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Droits des minorités et peuples autochtones - Définitions

Cette rubrique présente le droit international des minorités ainsi que quelques problématiques fondamentales.

Le terme de « minorité » n’a pas de définition claire et précise au niveau du droit international public. Dans les conventions relevant de ce droit – comme le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ou la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales –, sa définition est simplement sous-entendue. Les répercussions de l’absence de définition officielle du terme « minorité » se font sentir au niveau de l’attitude de la communauté internationale vis-à-vis des minorités. En effet, la crainte de voir leur souveraineté limitée et d’être confronté à des revendications de sécession décourage la plupart des États à prendre des engagements en faveur de minorités clairement définies.

La définition élaborée en 1979 par Francesco Capotorti – rapporteur spécial de la sous-commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités des Nations Unies –, puis modifiée en 1985 par Jules Deschênes à la demande de la sous-commission est reconnue et approuvée par de plus en plus de personnes. Selon cette définition, un groupe d’individus peut être qualifié de minorité lorsque les quatre conditions suivantes sont réunies :

  • Infériorité numérique par rapport à la population totale
  • Position non- dominante à l’intérieur de l’État
  • Caractéristique ethnique, linguistique ou religieuse commune
  • Citoyenneté de l’État de résidence

Aux yeux d’un membre d’une minorité, une minorité se définit par un sentiment particulier de solidarité ou d’identité. Les ouvrages traitant de la notion de minorité considèrent parfois très différemment l’importance des thèses objectives et des thèses subjectives. Si selon les droits humains, l’appartenance d’une personne à une minorité découle en premier lieu de sa volonté, dans certains cas, il peut exister des aspects objectifs contestant cette appartenance.

La question de savoir si la citoyenneté est un élément constitutif de la notion de minorité fait l’objet de débats. Accepter qu’elle le soit implique que les étrangers, les travailleurs immigrés et les immigrés ne sont pas compris dans la définition du terme « minorité ». La Commission des droits de l’homme de l’ONU a déclaré en 1994, dans sa recommandation générale, ne pas considérer la citoyenneté comme une condition et a inclus officiellement les étrangers et les travailleurs immigrés dans la définition du terme « minorité ». Cette position se détache de la conception traditionnelle présente dans le droit international public, selon laquelle la citoyenneté serait une condition à remplir pour être considéré comme membre d’une minorité, étant donné que le droit international public offre déjà une protection particulière aux étrangers, à savoir par le droit des étrangers.

Qu'est-ce-qu'une minorité nationale?

Au niveau européen, l’expression « minorité nationale » est souvent utilisée comme terme générique pour désigner des minorités religieuses, linguistiques, ethniques et culturelles. Cette expression apparaît dans les documents du Conseil de l’Europe ainsi que dans ceux de l’OSCE. Pourtant ces organisations ne disposent pas de définition unanime de ce terme. Dans sa recommandation 1201 relative à un protocole additionnel à la Convention européenne des Droits de l'Homme sur les droits des minorités nationales  (qui n’a finalement pas abouti), le Conseil de l’Europe définit comme membres d’une minorité nationale les individus qui :

  • Résident sur le territoire national d’un État dont ils possèdent également la citoyenneté,
  • Possèdent des liens anciens, durables et solides avec cet État,
  • Présentent des caractéristiques ethniques, culturelles, religieuses ou linguistique,
  • Sont en nombre suffisant, bien que moins nombreux que le reste de la population de cet État ou d’une région de cet État,
  • Sont déterminé à préserver les caractéristiques formant leur identité, notamment leur culture, leurs traditions, leur religion ou leur langue.

Les conditions que sont la citoyenneté et les liens durables sont l’objet de débats. Le comité consultatif du Conseil de l’Europe, organe de contrôle de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales, a demandé à plusieurs reprises déjà aux États parties d’élargir le champ d’application de la Convention-cadre aux nouvelles minorités qui n’étaient jusque là pas encore protégées. Cependant, ces États parties refusent de retirer la citoyenneté des conditions à remplir pour être considéré comme minorité. C’est le cas de la Suisse, qui, lors de la ratification de la Convention-cadre du Conseil de l'Europe pour la protection des minorités, a fait la déclaration selon laquelle elle ne considérait comme minorités nationales que les groupes dont les individus possèdent la citoyenneté helvétique et entretiennent des liens anciens, solides et durables avec la Suisse. (Voir à ce sujet: Convention-cadre pour la protection des minorités nationales)

Qu'est-ce-qu'un «peuple autochtone»?

