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Conditions de détention dramatiques: le Valais garde les bras croisés depuis 10 ans

09.07.2018

Dans une lettre adressée au conseiller d’État Frédéric Favre (Département de la sécurité, des institutions et du sport du Canton du Valais), en janvier 2018, la Commission nationale de prévention de la torture (CNPT) qualifiait les conditions de détention administrative de Granges d’«inacceptables au regard des normes nationales et internationales qui la régissent». Sous la plume de l’entité nationale chargée de vérifier la conformité avec les droits humains des lieux de privation de liberté, les mots choquent. Ceci d’autant plus que cela fait dix ans que différents organes, cantonaux, nationaux et même internationaux, dénoncent les conditions de vie inadmissibles qui prévalent dans ce centre de détention administrative.

Inquiétude générale

Les rapports de visite du Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) et de la Commission de justice du canton du Valais (COJU), respectivement en 2008 et en 2017, partagent ce désarroi face à des faits consternants: soins sommaires, mesures de sécurité disproportionnées, locaux de détention vétustes, absence d’espaces d’intimité et de contacts, ou encore détention de mineur-e-s. Il est d’autant plus intolérable qu’au LMC de Granges sont incarcérées principalement des personnes exilées, en attente de renvoi, qui n’ont commis aucun délit si ce n’est qu’on leur ait refusé le droit d’asile.

En outre, le Tribunal fédéral (arrêt 2C_384/2017) a admis, le 3 août 2017, le recours d’un détenu qui dénonçait des conditions d’enfermement indignes, estimant que le Tribunal valaisan n’avait pas établi la compatibilité des exigences de détention avec l’art. 3 CEDH (interdiction de la torture).

Violations des droits humains

En décembre 2017, lors d’une visite de suivi, la CNPT observait notamment avec inquiétude la situation des femmes incarcérées, alors que l’infrastructure du Centre LMC de Granges ne permettait pas de garantir une «séparation stricte» entre femmes et hommes. A quoi, elle a réagi en exigeant que soient prises des «mesures urgentes» pour y remédier. Au vu du caractère purement administratif de la détention au LMC de Granges, la CNPT condamnait également les conditions trop carcérales de l’établissement et les limitations «excessives» à la liberté de mouvement. En outre, elle dénonçait à nouveau une «mesure de sécurité» toujours en vigueur consistant à menotter systématiquement les détenu-e-s lors de visites médicales externes. Celle-ci étant ressentie comme particulièrement dégradante par des personnes qui n’ont par ailleurs, aucun passif de violence.

Ce n’était donc pas la première fois que les conditions du LMC de Granges avaient été dénoncées. Lors de ses visites de suivi en 2010, 2012 et 2016, la CNPT déplorait déjà une détention administrative «[non] conforme aux dispositions fédérales et aux normes internationales en la matière». Par ailleurs, Amnesty International et la Croix rouge se sont indignées des conditions de détention, après qu’un détenu ait bouté le feu à sa cellule en avril 2017.

La CNPT relève bien quelques changements, notamment l’installation d’une paroi qui sépare les toilettes de la cellule, mais rien qui n’altère réellement les conditions de détention indigne qui prévalent dans l’établissement valaisan.

Dix ans d’inaction de l’Etat du Valais

En 2008 déjà, le CPT s’était étranglé, dans un rapport accablant, du traitement réservé à une personne détenue au LMC de Granges qui pouvait «s’apparenter à un traitement inhumain et dégradant». De surcroît, depuis 2010, la CNPT signale que la plupart des recommandations issues de ses rapports adressés au Conseil d’État du canton du Valais n’ont pas été suivies d’effet. Constat souligné par le rapport de la COJU qui appelle à une prise de conscience politique: «la question est discutée depuis bientôt une décennie, sans qu’aucune mesure concrète […] n’ait été prise jusqu’ici.»

Commentaire de humanrights.ch

Comment expliquer dans ce contexte la surprise et l’effarement manifestés par les député-e-s valaisan-ne-s à la suite du rapport de la COJU en 2017? Comment même expliquer que, malgré la gravité des faits et le malaise suscité par ce rapport, le PLR et le PDC se sont accordés sur le fait qu’il est, très commodément, «difficile de composer avec le manque de moyens»?

Il est dans tous les cas consternant que le conseiller d’Etat Frédéric Favre maintienne que les investissements permettant des conditions de vie dignes à ces hommes, femmes et même certain-e-s mineur-e-s, entrent en compétition avec «peut-être une école, peut-être des routes, avec d’autres choses». Ainsi, ses propos sont clairs: ces personnes en quête de protection représentent un coût qu’il faut minimiser et le sacrifice de leur dignité humaine est un dommage collatéral dont on peut s’accommoder. Il est surtout le moment de rappeler que le canton du Valais est, comme tous les autres, soumis à des règles et que ses représentant-e-s sont là pour les appliquer et les faire respecter.

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