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La Suisse votera sur la transparence du financement des partis politiques

07.03.2018

Alors que la quasi-totalité des États européens ont inscrit dans leur législation des règles sur le financement des partis politiques et des campagnes électorales, il n’existe en Suisse aucune réglementation. Les partis dépensent toujours plus et taisent l’identité de leurs donateurs, voire le montant de leur budget, au péril de la libre formation de l’opinion.

Récurrente depuis plusieurs années, cette problématique inquiète. En Suisse tout d’abord, où l’initiative «pour plus de transparence dans le financement de la vie politique» a été déposée le 11 octobre 2017 et où plusieurs initiatives cantonales ont rencontré le succès. Mais aussi à l’international. Plusieurs organisations internationales, dont le Groupe d'États contre la corruption (GRECO) du Conseil de l’Europe se préoccupent de la situation. Alors qu’il avait mis la Suisse en garde sur cette question en 2011 déjà, l’organe anticorruption du Conseil de l’Europe tape à nouveau sur les doigts de la Confédération dans son rapport de conformité intermédiaire publié en août 2017. Et ceci pour la quatrième fois.

Efforts suisses insuffisants

Dans son rapport d’évaluation de 2011, le GRECO avait adressé six recommandations à la Suisse concernant le thème du manque de transparence du financement des partis politiques. Le rapport de conformité publié en octobre 2013, dont l’objectif est d’évaluer les mesures prises par les autorités helvétiques pour mettre en œuvre ces recommandations, tire un bilan largement insuffisant. Idem ensuite en 2015 et 2017.

Bien qu’il note avec intérêt les initiatives récentes, tant au niveau fédéral que cantonal, en faveur d’une plus grande transparence des partis, le GRECO maintient que les mesures prises par les autorités suisses ne sont «pas suffisantes pour constituer un début de mise en œuvre des recommandations ». Elles ne comportent en effet aucun projet au niveau fédéral visant à remédier à l’absence, signalée par le Rapport d’évaluation, d’un cadre juridique et d’un contrôle appropriés du financement des partis politiques et des campagnes électorales.

La pression monte à l’extérieur…

Étant donné qu’une seule des six recommandations du GRECO avait été mise en œuvre par la Suisse en 2011, l’organe anticorruption du Conseil de l’Europe avait décidé d’appliquer l’article 32 du règlement intérieur du GRECO concernant les membres qui ne respectent pas les recommandations contenues dans le rapport d’évaluation mutuelle. Il a ainsi engagé une procédure de non-conformité contre la Suisse. Depuis lors, la situation n’a pas évolué. Dans son quatrième rapport de conformité intermédiaire sur la Suisse, publié en août 2017, le GRECO ne peut que regretter que le gouvernement suisse maintienne son refus de légiférer en la matière.

La recommandation générale de 2003 du Conseil de l’Europe concernant le financement des partis politiques et des campagnes électorales exige une transparence du financement, des dons et des dépenses des partis. Concrètement, l’article 3 prévoit notamment que les dons dépassant un plafond établi soient rendus publics, de même que les comptes des partis politiques (article 13). La Suisse est le seul État signataire de la Convention du Conseil de l’Europe contre la corruption à ne pas avoir légiféré. En signant cette convention, la Suisse s’est pourtant engagée à respecter les recommandations du Groupe du Conseil de l’Europe contre la corruption (GRECO).

Par ailleurs, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) aussi a recommandé à plusieurs reprises à la Suisse d’obliger les partis et les groupements politiques à rendre publique la provenance de leurs recettes et dépenses. En 2008 d’abord, dans son rapport sur les élections fédérales de 2007, puis dans son rapport de 2012 sur celles de 2011.

…Et à l’intérieur

Dans ce contexte, le GRECO salue particulièrement l’initiative pour la transparence. Déposée en octobre 2017 par le PS, les Verts, le PBD, le PEV, Transparency international et le Parti Pirate, l’initiative va dans le sens des exigences européennes et pourrait mettre un terme à «l’exception Suisse».