Parallèlement à la mise sur pied en 1982 du groupe de travail des Nations Unies sur les populations autochtones, une définition officielle de la notion de « population autochtone » (les autochtones lui préfèrent la notion de « peuple autochtone ») a pu être élaborée, permettant par là-même de définir qui pouvait intégrer ce groupe de travail et prendre part aux discussions.

U.N. Working Definition of Indigenous Populations / Peoples (adapted by the UN Working Group on Indigenous Populations in 1982):

Indigenous populations are composed of the existing descendants of peoples who inhabited the present territory of a country wholly or partially at the time when persons of a different culture or ethnic origin arrived there from other parts of the world, overcame them, and by conquest, settlement or other means, reduced them to a non-dominant or colonial situation; who today live more in conformity with their particular social, economic and cultural customs and traditions than with the institutions of the country of which they now form a part, under a State structure which incorporates mainly the national, social and cultural characteristics of other segments of the population which are predominant.

Although they have not suffered conquest or colonization, isolated or marginal groups existing in the country should also be regarded as covered by the notion of «indigenous populations» for the following reasons:

  • they are descendants of groups which were in the territory at the time when other groups of different cultures or ethnic origins arrived there;
  • precisely because of their isolation from other segments of the country’s population they have preserved almost intact the customs and traditions of their ancestors which are similar to those characteristics as indigenous, and
  • they are, even if only formally, placed under a State structure which incorporates national, social and cultural characteristics alien to theirs.

Source: U.N. Economic and Social Council Commission on Human Rights, Preliminary Report of the Problem of Discrimination Against Indigenous Populations. U.N. Document E/CN.4/Sub.2/L.566, Chapter 11.

Quatre critères principaux définissant le principe d’autochtonie ressortent de cette définition des Nations Unies :

  • La continuité historique : il doit pouvoir être établi une continuité historique entre les autochtones et les premiers habitants d’un pays ou d’une région avant sa conquête ou sa colonisation.
  • La différence culturelle : les peuples autochtones ne se sentent pas appartenir à la culture de la société dominante du pays dans lequel ils habitent. Ils sont déterminés à préserver leurs caractéristiques culturelles, leurs traditions et leurs organisations sociopolitiques.
  • Le principe de non-dominance : les peuples autochtones sont en marge de la société.
  • L’auto-identification : Il s’agit là, d’une part, de la conscience d’un individu d’appartenir à un peuple autochtone et, d’autre part, de son acceptation en tant que membre de ce peuple par le peuple autochtone lui-même.

Le terme « autochtone » vient du grec XXX (cf. TLF) qui signifie « issu du sol même ». C’est seulement en 1975, avec la mise sur pied du World Council of Indigenous Peoples (Conseil mondial pour les peuples autochtones), que ce terme est apparu comme dénomination officielle à l’échelon international. Il est devenu depuis, en peu de temps, terme générique du mouvement international de ces collectivités.  

Au début de l’activisme autochtone à l’ONU, seuls étaient qualifiés d’autochtones les peuples qui vivaient dans les anciennes colonies européennes d’Amérique, d’Australie et du Pacifique. Pour les peuples d’Afrique et d’Asie, l’utilisation de ce terme est plus délicate, étant donné que, parallèlement à leur décolonisation, des élites locales ont été installées au pouvoir. C’est pourquoi, dans ces régions, certaines personnes parlent de « colonisation interne » pour attirer l’attention sur la marginalisation de certains groupes ethniques. La situation de ces minorités s’apparente à celle d’autres peuples autochtones de certaines régions du monde, gouvernées par des hommes politiques refusant d’accepter le terme d’« autochtone » au sens de « natif », estimant que le territoire actuel du pays était habité par d’autres peuples autochtones, voire par le peuple majoritaire lui-même, depuis longtemps aussi. En effet, il est parfois très difficile de déterminer quel peuple a habité une région le premier.

La notion d’autochtonie va de pair avec certains objectifs politiques et peut être considérée comme participant d’un discours rhétorique, qui, mettant en cause les injustices et les crimes de l’Histoire commis contre les peuples autochtones, a mené à la création de droits spécifiques à la demande de la communauté internationale.

