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Violence domestique - Dossier

Bases légales suisses

03.02.2023

Droit pénal

La violence domestique n’est pas reconnue en tant qu’infraction distincte, mais est réprimée par plusieurs dispositions du Code pénal suisse (CP), telles que les infractions contre la vie (art. 111 ss CP), contre l’intégrité physique (art. 122 ss CP), contre l’honneur (art. 173 ss CP), contre la liberté (art. 180 ss CP) et enfin contre l’intégrité sexuelle (art. 187 ss CP). Les violences psychologiques sont également réprimées et tombent sous le champ d'application des lésions corporelles simples (art. 123 CP) ou graves (art. 122 CP).

Au cours des dix années dernières, la police a enregistré entre 15'000 et 20'000 infractions dans le domaine de la violence domestique chaque année. Parmi la dizaine de milliers de personnes lésées, 70% sont des femmes et 30% des hommes, proportion qui reste constante au fil des années. Un peu plus de la moitié des homicides perpétrés en Suisse sont commis dans la sphère domestique, parmi lesquelles les féminicides sont largement majoritaires.

Procédure

Les autorités pénales sont tenues d’ouvrir une procédure lorsqu’elles ont connaissance d’indices permettant de présumer l’existence de violence domestique (art. 7 al. 1 CPP). En cas de soupçons graves, le ministère public est chargé d’ouvrir et de mener l’instruction formelle contre la personne suspectée de violence. S’il existe des indices concrets suffisants, le ministère public dresse l’acte d’accusation devant la cour ou rend une ordonnance pénale (art. 352 ss CPP). Le Code de procédure pénale (CPP) a récemment fait l’objet d’une révision qui entrera en vigueur au cours de l’année 2023 et qui vise à renforcer la position des victimes et de leurs proches dans la procédure pénale. L'octroi de l'assistance judiciaire en faveur de la victime sera facilité (art. 136 al. 1 let. b et art. 138 al. 1bis P-CPP), les mesures spéciales visant à la protection des enfants lors des auditions seront renforcées (art. 154 al. 4 let. d et al. 5 et 6 P-CPP) et la victime aura le droit de recevoir une copie du jugement ou de l'ordonnance pénale (art. 117 al. 1 let. g P-CPP). Toutefois, en raison de certaines différences organisationnelles (p. ex. division en ministères publics inférieur et supérieur ou ministères publics spécialisés) ou terminologiques (p. ex. contraste des définitions de violence domestique entre cantons), il existe certaines différences entre les cantons (rapport, p. 11 s.). Les victimes et leurs proche, ainsi que des tiers présentant un intérêt digne de protection peuvent exiger, sur demande et si les conditions sont remplies, des renseignements détaillés sur l’exécution des peines, la mise en liberté ou la fuite de l’auteur·e·x (art. 92a CP).

Infractions poursuivies d’office

Les lésions corporelles simples (art. 123 ch. 2 al. 3 à 5 CP), les voies de fait réitérées (art. 126 al. 2 let. b à c CP) et les menaces (art. 180 al. 2 CP) sont poursuivies d’office, aux conditions que la victime soit le/la conjoint·e·x, l’ex-conjoint·e·x, le/la partenaire enregistré·e·x, l’ex-partenaire enregistré·e·x, le/la concubin·e·x ou l’ex-concubin·e·x et que l’atteinte ait été commise durant le mariage, le partenariat enregistré, le ménage commun ou dans l’année qui a suivi le divorce, la dissolution judiciaire ou la séparation.

Les gifles qui ne sont pas commises de manière réitérée tombent sous la catégorie des voies de fait (art. 126 CP) et ne sont poursuivies que sur plainte. La contrainte (art. 181 CP), la contrainte sexuelle (art. 189 CP) et le viol (art. 190 CP) sont poursuivis d’office depuis 2004, indépendamment du statut de la relation. Si les lésions corporelles simples (art. 123 ch. 2 al. 2 CP) ainsi que les voies de fait réitérées (art. 126 al. 2 let. a CP) sont commises à l’encontre des enfants, elles sont également poursuivies d’office.