Comme on peut le lire sur le site de l’initiative, celle-ci exige que les partis ou comités rendent leurs financements publics et que les dons anonymes importants soient interdits. Elle demande aussi aux partis de transmettre leurs comptes ainsi que l’origine de tout don supérieur à 10'000 francs à la Chancellerie fédérale. Les personnes ou comités qui dépensent plus de 100'000 francs dans une campagne sont également tenus de déclarer les dons importants dont ils ont bénéficié. Les chiffres doivent être rendus publics avant les votations ou élections. «Il faut jouer cartes sur table», a lancé devant les médias la conseillère nationale Nadine Masshardt (PS/BE) au moment du dépôt de l’initiative. Elle rappelle que les citoyen-ne-s ont le droit de savoir d'où vient l'argent des partis, des campagnes de votation et des comités. «La démocratie vit grâce à la franchise et la transparence», argumente Nadine Masshardt.

Le Conseil fédéral ne veut pas de réglementation

Mais le combat s’annonce difficile. En juin 2012, le Conseil fédéral avait décidé publiquement qu’il n’était pas nécessaire d’agir concernant les recommandations du GRECO. Les conseillers fédéraux Simonetta Sommaruga et Didier Burkhalter avaient rencontré une délégation du GRECO en avril 2013 afin de lui exposer «les particularités qui empêchent de rendre le financement des partis plus transparent en Suisse». Des arguments qui n’avaient évidemment pas convaincu. Le GRECO attend toujours que la Suisse «instaure un système de transparence du financement des partis politiques, à l’instar des autres états membres du GRECO qui, quasiment tous, ont finalement légiféré ou sont en train de le faire».

Alors que la Confédération devait présenter un rapport intermédiaire en 2015 pour montrer ce qu'elle avait entrepris pour améliorer la situation, le Conseil fédéral s’était tout de même attelé à la tâche. La conseillère fédérale Simonnetta Sommaruga avait ainsi préparé deux modèles pour régler la transparence du financement des partis. Le premier prévoyait l'obligation de publier les comptes des partis, par exemple sur une nouvelle plateforme électronique, tandis que le second envisageait leur publication volontaire sur le registre fédéral des partis politiques.

Les deux modèles avaient été soumis au Conseil fédéral, mais celui-ci souhaitait les présenter aux présidents des partis lors des entretiens de Watteville du 29 août 2014 avant de prendre une décision. Bilan: tous les partis à l'exception du PS préfèrent le statu quo et ont donc balayées les propositions qui étaient sur la table.

Le Parlement refuse davantage de transparence

Le Conseil fédéral et les partis ne sont pas les seuls à mettre les pieds au mur. Ces dernières années, plusieurs initiatives parlementaires pour la transparence du financement des partis, issues principalement de la gauche, ont été rejetées par le Parlement. Comme une majorité du CF, la droite juge que les exigences européennes sont incompatibles avec la démocratie directe, qui fonctionne grâce à la participation de l’économie à la vie politique.

En 2013, une initiative parlementaire du Conseiller aux États Thomas Minder (V/SH) visant à apporter plus de transparence au processus de financement des partis politiques semblait partir sous de bons auspices, mais a finalement été écartée par le Conseil des Etats le 10 juin 2014 par 26 voix contre 12. L’initiative demandait que tous les dons d’entreprises cotées en bourse à des partis ou des organisations politiques soient communiqués via une inscription dans le rapport annuel de la société donatrice. «C’est un petit pas dans la bonne direction: celle de la transparence du financement des partis politiques, avait vainement argumenté Christian Levrat (PS/FR) devant l'assemblée.  Je ne comprends pas votre réticence, puisqu’il s’agit simplement de fournir aux actionnaires des informations auxquelles ils ont droit.» En juin 2017, le Conseil national a encore rejeté deux motions demandant plus transparence qui avaient été déposées en 2015, montrant bien ainsi la force du blocage aux Chambres sur cette question.