Lors des débats sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, des dissensions, symbolisées par la lettre « s », sont apparues autour d’une question de dénomination : devrait-on parler de « people » (gens, population) ou de « peoples » (peuples)? Les représentant-e-s autochtones soutiennent avec obstination le terme de « peuples », équivalant en jargon onusien au droit à l’auto-détermination, voire au droit à l’indépendance. Les représentant-e-s des États s’opposent de façon véhémente à cette dénomination, ne voulant en aucun cas susciter de sentiments séparatistes. Comme, au sein de l’ONU, ce sont les États qui ont le dernier mot en matière de terminologie, ceux-ci ont fait en sorte, dans les documents importants de l’ONU, de retirer toutes les « s », lettres devenues désormais indésirables.

Droits des minorités, ethnicisation et politique identitaire

Dans le système de protection de l’ONU et au Conseil de l’Europe, les droits des minorités représentent principalement des droits culturels identitaires, à savoir des droits permettant l’usage d’une langue, la pratique d’une religion et de coutumes particulières définissant l’identité du groupe. Ces droits culturels représentent donc une protection contre toute assimilation à la population majoritaire.

La plupart des graves conflits opposant une minorité et une majorité s’articulent cependant autour d’enjeux bien plus important : l’auto-administration politique, voire l’autonomie de minorités représentant dans leur région la majorité de la population. La réalisation du désir d’auto-administration entraîne une conception fédéraliste de l’État, au sens large du terme. Au niveau multilatéral, il n’existe malheureusement aucun instrument des droits des minorités qui puisse réglementer le désir d’auto-détermination territoriale des minorités. En effet, la majorité des États présentent une conception centraliste et bloquent toute possibilité de reforme fédéraliste par peur d’éveiller des sentiments séparatistes et de péricliter.

Le bien fondé de l’amélioration de la protection juridique des minorités est souvent remis en cause. En effet, d’aucuns craignent les effets négatifs d’une telle mesure, à savoir la récupération politique de cette notion d’ethnicité. Une thèse d’accusation a même été développée selon laquelle les droits des minorités attiseraient les processus d’ethnicisation entre minorités et majorités en exacerbant des deux côtés les sentiments identitaires. C’est pourquoi les droits des minorités seraient contreproductifs, voire dangereux et devraient être rejetés pour des raisons sociopolitiques.

Cette thèse mérite d’être discutée d’un point de vue politique et d’un point de vue juridique: politiquement, les droits des minorités agissent comme une protection pour les minorités opprimées. Si une minorité est discriminée, il y a tout à parier que la relation entre cette minorité et la majorité est déjà fortement ethnisée et que, par conséquent, l’introduction des droits des minorités ne peut engendrer de nombreux effets négatifs.

Juridiquement, il est possible de contester cette thèse d’accusation contre les droits des minorités en essayant de fonder les droits des minorités non plus sur le désir de préserver l’identité culturelle d’une minorité, mais sur l’idée de palier les désavantages culturels, sociaux et économiques que connaissent les membres des minorités. Si la première variante s’apparente à une politique d’ethnicisation, la seconde s’y oppose et vise davantage une répartition équitable des ressources et des possibilités commerciales.

Pourquoi l'interdiction de discriminer n'est pas suffisante?

Les adeptes du libéralisme pur récusent les droits des minorités, sous prétexte qu’il s’agit de droits collectifs. En effet, à leurs yeux, des droits collectifs présenteraient un certain risque d’un point de vue sociopolitique et seraient en outre superflus, l’interdiction de discriminer, issue du droit individuel, protégeant déjà suffisamment les intérêts des membres de minorités.

Les points suivants sont des réponses aux attaques que subissent les droits des minorités:

  1. Au regard de leur forme, les droits des minorités peuvent s’exprimer comme des droits individuels, bien que, à l’inverse, du point de vue de leur contenu, ils aient une portée collective. L’article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques en est d’ailleurs un bon exemple.
  2. Les interdictions de discriminer présentent exactement la même structure : ils ont été formulés comme des droits individuels, mais présentent également une portée collective pour les minorités habituellement confrontées à des discriminations. En ce sens, les interdictions de discriminer s’apparentent elles-mêmes aux droits des minorités.
  3. Certes les interdictions de discriminer sont un élément important et utile des droits des minorités, mais ils ne peuvent répondre à tous les besoins légitimes des membres de minorités, notamment au droit de parler une langue propre, de pratiquer une religion propre ou d’exercer des pratiques culturelles particulières, quelles qu’elles soient.

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