Dans les cas où les intérêts de la victime de violence conjugale pourraient être menacés en cas de poursuite d’office, l’art. 55a CP permet de suspendre la procédure pénale afin de les protéger. Afin d’alléger la pression sur la victime et d’élargir la marge d’appréciation des autorités, la seule volonté de la victime n’est plus suffisante pour suspendre la procédure; la suspension doit être susceptible déstabiliser ou améliorer la situation de la victime (art. 55a al. 1 let. c CP). La suspension est exclue si des violences répétées au sein du couple sont soupçonnées (art. 55a al. 3 CP). Au cours de la procédure de suspension, le ministère public ou le tribunal peut obliger l’auteur·e·x à suivre un programme de prévention de la violence (art. 55a al. 2 CP). En pratique, environ 50% des procédures sont classées, dont environ 30% sont suspendues auparavant (rapport, p. 99).

Mesures pénales

La protection pénale des personnes victimes de violence domestique et de harcèlement obsessionnel est garantie par l’interdiction de contact qui peut être ordonnée une fois la procédure pénale close et l’interdiction géographique (art. 67b CP). Cette disposition interdit à l’auteur·e·x de prendre contact avec certaines personnes, d’approcher une personne déterminée ou d’accéder à un périmètre déterminé de son logement ou encore de fréquenter certains lieux, l’autorité compétente pouvant ordonner l’utilisation d’un appareil technique fixé à l’auteur·e·x et permettant notamment de le localiser (art. 67b al. 3 CP).

Harcèlement

Lors de la séparation des couples ou à la suite de celle-ci, il est fréquent qu’un·e·x des deux subisse du harcèlement obsessionnel («stalking») de la part de l’autre. Le harcèlement obsessionnel désigne le comportement consistant à persécuter, harceler et menacer une personne de manière obsessionnelle, systématique et réitérée qui suscite la peur chez la victime et qui met en péril ou porte atteinte à son intégrité physique ou psychique, directement ou indirectement, à court ou à long terme. En Suisse, il n’existe pour l’instant pas de norme pénale explicite contre le harcèlement obsessionnel et une motion pour la création d’une telle norme a déjà été rejetée par le Parlement. Les harcèlements sont donc sanctionnés de manière isolée, tombant sous le coup de normes pénales existantes: menace (art. 180 CP), contrainte (art. 181 CP), infraction contre le domaine secret (art. 179 ss CP), violation de domicile (art. 186 CP), infraction contre le patrimoine (art. 137 ss CP) ou encore infraction contre l’honneur (art. 173 ss CP). Compte tenu des résultats souvent peu probants que permet d’obtenir le cadre légal actuel dans le domaine du harcèlement obsessionnel, de nombreuses voix réclament une meilleure protection des victimes. Des travaux parlementaires visant une extension explicite du champ d’application des dispositions du Code pénal au harcèlement obsessionnel sont en cours.

Contrairement au harcèlement obsessionnel, le harcèlement dit «léger» («soft stalking») ne remplit pas ou pas entièrement les éléments constitutifs d’infractions existantes et donc ne peut pas être réprimé. Ce terme désigne le comportement d’une personne qui recherche intentionnellement la proximité physique avec sa victime (p. ex. en attendant la victime de manière répétée devant sa maison, son appartement, son lieu de travail, ou en la suivant à distance) mais ne l’incommode pas de manière apparente. La protection contre le harcèlement «léger» doit donc emprunter une voie détournée: celle de la procédure civile (art. 28b CC).

Droit civil

Mesures civiles

L’art. 28b du Code civil suisse (CC) règle les actions en justice en cas de violence, des menaces, ou de harcèlement. Ainsi, toute personne victime d’une atteinte ou mise en danger de son intégrité physique, sexuelle, psychique ou sociale peut demander une interdiction géographique, de contact ou une expulsion du logement. 

Dans le cas d’une interdiction géographique, la personne auteure de l’atteinte ne peut plus approcher la victime ni accéder à un périmètre déterminé autour de son logement (art. 28b al. 1 ch. 1 CC). Une interdiction de contact empêche la personne auteure de l’atteinte de fréquenter certains lieux publics ni prendre contact avec elle (par téléphone, par écrit ou par courriel, etc.) ni lui causer d’autres dérangements (art. 28b al. 1 ch. 2 et 3 CC). L’expulsion de la personne auteure de l’atteinte, dans le cas où celle-ci fait ménage commun avec la victime, peut être ordonnée et prolongée une fois (art. 28b al. 2 CC). Si l’auteur·e·x et la victime sont marié·e·x·s et la victime dépose une requête, les juges peuvent ordonner ces trois mesures dans le cadre de la protection de l’union conjugale (art. 172 al. 3 CC). La procédure est généralement rapide, et le juge peut également prononcer des mesures «super-provisoires» et mesures provisionnelles urgentes. En cas de crise, un service cantonal compétent peut également prononcer l’expulsion immédiate du logement commun (art. 28b al. 4 CC). La victime n’a pas à payer les frais judiciaires de la procédure au fond portant sur l’art. 28b CC, qui peuvent même être mis à la charge de l’autre partie, soit l’auteur·e·x dans la plupart des cas (art. 115 al. 2 CPC), mais ne comprennent toutefois pas les frais d’avocat, ni les frais occasionnés par l’exécution de la mesure de surveillance électronique (art. 114 let. f CPC).

