28.04.2025
En mars 2023, le Tribunal administratif du canton de Berne a jugé que le refus de l’université de Berne d’accorder un supplément de temps à une personne souffrant de dyslexie-dysorthographie dans le cadre d’un test d’admission aux études de médecine vétérinaires n’enfreignait ni l’interdiction de la discrimination, ni l’égalité des chances. Au début du mois de mai 2024, le Tribunal fédéral a renvoyé l’affaire devant l’instance précédente pour réexamen.

M.V. est dyslexique et dysorthographique. Peu après son inscription aux études de médecine vétérinaire en 2021, elle dépose une demande afin de bénéficier d’un supplément de temps pour réaliser le test d’aptitude aux études de médecine (AMS) afin de compenser son désavantage. L’Université de Berne rejette sa demande le 6 juillet 2021, mais lui garantit une place en fin de rangée lors de l’examen, qui se déroule le 9 juillet 2021. Les résultats qu’elle obtient lors de ce numerus clausus ne permettent pas à M.V. d’accéder aux études de médecine vétérinaire. Elle conteste alors cette décision devant la Direction de l’instruction publique et de la culture du canton de Berne, qui rejette son recours le 15 février 2022. Grâce au soutien d’Inclusion Handicap, la faîtière des associations des personnes handicapées en Suisse, M.V. fait appel de ce jugement devant le Tribunal administratif du canton de Berne le 18 mars 2022.
Dans sa décision du 30 mars 2023, le tribunal administratif bernois conclut que le refus de l’Université de Berne n’est contraire ni à l’interdiction de la discrimination, ni aux dispositions en matière d’égalité des chances concernant les personnes en situation de handicap.
M.V. porte alors l’affaire devant le Tribunal fédéral le 19 mai 2023. Un an plus tard, les juges de Mon Repos statuent, au terme d’un débat houleux et par trois voix contre deux, que le refus d’accorder un supplément de temps constitue une discrimination en vertu de l’art. 8 al. 2 de la Constitution, renvoyant la cause au Tribunal administratif du canton de Berne.
Un droit à la formation qui découle de l’égalité des chances
En ratifiant la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH), la Suisse s’est engagée à écarter les obstacles rencontrés par les personnes en situation de handicap, à protéger ces dernières face à la discrimination, à faciliter leur inclusion au sein de la société et à leur garantir une égalité de traitement.
Le droit à la formation est garanti par l’art. 24 al. 1 CDPH, selon lequel les États parties reconnaissent le droit des personnes en situation de handicap à l’éducation, leur garantissent l’exercice de ce droit et se dotent d’un système éducatif inclusif et non discriminatoire à tous les niveaux de formation qui permette à toute personne de bénéficier de l’égalité des chances et de se former tout au long de sa vie. Les parties doivent notamment garantir aux personnes en situation de handicap un accès au système de formation et, si nécessaire, veiller à ce que des aménagements soient apportés en vue d’atteindre cet objectif en vertu de l’art. 24 al. 5 CDPH.
Le droit à disposer de mesures de compensation des désavantages, ancré dans l’art. 8 al. 2 de la Constitution, exige l’égalité de traitement pour tous·te·x·s et interdit notamment les discriminations du fait d’une déficience corporelle, mentale ou psychique. La loi sur l’égalité pour les handicapés (LHand) est encore plus claire: il y a inégalité lorsque les personnes en situation de handicap font l’objet, par rapport aux personnes non handicapées, d’une différence de traitement qui les désavantage sans justification objective ou lorsqu’elles ne bénéficient pas d’une différence de traitement nécessaire au rétablissement d’une égalité de fait (art. 2 al. 2 LHand).
Lorsque des désavantages sont induits par un handicap, il faut prendre des mesures visant à les compenser, notamment dans le cadre de la formation et de la formation continue (art. 2 al. 5 LHand). Une inégalité existe dans ce cas lorsque l’utilisation de moyens auxiliaires spécifiques aux personnes en situation de handicap ne leur est pas accordée ou que les plans d’études, les examens ou l’offre de cours ne sont pas adaptés aux besoins des personnes concernées. Cet alinéa oblige les établissements d’enseignement supérieur de garantir à l’ensemble des candidat·e·x·s des conditions d’examen aussi égales que possible.
Il faut garder à l’esprit que les performances fournies lors d’un examen reflètent les capacités réelles de chaque candidat·e·x. Pour cette raison, les personnes en situation de handicap ont parfois droit à des aménagements spécifiques lors de l’examen, de sorte que leurs compétences fassent l’objet d’une évaluation équitable: une personne dont le handicap entrave la rapidité d’exécution pourrait par exemple bénéficier d’un supplément de temps pour réaliser son examen. Un tel aménagement ne sera toutefois pas autorisé s’il influence une compétence clé évaluée par l’examen, en particulier si celle-ci est essentielle à la formation ou à la pratique de la profession étudiée.
