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Genève n’arrive pas à améliorer les conditions d’accueil des mineur-e-s non accompagné-e-s

06.03.2018

Comme chaque canton de la Confédération, Genève doit accueillir une partie des requérant-e-s d’asile mineur-e-s non accompagné-e-s (RMNA) qui déposent une demande en Suisse. Il s’agit d’enfants et de jeunes qui sont arrivé-e-s sur le territoire helvétique sans leurs parents ni personnes de référence. En 2016, ils/elles étaient près de 2000 à déposer une demande d'asile en Suisse, contre 795 en 2014. Au 1er mars 2017, Genève comptait ainsi 195 mineur-e-s non accompagné-e-s, dont 166 âgé-e-s de 15 à 17 ans

Une très grande partie d’entre elles-eux se trouve au Foyer de l'Etoile, qui en accueille environ 130, plus une soixantaine de personnes ayant atteint la majorité depuis peu. Si ces chiffres peuvent varier suivant les périodes, une chose reste sûre: il s'agit du plus grand foyer pour RMNA de Suisse. Formé de conteneurs massifs, ce foyer sensé être provisoire - il est prévu pour durer entre 7 et 10 ans - a de plus déjà fait l’objet de nombreuses critiques.

Inquiétudes

Le 22 novembre 2017, les enseignant-e-s, ainsi que les travailleuses sociales et travailleurs sociaux du Syndicat des services publics (SSP), ont interpellé dans une lettre ouverte les deux magistrats responsables du dossier des mineur-e-s non-accompagné-e-s à Genève. Ils/elles listent dans ce courrier toute une série de critiques et d’inquiétudes concrètes.

Ils/elles relèvent que les éducateurs-trices du Foyer de l’Etoile étant environ 1 pour 20 jeunes (alors qu’ils devraient être 1 pour 5), ils doivent répondre constamment aux urgences, sans accomplir leur devoir d’accueil et d’accompagnement. Une mission pourtant essentielle, alors que la grande majorité de ces jeunes qui vivent une situation difficile - entre rupture avec la famille et le lieu d’origine, incertitude liée au statut, stress psychologique et risques de disparitions/d’affiliation à des réseaux – seront amené-e-s à rester durablement en Suisse.

Ils/elles dénoncent également des punitions inadaptées. Les enfants et jeunes qui rentrent trop tard au foyer se voient en effet confisquer une partie de l’argent qui leur est donné pour manger et acheter ce dont ils ont besoin au quotidien. Lorsqu’on sait que la somme de base est d'environ 450 francs par mois et par enfant, la mesure ne manque pas de choquer. Autre punition appliquée par le centre en cas de violences: les jeunes sont alors envoyé-e-s vivre dans un abri PC, sous terre. Ils/elles s’inquiètent enfin des rumeurs de suicides qui tournent autour du foyer.

Pas d’école pour tou-te-s

Les enseignant-e-s et les travailleuses sociales et travailleurs sociaux ne sont pas les seul-e-s à s’inquiéter. Un article du Temps de juin 2016 relevait déjà nombre des défaillances citées. Il relevait en plus le fait que certain-e-s mineur-e-s non accompagné-e-s n’étaient pas intégré-e-s dans le système scolaire. Ils/elles étaient en effet 23 jeunes en 2016 à ne pas du tout aller à l’école du fait d’un problème structurel, à savoir que l’Instruction publique genevoise n’ouvre plus de classes d’accueil supplémentaires à compter du mois de mars, alors que les mineur-e-s continuent d’arriver sur sol genevois. Neuf fondations privées ont fini par verser 430 000 francs pour un projet de soutien psycho-éducatif qui ne remplace cependant pas une scolarité en bonne et due forme.

Alors que les conseillers-ères d’Etat en charge des questions réfutent la plupart des critiques, un audit de la Cour des comptes sur la politique d'accueil des requérant-e-s d’asile mineur-e-s non accompagné-e-s devrait, d’après les médias, être publié durant le premier trimestre 2018 et permettre d’en savoir plus.

Des migrant-e-s avant d’être enfants?

