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Un appel contre l'extension de l'islam n'est pas du «racisme verbal»

04.10.2012

Le Tribunal Fédéral (TF) a donné raison le 29 août 2012 au jeune UDC Benjamin Kasper, qui avait porté plainte pour atteinte illicite à sa personnalité à l’encontre de la Fondation contre le racisme et l'antisémitisme (GRA). L’organisation avait publié sur son site internet les propos de l’homme politique sous l’étiquette «racisme verbal». Or, pour les juges, l’appel contre l'extension de l'islam lancé par le Thurgovien ne constitue pas un cas de «racisme verbal».

«Mettre fin à l'extension de l'islam»

Le 5 novembre 2009, le président des Jeunes UDC de Thurgovie menait à Frauenfled la manifestation en faveur de l'initiative populaire «contre la construction de minarets». Dans son discours, l'homme politique thurgovien avait notamment souligné «qu'il était temps de mettre fin à l'extension de l'islam»; avant d'ajouter: «La culture suisse, dont le fondement est le christianisme, ne devrait pas se laisser supplanter par d'autres cultures. Une action symbolique comme l'interdiction des minarets constitue donc un moyen permettant d'affirmer sa propre identité».

Suite à cet événement, la Fondation contre le racisme et l’antisémitisme a signalé l'incident sur son site internet dans la rubrique Chronologie sous l'énoncé «racisme verbal». Le jeune UDC Benjamin Kasper a ensuite porté plainte pour atteinte illicite à sa personnalité et a obtenu gain de cause. L'article sous cette rubrique doit aujourd'hui être supprimé, après que le TF ait débouté la Fondation et confirmé le jugement précédent du Tribunal cantonal de Thurgovie.

Pointer des différences n'est pas du racisme

Dans son jugement, la cour a souligné le fait que la seule mise en évidence d'une différence entre deux individus ou groupes ne constituait pas encore du racisme. «Il n'y a racisme que lorsque la différence est utilisée en même temps pour dénigrer la victime et que la mise en exergue de la différence n'est en définitive qu'un moyen pour présenter la victime de manière négative et violer sa dignité, a-t-elle argumenté. Dans son discours, Benjamin Kasper a opposé sa propre religion (le christianisme) à celle d'autrui (l'islam), s'est différencié de celle-ci et a qualifié la sienne de digne d'être protégée et défendue. Il n'en ressort ni une dévalorisation des membres de l'islam, ni un rabaissement général des musulmans». Les juges du TF ont donc estimé que, en qualifiant ces propos de «racisme verbal», la fondation GRA avait porté une atteinte civile illicite à l'honneur de l'homme politique.

La fondation GRA critique le jugement

Dans un communiqué publié le 20 septembre 2012, la GRA critique le jugement du TF. Elle affirme qu'un reproche de racisme ne devrait pas être confondu avec un reproche de discrimination raciale au sens strictement pénal du terme. La fondation ajoute qu'elle informe sur des discours, qui peuvent être ressentis comme discriminatoires par le public. La GRA ne souhaite pas que son site internet soit un simple registre pour les incidents qui ont déjà été qualifiés de discrimination raciale au sens du Code pénal. L'organisation juge la décision problématique car elle entrave un travail détaillé de documentation des incidents qui peuvent attiser le racisme et la xénophobie.

Commentaire humanrights.ch

Le jugement du Tribunal fédéral porte sur une question de terminologie: un discours de politique identitaire, sans dénigrement ou humiliation flagrantes de l'islam, doit-il être défini publiquement comme "racisme verbal"? Le TF réfute cette idée et fixe des frontières à l'appellation "racisme". La cour place au cœur de cette notion le rabaissement, l'avilissement et l'humiliation, qui marquent la séparation entre le concept de racisme et des formes relativement modérées de politiques identitaires. Le concept de racisme garde ainsi une certaine force et une certaine précision. Ce faisant, le concept est en revanche capté par la définition pénale restreinte de discrimination raciale (art. 261 bis).

Les politiques identitaires («Identitätspolitik») circonscrivent le vaste champ de la pensée à une polarisation autour du NOUS et LES AUTRES. Certes, la GRA a raison de dire que des discours identitaires, même quand il n'y a pas de dénigrement flagrant des AUTRES, constituent un terreau pour des idées et des actes racistes. Une politique identitaire modérée peut d'ailleurs, dans certaines circonstances, se changer en une politique ouvertement raciste. Toutefois, il nous semble important de s'en tenir à une différence terminologique. Car si ce concept était défini par «chaque construction en deux groupes , sur le modèle NOUS et LES AUTRES, effectuée selon des critères de race, de couleur de peau, de filiation, d'origine, de caractéristiques nationales ou de religion» (extrait du jugement du TF 5A_82/2012); on devrait non seulement étiqueter a priori comme raciste l'ensemble du milieu conservateur. Mais on devrait aussi le faire pour chaque personne qui utilise NOUS et LES AUTRES, qu'elle soit suisse, juive, musulmane, africaine, kosovare, chinoise, lapone, etc. Il serait préférable, que la GRA remplace, dans la Chronologie raciste, la rubrique "Racisme verbal" par "Politique identitaire avec potentiel raciste". De la sorte, la chronologie des incidents racistes de la GRA ne pourrait plus être remise en question.

Sources

Sources supplémentaires