Surveillance électronique

Pour s’assurer que l’auteur·e·x de violence, menaces, ou harcèlement respecte son interdiction géographique ou de contact, une surveillance électronique peut être ordonnée sur demande de la victime (art. 28c CC). Cette surveillance GPS ne permet d’analyser qu’a posteriori les comportements et déplacements de l’auteur·e·x, et ne permet pas à la police d’intervenir immédiatement pour empêcher l’auteur·e·x de violer la mesure ordonnée. Chaque canton dispose d’un service compétent pour exécuter la mesure de définir le règlement de la procédure (art. 28c al. 3 CC).

Dissolution de l’union conjugale

Lorsqu’un couple se sépare sur demande d’un·e·x seul·e·x conjoint·e·x, le délai d’attente pour introduire une requête de divorce est de deux ans (art. 114 CC), tandis que sur requête commune, le divorce peut être prononcé avant le délai de deux ans (art. 111 CC). Une exception au délai de deux ans en cas de requête unilatérale est prévue en cas de rupture du lien conjugal (art. 115 CC), notamment dans les cas où il serait abusif d’exiger de l’époux·se de continuer à rester marié·e·x (arrêt du TF 5A_177/2012). Représentent des motifs sérieux rompant le lien conjugal notamment les violences physiques ou psychiques propres à mettre en danger la santé physique ou psychique de l'époux·se demandeur·se·x ou de ses enfants (arrêt du TF 5A_192/2021, consid. 3.1), les abus sexuels démontrés contre les enfants commun·e·x·s ou issu·e·x·s d'un premier lit (ATF 126 III 404, consid. 4h) ou le harcèlement permanent (arrêt du TF 5C.141/2001). 

Enfants victimes

Les enfants et les jeunes ont droit à une protection particulière de leur intégrité et à l’encouragement de leur développement en vertu de l’art. 11 al. 1 Cst. La Confédération et les cantons doivent encourager les enfants et les jeunes à devenir des personnes indépendantes et socialement responsables et les soutenir dans leur intégration sociale, culturelle et politique (art. 41 al. 1 let. g Cst.). Le Code civil prévoit actuellement que l’autorité parentale sur l’enfant mineur doit servir le bien de l’enfant (art. 296 al. 1 CC), ainsi que l’obligation des parents d’élever leur enfant selon leurs facultés et leurs moyens et de favoriser et protéger son développement corporel, intellectuel et moral (art. 302 al. 1 CC). En matière procédurale, les enfants victimes ou témoins de violences domestiques ont un droit d’être entendu·e·x·s personnellement et de manière appropriée dans la procédure civile dès l’âge de 6 ans (ATF 131 III 553). Il existe cependant en pratique des limites au droit de participation de l’enfant: les autorités suisses n’incluent l’enfant que selon ses besoins, souhaits et la nécessité de le/la protéger, et non de manière systématique comme le prévoit la convention sur les droits de l’enfant (art. 12 CDE).

Le Conseil fédéral estime que les lois visant à protéger les enfants victimes ou témoins de violences dans l’éducation, ainsi que la jurisprudence du Tribunal fédéral qui réprouve «toute forme de violence et de traitement dégradant à l’égard des enfants» (ATF 129 IV 216, consid. 2.2), sont suffisantes. Une motion charge toutefois le Conseil fédéral d’inscrire expressément le principe de l’éducation sans violence dans le code civil (art. 302 CC). La disposition élaborée interdit expressément aux parents de recourir aux châtiments corporels et aux autres formes de violence dégradante pour élever leurs enfants et renforce notamment la prévention. La consultation sur le projet de modification a été ouverte le 23 août 2023.