Inauguré en 2016, le Foyer de l’Etoile a été utilisé pour remplacer au pied levé l'ancien foyer du Grand-Saconnex, vétuste et inadapté. Les conditions d’accueil y étaient notoirement inacceptables. Une Task Force avait d'ailleurs été mise en place par le Conseil d'Etat en 2013, suite à la déferlante de critiques liées à cet endroit. Un premier rapport, publié en octobre 2013, avait fait état de conditions de vie désastreuses et proposait des pistes de changement à adopter rapidement. Une année plus tard, en octobre 2014, le deuxième rapport de la Task Force indiquait que l'encadrement socio-éducatif des jeunes devait encore être amélioré et que des éducateurs-trices supplémentaires devaient être engagé-e-s. Un nouveau rapport, publié en mars 2017, confirme que certains constats tirés en 2013 et en 2014 restent d’actualité.

En préambule de son rapport 2017, et avant d’expliquer les conditions d’encadrement qui prévalent au Foyer de l’Etoile, la Task Force souligne que, alors qu’elle-même considère «qu’un mineur requérant d’asile est avant tout un enfant, un jeune en devenir, (…)l’Hospice général s’oppose formellement à cette position, et considère qu’un requérant d’asile mineur est avant tout un migrant soumis à la loi fédérale sur l’asile et que ses besoins ne sont pas les mêmes que ceux des jeunes suisses en foyer éducatif». Une affirmation qui explique certainement une partie des problèmes existant et ne manque pas d’étonner dans la mesure où la Suisse, conformément à la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE) ratifiée en 1997, doit accorder les droits promulgués à tou-te-s les mineur-e-s relevant de sa juridiction. C’est pourtant la que se situerait le nœud du problème, d’après le rapport d'audit de gestion et de conformité de la Cour des comptes du canton de Genève, publié en février 2018. « Les besoins des RMNA n’ont jamais fait l’objet d’une analyse spécifique, ni d’une formalisation validée et acceptée par l’ensemble des parties prenantes, souligne le rapport. L’absence de consensus a pour conséquence une prise en charge différente des intéressés, notamment dans les foyers qui les accueillent, selon le département qui en a la charge. La superposition de deux politiques (protection des mineurs et asile) et des points de vue divergents entre le département de l’instruction publique (DIP) et celui chargé de l’action sociale (DEAS) ont rendu la mise en œuvre complexe. » Avec à la clé une situation intenable dont les mineur-e-s non accompagné-e-s font les frais, comme au Foyer de l’Etoile.

Foyer XXL

Le Foyer de l'Etoile est constitué de deux bâtiments de quatre étages d'une capacité de 230 places destinées aux jeunes de 15 à 18 ans (avec possibilité de prolongation) et se trouve dans la zone industrielle de la Praille à Genève. Alors que les expert-e-s conseillent vivement d’éviter une trop grande concentration de jeunes dans un même lieu et de privilégier des plus petits foyers pouvant accueillir au maximum 40 à 50 jeunes, la taille «inhumaine» du centre pose déjà en soit un obstacle à l’objectif de sécurisation et d’intégration des jeunes qui y vivent. Initialement conçu pour des familles et des personnes adultes seules et non des mineur-e-s non accompagné-e-s, sa configuration n’est de plus pas adaptée à la gestion de la vie en groupe des jeunes. Les bâtiments et espaces de vie très séparés les uns des autres ne permettent pas un regard sur l’ensemble du foyer et font que les jeunes sont souvent éparpillé-e-s et livré-e-s à eux-mêmes. La forte concentration d’un nombre important d’adolescent-e-s dans un même foyer rend difficile le maintien de la sécurité et crée des tensions pouvant déboucher sur des violences. Le niveau sonore y est en outre très élevé et les chambres souvent trop petites pour accueillir les jeunes qui doivent y vivre.

Concernant l’encadrement, la Task Force souligne dans son rapport de 2017 que, là aussi, certains efforts ont été faits, bien que progressivement. Le rapport constate une prise en charge de 7 à 9 jeunes par éducateurs principalement la semaine et en journée, à savoir de 6 heures 30 à 22 heures 30. La nuit, ce sont des agent-e-s de sécurité et des intervenant-e-s de nuit qui prennent le relais. En fin de semaine, là où les jeunes sont le plus sur le site, les éducateurs-trices ne sont que trois et ne restent que de 13 heures à 21 heures, impliquant une fois encore que le jeunes restent peu encadré-e-s dans leur temps libre. Sans le travail bénévole des associations, ces jeunes seraient pratiquement totalement désœuvré-e-s.

Des progrès malgré tout

Malgré cela, le constat global de la Task Force est que «les normes d’encadrement sont désormais atteintes selon les exigences du SASLP», à savoir le Service d'autorisation et de surveillance des lieux de placement du Département de l’instruction publique genevois. Elle conclut également qu’il serait «souhaitable de pouvoir gérer la vie quotidienne comme dans les autres foyers genevois avec une vraie vie de groupe qui s’approche autant que possible d’une vie familiale: rythme de la journée, repas et temps d’échanges partagés, gestion du quotidien, des devoirs et des loisirs en fonction des besoins de chacun-e», ce qui n’est certainement pas le cas à ce jour.