Une compensation en cas de dyslexie-dysorthographie
En présence de dyslexie-dysorthographie, un trouble qui entrave les capacités de lecture et d’écriture des personnes concernées, des aménagements des conditions d’examen peuvent se justifier. Selon la classification internationale CIM-10, ce trouble de l’apprentissage constitue une inégalité qui doit être compensée en vertu de l’art. 8 al. 2 de la Constitution. Dans le cas d’espèce, la recourante aurait droit à des mesures de compensation adaptées à son handicap, telles que la possibilité de disposer d’un plus grand nombre de pauses ou de poser des questions de compréhension des consignes. Le tribunal administratif cantonal a jugé que l’Université de Berne avait satisfait à ces mesures en garantissant à M.V. une place en fin de rangée, alors que la mesure compensatoire que la recourante avait demandée était l’octroi d’un tiers temps supplémentaire.
Un tiers temps au cœur des discussions
Le refus de l’université de Berne et du tribunal administratif cantonal de satisfaire à la demande de M.V. repose sur la justification suivante: le test AMS n'est pas un examen individuel au sens classique du terme, en cela qu’il ne vérifie pas les connaissances d’une personne sur un sujet. Sa finalité est tout autre, puisqu’il tend à évaluer le potentiel cognitif des candidat·e·x·s ainsi que leurs capacités à faire de nouveaux apprentissages. Ce test requiert des conditions de temps très strictes afin de mesurer la capacité des personnes testées à travailler rapidement même lorsqu’elles sont sous pression. Pour cette raison, l’allongement du temps de l’examen demandé par la recourante modifierait le caractère du test et ne permettrait plus une comparaison des résultats entre les participant·e·x·s. Il s'avérerait par ailleurs impossible de définir objectivement dans quelle mesure un tiers de temps supplémentaire serait adéquat pour compenser un désavantage. L’introduction d’un tiers-temps présenterait donc le risque de compenser de manière excessive les désavantages, ce qui violerait l’égalité des chances des autres candidat·e·x·s.
Le tribunal considère même que «Certes, l'interdiction de la discrimination indirecte peut commander dans certaines constellations d'adapter un examen aux besoins individuels d'un candidat atteint de handicap […]. Le désavantage [de la recourante] ne lui confère néanmoins pas un droit absolu à une compensation de son handicap.» Il poursuit en argumentant que «le tiers de temps supplémentaire qui avait été requis par la recourante touche à une capacité clé examinée lors du test AMS, à savoir celle liée à la vitesse d’exécution des tâches confiées. […] Cette aptitude peut également être attendue d’une personne présentant une dyslexie-dysorthographie. […] L’État n’est pas tenu de remédier à tous les désavantages induits par certaines situations de vie.» Tel est le cas en particulier si une mesure d’adaptation concerne une aptitude centrale évaluée dans le cadre de l’examen. Le tribunal a donc rejeté la demande de M.V sur la base de ce raisonnement.
Les juges de Mon Repos n’ont toutefois pas partagé cet avis: leur arrêt indique que l’octroi d’un tiers temps n’induit pas forcément une compensation excessive des désavantages. Au contraire, il souligne que «d'après le jugement entrepris, le handicap de la recourante affecte sa rapidité de lecture et non sa résistance au stress et sa capacité à travailler sous pression. […] À cet égard, la seule crainte qu'il puisse y avoir une surcompensation du désavantage faussant les résultats ne saurait suffire à refuser une mesure concrète visant à compenser un handicap prouvé.» Une telle décision reviendrait en effet à exclure systématiquement une catégorie de personnes des études de médecine, ce qui est inacceptable.
La dyslexie et le droit à la compensation des désavantages médiatisés
Cet arrêt du Tribunal fédéral n’a pas encore entraîné de modifications des conditions d’accès aux études de médecine. Cette affaire concerne par ailleurs uniquement le test d’entrée, puisque les personnes concernées peuvent déjà bénéficier de mesures compensatoires lors des examens ordinaires.
Cette décision représente néanmoins bien plus qu’une victoire d’étape: pour la première fois, les délibérations du Tribunal fédéral ont été interprétées en langue des signes. De plus, l’affaire a suscité l’intérêt des médias et a participé à faire connaître M.V. ainsi que le trouble dyslexique. En sortant du tribunal, M.V. confie: «C’est la première fois dans cette procédure que je me suis sentie vraiment entendue. Grâce à ce jugement, j’ai l’impression que ma voix porte un peu plus loin, qu’on entrouvre une porte.»
Cette affaire est l’un des premiers litiges emblématiques qu’ont porté Inclusion Handicap et son association de membres afin d’améliorer les conditions de vie des personnes concernées. Le bilan étant très positif, de nouveaux litiges seront menés.
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Marianne Aeberhard
Responsable Projet Accès à la justice / Directrice de l'association
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