le ministère public ne constate par ailleurs aucun manquement ni aucune violation des directives internes, tant de la part du procureur ayant ordonné l’arrestation que de celle des fonctionnaires de police et des agent·e·x·s ayant participé à la mise en garde à vue de Berger. Au printemps 2024, le ministère public ordonne un classement sans suite. Si l’entourage de Berger accepte cette décision, il demande toutefois une dernière explication.

C’est dans l’ordonnance de classement que les proches de Berger trouveront des réponses. Si le ministère public innocente les fonctionnaires concerné·e·x·s, il retient toutefois que Berger remplissait plusieurs conditions trahissant un risque réel de suicide et que le personnel de la prison régionale de Bienne aurait pu s’en rendre compte. Selon l’enquête, il est probable que Berger ait subi un choc carcéral. Ce traumatisme touche les personnes qui, à l’instar de Berger, se trouvent pour la première fois de leur vie en détention provisoire ou en garde à vue. En un clin d’œil, leur quotidien vole en éclat et elles réalisent qu’elles sont privées de toute leur autonomie et leur liberté d’agir. À cela s’ajoute le sentiment de honte d’être en prison vis-à-vis de la famille et de l’entourage. Les connaissances scientifiques actuelles tendent à montrer que les personnes en proie à un choc carcéral sont particulièrement sujettes au suicide et que ce risque grandit lorsque l’arrestation se déroule en présence de proches, comme c’était le cas pour Berger.

Dans ses conclusions, le ministère public indique ainsi que le suicide de Berger aurait vraisemblablement pu être évité si la détention de ce dernier avait pris une forme différente, par exemple si une ronde régulière ou une évaluation psychiatrique avaient été mises en place. Berger aurait également pu partager sa cellule avec une autre personne et ses lacets auraient dû lui être retirés. Le ministère public a donc établi que Berger a été enfermé sans qu’il ne bénéficie d’une consultation et d’une surveillance médicales adéquates, alors même qu’elles auraient été nécessaires à sa propre sécurité.

Les conclusions de la procureure figurant dans l’ordonnance de classement sont tout aussi importantes et, comme l’a relevé le Bieler Tagblatt, elles dépassent le seul cas de Berger. Selon elle, les directives actuelles concernant le personnel carcéral ne permettent pas de prévenir un nouveau suicide analogue à celui de Berger. Le choc carcéral ne fait l’objet de presque aucune prévention auprès des fonctionnaires des autorités de poursuite pénale et de l’exécution des sanctions pénales. Aucune directive ne lui est par ailleurs consacrée.

L’avocat de la famille de Berger critique ces lacunes: pour lui, la responsabilité de l’État est clairement engagée. En effet, si l’État prive des personnes de leur liberté et les place en détention, il s’engage à protéger leur vie et leur intégrité physique (devoir d’assistance). Aux yeux de l’avocat, cela fait longtemps que le canton de Berne aurait dû adapter ses directives et ses pratiques afin de les rendre conformes aux traités de protection des droits humains, notamment relatifs au droit à la vie (art. 10 Cst., art. 2 CEDH, art. 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de l’ONU), mais aussi les directives émises par le Comité des droits de l’homme, les arrêts du Tribunal fédéral et de la Cour européenne des droits de l’homme (CrEDH), ainsi que les Règles pénitentiaires européennes. 

À la demande de l’entourage de Berger, l’avocat se bat pour que la responsabilité de la Suisse en l’espèce et, de manière plus générale, la procédure appliquée par les autorités en cas de détention fassent l’objet d’un examen juridique approfondi. Pour cette raison, l’avocat déposera une action en responsabilité de l’État dans le cadre d’une procédure séparée.

Le suicide de Berger vient s’ajouter à une longue liste de décès dans des circonstances similaires, entre les murs des établissements pénitentiaires suisses. En septembre 2022, une femme placée en garde à vue en ville de Fribourg s’est ainsi pendue avec ses lacets. Une plainte introduite dans le cadre de cette affaire permettra également d’examiner la responsabilité de l’État. 

humanrights.ch demande d’une part que l’aptitude à la détention des personnes détenues soit davantage contrôlée avant leur incarcération, et d’autre part qu’un examen indépendant et professionnel de l’état physique et psychique des personnes concernées soit effectué afin d’éviter les urgences médicales, les décès et les suicides. 

Contact

Livia Schmid
Responsable de la consultation juridique pour les personnes en détention

livia.schmid@humanrights.ch
031 302 01 61
Jours de présence au bureau: Ma/Je/Ve

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