Les cantons plus progressistes

Comme souvent, c’est sur le plan cantonal que les choses bougent le plus. Le Tessin (1998), Genève (1999) et Neuchâtel (2013) ont légiféré sur le financement des partis politiques, tout en restant souples. La loi genevoise prévoit que les partis déposent chaque année leurs comptes avec la liste de leurs donateurs auprès de la Chancellerie, sans toutefois devoir y préciser les montants. Les versements anonymes ou sous pseudonymes sont proscrits. Les groupes qui prennent part à une votation doivent aussi présenter les comptes et la liste des donateurs relatifs à l’évènement. Ces documents peuvent être consultés par les citoyens genevois. Au Tessin, la loi oblige chaque mouvement politique à communiquer annuellement à la Chancellerie le montant et l’identité de leurs donateurs pour les dons supérieurs à 10'000 francs. Les candidats aux élections cantonales et les comités de soutien aux initiatives et référendums cantonaux doivent déclarer tout financement de plus de 5'000 francs. Le tout est publié dans la Feuille d’avis officielle. Neuchâtel pour sa part s’inspire largement des dispositions légales genevoises et tessinoises.

Plus récemment en mars 2018, les Fribourgeois et les Schwyzois ont dit oui à des initiatives émanant des Jeunesses socialistes réclamant de la transparence dans le financement des partis politiques. Dans le cas de Fribourg, c’est même un plébiscite avec un oui à 68,5% (50,3% à Schwyz).

Dans le canton de Vaud, des discussions avaient eu lieu pour légiférer. Le projet a cependant été enterré par la droite au Grand Conseil en septembre 2012.

Reste à noter que chez nos voisins alémaniques, il est encore plus difficile, même au niveau cantonal, de faire adopter des lois pour la transparence du financement des partis. Une initiative parlementaire en ce sens a été refusée le 17 juin 2013 à Zurich. Dans le canton de Bâle-Campagne, une initiative populaire qui demandait la transparence des comptes des partis politiques et des comités référendaires a été rejetée en votation populaire le 9 juin 2013. Le 28 septembre 2014, une initiative argovienne a également été refusée, tout en obtenant cependant 45% des suffrages.

Une entrave à la libre formation de l’opinion

Et pourtant, cela serait on ne peut plus nécessaire. Selon l’historien Hilmar Gernet, les dépenses des partis politiques suisses doublent à chaque élection depuis 1999 et devraient flirter avec la barre des 100 millions de francs lors des votations fédérales en 2011. Les estimations des experts dévoilent des différences d’un facteur 10 entre les différents grands partis de la place fédérale.

Dans ce contexte, une plus grande transparence du financement des partis politiques permettrait aux électeurs, avant de se prononcer, de connaître l’identité des donateurs importants susceptibles d’influencer les décisions du parti. L’article 34 de la Constitution fédérale protège la libre formation de l’opinion des citoyens et des citoyennes ainsi que l’expression fidèle et sûre de leur volonté. En ce sens, l’accès à ces données au moment du vote apparaît primordial pour que les citoyens puissent exercer correctement leurs droits politiques.

La recherche de fonds toujours plus importante risque aussi de rendre les formations politiques dépendantes de certains groupes d’intérêt, comme les banques, les assureurs ainsi que les grands acteurs économiques. Or, les partis politiques contribuent à former l’opinion et la volonté populaires, selon l’article 137 de la Constitution. D’après Transparency International, l’opacité du système suisse est une entrave à la libre formation de l’opinion et pourrait favoriser la corruption. «Nous ne disons pas que les partis politiques sont corrompus. Mais le manque de transparence est un terreau favorable à la corruption», explique dans Le Courrier Anne Schwöbel, directrice du bureau suisse de Transparency International.

Dans la revue Plaidoyer d’août 2011, le docteur en droit Tiziano Balmelli remarque aussi que l’explosion des dépenses exacerbe l’inégalité des chances entre partis et candidats et que les techniques marketing tendent à supplanter le véritable débat public et la confrontation d’idées, deux éléments importants dans le cadre de la formation de l’opinion des électeurs. Il propose notamment un plafonnement des dépenses électorales pour protéger les droits politiques des citoyens.

Nouveau site internet qui force la transparence

Dans ce contexte, un site internet créé en juillet 2014 par des journalistes alémaniques explore les liens entre les parlementaires et les groupes d'intérêts. Lobbywatch.ch fait ainsi la lumière sur les liens d’intérêts que conseillers nationaux et conseillers aux Etats entretiennent avec diverses entreprises, associations et institutions. Objectif: une politique plus transparente. 

Sources générales

Initiatives et motions parlementaires liquidées