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Mort d’un détenu: symptôme d’un système pénitentiaire à repenser

01.04.2012

La nuit du 11 mars 2010, Skander Vogt, âgé de trente ans (dont 12 passés en prisons) est mort asphyxié dans sa cellule de la prison de Bochuz (Plaine de l’Orbe), sans assistance. En cause: son matelas, auquel il a mis le feu, la lenteur des secours, mais aussi et surtout un système pénitentiaire inadapté et un système pénal contre-productif.

Mort annoncée

«Ce drame m’attriste parce qu’il s’inscrit dans ce qui devait se passer, et malheureusement je ne crois pas que ce sera le dernier», commente le docteur Jean-Pierre Restellini, membre du Comité européen contre la torture et président de la Commission suisse de prévention de la torture dans un article d'InfoSud. Transféré 23 fois depuis son arrestation en 2001, Skander Vogt devait initialement purger une peine de vingt mois. En 2010, il était cependant prisonnier dans un quartier de haute sécurité et sous le coup d’une peine de durée indéterminée, renouvelée d’année en année depuis 2001. Comment expliquer l’engrenage effarant de ce parcours ?

La peine indéterminée,  synonyme de prison sans fin ?

L’article 64 du code pénal suisse permet d’interner les délinquants jugés dangereux pour une durée indéterminée. Cet article concerne particulièrement les condamnés dont on estime qu’ils ne requièrent pas de soins spécifiques mais compromettent toutefois «gravement la sécurité publique». Skander Vogt rentrait dans cette catégorie. Son comportement en détention, retranscrit dans les rapports servant de base de décision à la commission chargée d’examiner les signes de dangerosité ou de récidive, a amené cet homme à voir sa peine indéterminée prolongée d’année en année.  C’est du fait de son asocialité et de ses troubles psychiques que Skander Vogt a passé neuf ans au lieu de vingt mois en détention et qu’il a été transféré dans un quartier de haute sécurité.

Manque de structures….depuis 1965

L’article 43, l’ancêtre de l’article 64, a été introduit dans le code pénal en 1965 pour modifier une disposition qui prévoyait le renvoi dans les hôpitaux psychiatriques des délinquants condamnés à l’internement, avec ou sans traitement. Il s’agissait de désengorger les hôpitaux en exécutant ailleurs qu’en milieu médical ces mesures d’internement sans suivi thérapeutique. Le législateur de 1965 avait par ailleurs prévu la création d’un établissement spécialisé dans l’accueil de ces détenus. Un problème toujours d'actualité.

«On trouvera normal de soigner un tuberculeux, mais avec les troubles psychiatriques, la situation est différente, explique Jean-Pierre Restellini. Parce que leur maladie s’exprime justement par le fait qu’ils sont délinquants. Ce sont des gens désagréables et agressifs, mais ce sont justement les symptômes de leur maladie. Et c’est très difficile de faire voter des budgets pour qu’ils soient traités de manière à retrouver un comportement social normal.»

Responsabilité collective

Alors que les agents de détention sont montrés du doigt pour leurs propos intolérables et que justice et médias cherchent le coupable de la mort de Skander Vogt, le docteur Restellini rappelle avec raison que derrière ce drame se cache une responsabilité collective: « C’est facile d’accuser les agents de détention, le directeur du pénitencier, ou même le ministre de la Justice mais, quelque part, toute cette systématique-là répond à l’attente de l’opinion publique et des électeurs. En fait tout le monde est coupable et il ne suffit pas de couper des têtes».

En effet, l’adoption de l’article 64, plus sévère encore que l’ancien article 43, a été adopté dans un contexte particulier. Il s’agissait à l’époque d’opposer un contre-projet indirect à l’initiative populaire dite « pour l’internement à vie des délinquants dangereux », qui visait à mettre en place une véritable prison à perpétuité.

Un procès attendu

Le Tribunal fédéral a accepté le 30 mars 2012 le recours déposé par la soeur de Skander Vogt et a annulé le non-lieu prononcé par le juge d'instruction après les faits. Selon lui, l’affaire «soulève de nombreuses questions de fait et de droit, concernant notamment le déroulement précis des faits, et en particulier le moment du décès, respectivement de l’intoxication irréversible». De plus, «de nombreux services sont impliqués, et plusieurs négligences ont d’ores et déjà été constatées, l’une des questions à résoudre étant l’existence d’un rapport de causalité avec le décès.» En 2014, le Tribunal correctionnel de la Broye et du Nord vaudois a finalement acquitté huit des neuf prévenus.

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