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«Cochon d'étranger» ou «sale requérant d’asile» ne sont pas des injures racistes pour le TF

19.03.2014

Quand est-ce qu’une insulte tombe sous le coup de la norme pénale antiraciste (art. 261 bis CP)? C’est la question qu’a dû traiter le Tribunal fédéral (TF) le 6 février 2014 dans le cas d’un recours déposé par un policier condamné sur le plan cantonal pour avoir traité de «Cochon d’étranger» et de «sale requérant d’asile» un suspect lors d’une interpellation en pleine foire de Bâle en 2007. L'agent avait alors écopé d'une peine pécuniaire avec sursis et d'une condamnation pour infraction à la norme pénale antiraciste.

Une sanction désormais annulée par le TF, selon qui les insultes «Cochon d’étranger» ou «sale requérant d’asile» ne sont pas racistes et ne portent pas atteinte à la dignité humaine. Une décision pour le moins difficile à suivre, sans parler du risque de banalisation de ce genre d’insulte qu’engendre l’arrêt, y compris dans le contexte déjà délicat de la violence d’État: la police.

Pas d’atteinte à la dignité humaine ?

Le Tribunal fédéral a construit son argumentation sur l’opposition entre l’injure (art. 177 CP) et la discrimination raciale (art. 261 bis CP). Dans le cas de la première, il s’agit d’une atteinte à l’honneur d’une personne, alors que dans le second cas, il s’agit d’une atteinte à la dignité humaine d’une personne ou d’un groupe de personnes. Il y a d’après le TF atteinte à la dignité humaine notamment lorsqu’une personne est traitée «en tant qu’être humain de seconde classe». Dans le cas d’espèce, le TF a affirmé que des expressions telles que «sale» (Sau ou Dreck) sont communément utilisées dans un contexte de mécontentement afin d’injurier une personne, à cause de son sexe, de son orientation sexuelle ou du fait d’une particularité physique. Ce type d’expression, s’il est bien injurieux, ne peut être d’après le TF considéré comme une atteinte à la dignité humaine.  Idem, et cela va encore plus loin, concernant l'adjectif «sale» suivi de la nationalité de la personne insultée. Puisque cela ne contrevient d’après Mon Repos pas à la dignité humaine, ce type d’insulte ne peut de fait pas tomber sous le coup de la norme pénale antiraciste.

Mais d’où le Tribunal fédéral tient-il sa certitude que des insultes de ce type ne sont généralement pas ressenties en tant qu’atteinte à la dignité humaine? Cette interprétation est somme toute incompréhensible. Si elle était vraie, des insultes telles que «sale noir», «sale yougo» ou encore «sale juif» ne tomberaient pas non plus sous le coup de la norme pénale antiraciste.

Tenir compte du contexte

Autre point irritant de l’arrêt: le TF n’a pas tenu compte du contexte dans lequel les événements se sont déroulés. Ces insultes ont tout de même été proférées par  un représentant de l’ordre étatique, ceci dans un lieu public et devant de nombreuses personnes. Le caractère public de la scène et le rapport de force faussé entre le policier et l’interpellé rendent ces insultes d’autant plus rabaissantes pour la personne arrêtée et insultée.

Le TF qualifie d’ailleurs les propos du policier de «parfaitement déplacés et inacceptables». Cela ne joue toutefois un rôle que pour l'appréciation de sa culpabilité dans le cadre de l'infraction d'injure (art. 177 CP) et non pas de la norme pénale antiraciste.

La race comme concept général

Plusieurs instances cantonales ont déjà qualifié de discriminatoires les expressions «Cochon d’étranger» ou «sale requérant d’asile». En effet, comme le souligne M.A. Niggli, l’article 261bis du code pénal est tout à fait utilisable dans des cas concrets où les termes «étranger» ou «requérant d’asile» sont utilisés en tant que synonymes ou que concept général pour désignés des groupes protégés par la Convention de l’ONU contre la discrimination raciale.  «Un comportement ne devient pas innocent sous prétexte qu’il est dirigé contemporainement contre plusieurs ethnies, plus précisément plusieurs races».

Basant sa décision sur le seul critère de l’atteinte à la dignité humaine, le TF n’a pas eu à prendre position sur la question de savoir si la norme antiraciste pouvait s’appliquer aux expressions «étrangers» ou «requérants d’asiles», deux concepts qui ne renvoient ni à une race, ni à une ethnie et encore moins à une religion.  Si, dans un cas d’espèce, l’expression utilisée ne renvoie qu’au statut juridique et administratif du requérant d’asile, sans autres connotations, alors son utilisation ne peut pas tomber sous le coup de l’article 261bis CP.

COMMENTAIRE DE HUMANRIGHTS.CH

Les considérations du Tribunal fédéral semblent sophistiques et complètement coupées de la réalité du monde. Il est bien communément admis que les insultes «sales étrangers» et «sales requérants d’asile» ne sont pas anodines et visent à rabaisser celui qui en est victime en lui montrant qu’on le considère comme inférieur, une sorte d’humain de seconde classe. Et c’est par rapport au «Suisse» que le «sale étranger» ou le «sale requérant d’asile» est inférieur. En d’autres mots, une construction raciste tout ce qu’il y a de plus typique. Le concept de «race», tel qu’il est aujourd’hui défini dans les sciences sociales, est une construction sans objet concret. La race telle qu’elle a été définie au 18e et 19e siècle n’existe plus depuis bien longtemps, et avec elle la distinction des quatre races à différencier suivant la physionomie et la couleur de peau. Le monde scientifique s’accorde aujourd’hui pour dire qu’il n’existe plus de définition circonscrite du concept de «race».

De fait, la «race» est actuellement associée à une représentation idéologique de groupes humains présentés comme «l’autre», dans tout ce qu’il a d’étranger et de menaçant et qui doit donc être combattu et vu négativement. Sur le fond, cette construction peut tout aussi bien concerner les noirs que les «requérant-e-s d’asile», les «étrangers et étrangères» ou encore les «gens des Balkans». Lorsque le qualificatif «sale» est ajouté à ces noms, alors il s’agit sans aucun doute de rabaisser la personne concernée au sens d’une discrimination raciale. Lorsqu’en plus cela vise en personne en particulier, alors l’injure s’ajoute au reste.

L’interprétation que fait le TF de l’article 261bis du CP représente un énorme recul pour la lutte contre la discrimination raciale et le racisme et affaiblit la norme dont cette lutte est l’objectif. Un développement qui ne saurait s’accorder avec nos obligations en matière de protection internationale des droits humains.

Par hasard, le jour de la publication de l’arrêt du TF a également eu lieu la divulgation des observations finales du Comité de l’ONU contre le racisme (CERD) sur la Suisse. Au point 7 de ces observations finales, le Comité s’est justement inquiété de l’interprétation restrictive faite par les Tribunaux suisses de la norme pénale antiraciste. Celle-ci a pour effet que de nombreux cas de propos ou de comportement racistes ne sont pas pour suivi du fait qu’ils ne visent pas une nationalité ou une ethnie en particulier.

Sources