Par ailleurs, un rapport de la Commission des affaires sociales du Grand Conseil genevois, publié en janvier 2018, souligne les différents efforts mis en place par les acteurs-trices institutionnel-le-s genevois-es afin d’améliorer la situation des mineur-e-s non accompagné-e-s du canton, en particulier au sein du Foyer de l’Etoile. Il montre que l’Etat de Genève a conscience de la majeure partie des problèmes et tente, avec les moyens à disposition et de larges contributions de la société civile, d’améliorer la situation.

Mieux ailleurs…

Restent que les conditions de vie des mineur-e-s non accompagné-e-s à Genève sont mauvaises, y compris en comparaison d’autres cantons. A titre d'exemple, le foyer pour mineur-e-s non accompagné-e-s du Chablais, faisant partie de l’Établissement vaudois d’accueil des migrants (EVAM), peut accueillir jusqu’à 45 garçons et filles de 12 à 18 ans. L'EVAM a ouvert trois autres sites d'accueil pour les requérant-e-s d'asile mineur-e-s depuis 2015, qui possèdent respectivement 36, 45 et 84 places d'accueil. Les jeunes y sont placé-e-s en fonction de leur âge et de leur situation personnelle et possèdent chacun-e deux personnes de référence. Chaque éducateur-trice de l'EVAM s'occupe de dix jeunes en tout.

En Valais, la structure d'accueil et d'hébergement du Rados accueille les requérant-e-s d'asile mineur-e-s de 14 à 18 ans. En 2016, plus d'une centaine de jeunes ont été accueilli-e-s dans ses neuf structures, soit dix fois plus qu'avant 2015. Ils/elles y sont réparti-e-s en fonction de leur âge, de leur genre, de leur vulnérabilité et de leur autonomie. La présence éducative dépend des structures, mais le taux d'activité du personnel encadrant dépasse largement celui du canton de Genève, d’après les chiffres donnés par le Service social international (SSI).

…Mais insuffisant partout

De par leur taille plus «humaine», les foyers d'accueil des cantons de Vaud et du Valais permettent sans doute aux jeunes de bénéficier d'une vie communautaire plus épanouie que dans un foyer démesuré tel que celui à Genève. Mais la situation genevoise, si elle tend à être moins bonne que dans la plupart des autres cantons romands, reste cependant le miroir de déficits au niveau national. Dans certains cantons, principalement en Suisse alémanique, les enfants continuent même d’être logé-e-s avec des adultes et ne bénéficient de peu ou pas du tout d’aménagements adaptés à leur âge et à leur situation. Dans la plupart des cantons, il s’agit principalement d’un problème économique et politique. Ils reçoivent en effet un forfait par jeune qui ne leur permet pas de les accueillir dans les conditions qui prévalent généralement pour les enfants laissé-e-s à elles-eux-mêmes en Suisse, ne couvrant pas les frais d’un foyer éducatif.

Cantons pas seuls responsables

Dans le rapport de la Commission des affaires sociales du Grand Conseil genevois déjà évoqué plus haut, le Conseiller d’Etat genevois Mauro Poggia se fait le relais des résultats sur les coûts engendrés pour l’hébergement et le suivi des RMNA pour les cantons, obtenus en 2016 par le Secrétariat de la CDAS (La Conférence des directrices et directeurs cantonaux des affaires sociales) et le bureau ECOPLAN. Il est apparu que le forfait global versé par la Confédération ne suffit pas – et de loin – à couvrir les coûts de l’hébergement et de l’encadrement des MNA. L’étude estime que 60 à 73 millions de francs restent chaque année à la charge des cantons, alors qu’ils devraient être financés en tout ou en partie par le forfait global. Si les cantons hébergeaient les MNA dans des conditions conformes aux recommandations publiées par la CDAS le 20 mai 2016 – des recommandations minimales -  les coûts non couverts seraient encore plus élevés et avoisineraient les 117 millions de francs.

Le message, dont le canton de Genève n’est pas le seul porteur, est clair: les montants alloués par la Confédération ne permettent pas d’assurer des conditions dignes pour les jeunes et les enfants qui arrivent seul-e-s en Suisse.

