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Les requérants renvoyés de force vers le Nigéria seront à nouveau intégralement ligotés

09.08.2011

Les requérants pourront être intégralement ligotés lors des renvois forcés vers le Nigéria. Après la mort en mars 2010 d’un jeune nigérian qui avait été ligoté de force pour être expulsé, les vols spéciaux vers le Nigéria avaient été suspendus provisoirement. Jusqu’à ce que la Suisse parvienne à un accord avec le Nigéria et accepte d’abaisser le niveau de contention lors des renvois vers le Nigéria. Le premier vol suisse depuis 2010 s’est ainsi déroulé le 7 juillet 2011 , «sans incident» d’après le communiqué de presse de l’office des migrations.
La réalité est pourtant tout autre : soumis à un niveau de contrainte moins élevé, un requérant s’est rebiffé au moment de monter dans l’avion, entraînant une réponse d’une extrême violence de la part du personnel policier. La réponse de l’ODM a cet événement ? L’autorisation de ligoter à nouveau intégralement les requérants lors des renvois forcés au Nigéria.

Violence policière

Les images montrées dans l’émission alémanique de «10vor10» suite au renvoi du 7 juillet 2010 montre clairement les policiers frapper à coups de poing et de matraque le requérant qui refuse de monter dans l’avion. La section suisse d’Amnesty International a demandé une enquête indépendante pour établir le déroulement exact des faits. L’association a par ailleurs déjà recueilli plusieurs plaintes de requérants qui affirment avoir été frappés lors d’une expulsion forcée à Zurich.

Comme plusieurs autres organisations, dont humanrights.ch, Amnesty suisse demande que soit garantie la présence d’observateurs indépendants pour chaque vol spécial. Cette recommandation avait également été faite à la Suisse par le Comité des droits de l’homme lors de son examen de novembre 2009 et une directive européenne entrée en vigeur en Suisse au 1er janvier 2011 l’exige également. Pourtant aucun membre de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse, chargée depuis juillet 2011 du mandat d’observateur indépendant, n’était présent pour ce vol.

Niveau IV

Dans ce contexte, l’annonce de l’ODM d’un retour au ligotage intégral des requérants ne semble pas être une réponse au problème. La Fédération suisse des fonctionnaires de police (FSFP) a ouvertement fait pression sur l’ODM pour obtenir un tel durcissement.

Les durcissements réintroduits pour les renvois vers le Nigéria relèvent du niveau IV de sécurité de l’ordonnance. D’après l’ODM, ces mesures ne seront pas la règle mais utilisées en cas nécessité seulement. Reste que certaines méthodes utilisées lors des renvois de niveau IV tombent dans la catégorie des traitement internationalement jugés comme humiliants et dégradants. L’association Augenauf a reconstituer dans un court métrage le déroulement d’un renvoi forcé de niveau, critiquant notamment le caractère systèmatiquement dégradant des mesures employées (voir article en lien interne). Sans oublier que plusieurs cas de renvois forcés se sont terminés de façon tragique pour les requérants. La mort en mars 2010 de  Joseph Ndukaku survenait après deux autres décès  avenus en 1999 et en 2001. L’association des juristes démocrates de Suisse demande quant à elle l’arrêt des renvois forcés, insistant sur les problèmes d'inefficacité, d'inhumanité et de coût que cette pratique représente.

Historique

D'après l'enquête du Parquet de Zurich, cest une grave maladie du coeur non diagnostiqueé qui a coûté la vie à Joseph Ndukaku Chiakwa. Suite à cette annonce, l'ODM avait indiqué qu'à l'avenir, une équipe médicale sera présente lors des vols spéciaux. Les cantons devront par ailleurs transmettre les données médicales des personnes à renvoyer, ce qui, dans le cas de Joseph Ndukaku aurait pu sauver une vie. Pour Augenauf, ces mesures sont dans tous les cas insuffisantes. De fait, il n'existe à ce jour aucune garantie que des décès ne se reproduiront plus lors d'expulsion. L'association alémanique de défense des droits humains exige l'arrêt des renvois forcés.

Dans un communiqué de presse du 28 juin 2010, Augenauf soulignait l’existence d’un lien entre la grève de la faim, l’état d’agitation et l’infarctus qui a touché le Nigérian. Pour l’organisation, ces éléments indiquent bien que l’homme vivrait toujours si les autorités avaient renoncé au niveau IV du renvoi.
Après avoir pris connaissance du décès, l’organisation des droits humains avait auditionné plusieurs témoins de l’évènement et en était arrivée à la conclusion que « les procédures approuvées par la Confédération et la Conférence des directrices et directeurs des départements cantonaux de justice et police lors des renvois forcés de niveau d’exécution IV sont inhumaines et dégradantes ». Il serait absurde de considérer les requérants comme récalcitrants et violents lorsqu’ils s’opposent à une expulsion, comme le montre le cas du Nigérian décédé.
L’organisation Augenauf demande à la Confédération et aux cantons qu’aucun renvoi forcé avec des vols charters ne soit plus exécuté. « Cela blesse la dignité de l’être humain lorsqu’on le ligote comme un paquet, l’assied dans un avion et qu’on l’expulse contre son gré dans un autre pays. Nous demandons à toutes les personnes responsables de refuser toute forme de participation aux renvois forcés.»

Campagne contre les Nigérians

Quelques semaines seulement après la mort Joseph Ndukaku Chiakwa, le chef de l'ODM annonçait de façon peu subtile une future campagne contre les Nigérians. L'office mobilise en effet un groupe de travail pour stopper «les abus» de demandes d'asile de ressortissants nigérians. Plus de 99% n'auraient pas la moindre chance d'obtenir l'asile en Suisse, selon Alard du Bois-Reymond. «Ces personnes ne viennent pas en tant que réfugiés, mais pour faire des affaires», a-t-il affirmé dans un entretien publié par la NZZ am Sonntag.

Ces propos sont stigmatisants et choquants dans la bouche d'un haut fonctionnaire fédéral responsable, entre autres, de l'intégration des étrangers en Suisse. Amnesty International, dans une lettre au directeur de l'Office, rappelle avec pertinence la situation catastrophique des droits fondamentaux au Nigéria. Journalistes et militant-e-s des droits humains y sont régulièrment frappé-e-s et emprisonné-e-s, des centaines d'habitants de villages chrétiens y ont été massacrés et deux millions de personnes expulsées de chez elles ces dix dernières années. Cette situation est l'une des raisons qui conduisent des Nigérians à l'exil, en dehors des généralisations simplistes. Carrefour de réflexion et d'action contre le racisme antinoir (CRAN), choquée par le props du directeur de l'ODM, a demandé sa démission, affirmant que «s'agissant d'un haut fonctionnaire fédéral, on est devant une véritable xénophobie d'Etat» (voir communiqué CRAN et dossier RSR).

Information complémentaire