Loi sur l’aide aux victimes

Les dispositions prévues dans la loi sur l’aide aux victimes (LAVI) constituent un étoffement important des dispositifs pénaux et civils pour les personnes concernées par la violence domestique. Elles garantissent une assistance aux victimes, notamment à celles de violences domestiques, en prévoyant les mesures d’assistance ou leur financement, et indépendamment de l’ouverture d’une procédure pénale. L’infraction doit avoir eu lieu en Suisse (art. 3 al. 1 LAVI); ainsi, les personnes migrantes réfugiées, requérantes d’asiles, admises provisoirement ou déboutées, n’ont pas droit à une prise en charge au titre de la LAVI pour les violences subies pendant leur fuite ou dans leurs pays d’origine. En outre, une discrimination indirecte se cache à l’exception de l’art. 17 LAVI: la victime domiciliée en Suisse au moment de l’infraction et au moment de la demande d’aide peut avoir droit à des prestations d’aide et de soutien. En pratique, il est plus susceptible de s’appliquer à une femme suisse plutôt qu’à une personne migrante victime de violences (avis de droit, p. 37 s.). L’organisation concrète par la Confédération et les cantons n’est cependant pas claire et la question des obstacles juridiques et pratiques quant à l’accessibilité aux services de soutien reste ouverte.

Selon la LAVI, les cantons sont tenus de mettre sur pied des services spécialisés pour les victimes (art. 9 LAVI) proposant une aide médicale, sociale, juridique et matérielle (art. 12 ss LAVI). Outre les victimes, les proches (enfants, partenaire, parents, etc.) ont aussi la possibilité de solliciter de l’aide (art. 1 al. 2 LAVI). Les conseils apportés ainsi que les prestations offertes sur le long terme par le service de consultation sont gratuits (art. 5 LAVI). Par ailleurs, les employé·e·x·s des services de consultation sont soumis·e·x·s au secret professionnel (art. 11 LAVI).

Droit des étranger·ère·x·s

La violence domestique peut être encore plus problématique pour les personnes soumises aux dispositions relatives au séjour des étranger·ère·x·s, notamment lorsque les violences subies n’ont pas eu lieu sur le territoire suisse ou lorsque le droit de séjour d’une personne dépend de celui de son/sa partenaire. Les personnes réfugiées sont particulièrement exposées aux violences sexuelles, que ce soit dans leur pays d’origine ou d’accueil, ou au cours de leur voyage.

Comme leur statut peut dépendre du titre de séjour du/de la partenaire, certaines victimes de violences domestiques préfèrent souvent se taire et ne pas témoigner, de peur de le perdre. La loi fédérale sur les étrangers et l’intégration (LEI) prévoit une protection: si une personne victime de violences domestiques quitte la communauté conjugale ou familiale, elle a droit à une prolongation de son autorisation de séjour à la condition que l’union conjugale ou le partenariat ait duré au moins trois ans et que l’intégration soit réussie ou à la condition que la poursuite du séjour en Suisse s’impose pour des «raisons personnelles majeures», notamment en cas de «violences conjugales» (art. 50 al. 1 let. a et b LEI). Toutefois, seul·e·x·s les conjoint·e·x·s de ressortissant·e·x·s suisses ou de titulaires d’une autorisation de séjour (permis C) ont droit en cas de violences conjugales à un titre de séjour. Ce droit n’est donc pas accordé aux conjoint·e·x·s de personnes admises à titre provisoire et aux personnes en cours de procédure d’asile. Cette prolongation n’est seulement appliquée de manière très restrictive. La victime qui demande une prolongation de son autorisation de séjour rencontre plusieurs obstacles, dénoncés par le GREVIO ainsi que par le CEDEF, telles que l’exigence d’un certain seuil d’intensité des violences (ATF 136 II 1), l’insuffisance de la prise en compte des violences psychologiques, ou encore l’apport de la preuve de la volonté de contrôle de l’agresseur·euse·x. L’art. 59 de la Convention d’Istanbul, à l’égard de laquelle la Suisse a émis une réserve, prévoit le droit pour les victimes de violences à une autorisation de séjour indépendant du/de la partenaire. La Suisse a émis une réserve à l’égard de cet article et prévoit «de ne pas appliquer, ou de ne l’appliquer que dans des cas ou des conditions spécifiques», ce qui est vivement critiqué par des organisations de la société civile ainsi que par le comité sur l’élimination de la discrimination raciale (CERD).

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