Du fait du climat politique, il est par ailleurs difficile, au niveau des économies cantonales, de dégager plus d’argent par elles-mêmes. La votation bernoise sur le sujet, en mai 2017, est exemplaire. Les Bernois-es ont refusé à 54,3% un crédit de 105 millions de francs dans le domaine de l’asile, consacré pour l’essentiel à l’accueil de mineur-e-s non accompagné-e-s. Le Gouvernement et le Grand Conseil soutenaient ce crédit, estimant que le bien-être des enfants qui arrivent en Suisse sans leurs parents était prioritaire et qu’il fallait leur offrir une prise en charge particulière. C’est suite à un référendum lancé par des milieux proches de l’UDC que le peuple s’est prononcé négativement.

La Confédération doit augmenter sa contribution

Dans ce contexte, les cantons ne peuvent être tenus pour seuls responsables de la situation. Comme le révèle également le rapport technique de la CdC (Conférence des gouvernements cantonaux) de février 2017, les cantons attendent toujours plus urgemment de la Confédération qu’elle prenne ses responsabilités. En décembre 2016 déjà, un courrier de la CdC au Conseil fédéral expliquait les travaux effectués par les cantons et indiquait notamment que la Confédération devait prendre sur elle une part bien plus élevée des coûts de prise en charge des requérant-e-s d’asile mineur-e-s non accompagné-e-s. Dans sa réponse à une interpellation déposée par Raphaël Comte (PLR/NE), en septembre 2017 au sujet de cette même prise en charge, la Conseillère fédérale Simonetta Sommaruga a indiqué être à connaissance des attentes cantonales, à savoir une augmentation allant d’après elle de 60 à 70 millions de francs par année. Elle estime que celles-ci se fondent sur des arguments valables et s’engage à en faire la demande dans le cadre de la modification de l’ordonnance 2 sur l’asile relative au financement. Cependant, lors des débats parlementaires, elle ne s’est pas montrée très optimiste sur le débouché final de la démarche, l’octroi de l’augmentation dépendant d’après elle d’un accord des chambres fédérales qu’il sera difficile d’obtenir.

Responsabilité de l’État

Reste qu’il est de la responsabilité de l’Etat d’améliorer l’accueil des jeunes et des enfants qui arrivent en Suisse sans leurs parents. La demande intérieure formulée par les cantons est d’ailleurs renforcée par les pressions internationales. Dans son rapport sur la Suisse en 2010, le Comité contre la torture (CAT) se disait déjà préoccupé par le phénomène de disparitions des mineur-e-s non accompagné-e-s et du risque pour ces mineur-e-s de devenir victimes de la traite d’êtres humains ou d’autres formes d’exploitation. Ce dernier s'est à nouveau déclaré inquiet de la disparition de nombreux-euses mineur-e-s non accompagné-e-s dans son dernier rapport sur la Suisse en 2015 et a appelé à une amélioration de leurs conditions d'accueil.

Plus de 500 mineur-e-s non accompagné-e-s ont disparu en Suisse durant l'année 2016, ce qui représente un chiffre six fois plus élevé qu'en 2015 (voir notre article Disparitions d’enfants non accompagnés en Suisse). Cela concerne surtout les jeunes entre 16 et 17 ans. Si le Secrétariat d'Etat aux migrations (SEM) explique que la raison de cette augmentation est proportionnelle au nombre de RMNA arrivé-e-s en Suisse ces dernières années, il ne faut pourtant pas oublier que l'Etat a des obligations nationales et internationales en la matière à respecter.

En ratifiant la Convention des droits de l’enfant, la Suisse s’est notamment engagée à assurer une protection et une aide spéciale aux enfants privé-e-s de milieu familial (art. 20 CDE), ainsi qu'une protection et une assistance humanitaires aux enfants réfugié-e-s ou qui cherchent à obtenir le statut de réfugié-e (art. 22 CDE).

La société civile elle aussi attend des améliorations notables. En juin 2017, Caritas Suisse avait publié une prise de position dans laquelle elle recommande de mettre en œuvre un certain nombre de mesures nécessaires et urgentes en ce qui concerne l’encadrement des enfants réfugié-e-s non accompagné-e-s. D’autres organisations, active dans l’asile et /ou les droits de l’enfants sont particulièrement préoccupées. Humanrights.ch elle-même s’inquiétait déjà en 2008 de «Sombres perspectives pour les enfants mineur-e-s non accompagné-e-s en Suisse» (voir notre article). Il est plus que temps que lignes bougent.

Sources complémentaires