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Le Tribunal administratif fédéral inflige un sérieux revers au droit des personnes handicapées

04.02.2019

Le Tribunal administratif fédéral a rejeté dans sa quasi-totalité le recours d'Inclusion Handicap contre l'autorisation d'exploitation temporaire des trains duplex CFF dans son arrêt du 20 novembre 2018. Seule concession, les CFF doivent modifier l’inclinaison d'une rampe par train.

En janvier 2018, l'association faîtière des organisations de personnes handicapées, Inclusion Handicap, a fait recours contre l’autorisation d’exploitation temporaire des trains duplex délivrée par l’Office fédéral des transports (OFT). L’opposition portait sur 15 violations alléguées de la Loi sur l'égalité des personnes handicapées (LHand): des boutons d'ouverture des portes à l'intérieur des rames trop hauts, des obstacles physiques, des rampes trop raides ou des panneaux éblouissants. Concrètement, les personnes handicapées voyageant seules rencontreraient trop d’obstacles dans les nouveaux trains grandes lignes. Dans son arrêt A-359/2018 publié le 20 novembre 2018, le Tribunal administratif fédéral (TAF) n’a admis partiellement qu’une seule des conclusions litigieuses. Avant la décision du TAF, Inclusion Handicap et CFF étaientdéjà parvenus à s'entendre sur quatre des quinze points litigieux.

Raisonnement trouble

Dans son arrêt, le Tribunal administratif fédéral affirme que le principe de l’accès autonome aux transports publics pour les personnes handicapées n'est pas réglementé par la Loi fédérale sur l'élimination des inégalités frappant les personnes handicapées (LHand). Le principe de l’accès autonome ne serait selon le TAF accordé qu'au niveau de l’ordonnance (art. 3 al.1 OTHand). La LHand a pourtant pour but de prévenir, de réduire ou d’éliminer les inégalités qui frappent les personnes handicapées (art. 1 al.1 LHand), elle doit créer des conditions propres à faciliter aux personnes handicapées leur participation à la vie en société (art. 1 al.2 LHand). Et c’est également le cas en ce qui concerne l’accès aux transports publics (art. 3 LHand). Il y’a donc un désavantage lorsque l’accès aux transports publics est impossible ou difficile pour les personnes handicapées pour des raisons d’architecture ou de conception du véhicule (art. 2 al.3 LHand).

Malgré ces dispositions, le TAF a jugé que le droit à l'égalité de fait ne pouvait découler ni de la loi sur l'égalité des personnes handicapées ni de la Constitution fédérale. Qui plus est, le Tribunal administratif fédéral a choisi dans sa décision de faire primer le Règlement européen n°1300/2014 «sur les spécifications techniques d'interopérabilité relatives à l'accessibilité du système ferroviaire de l'Union pour les personnes handicapées et les personnes à mobilité réduite» dîtes normes STI-PMR, sur l’ordonnance suisse (OTHand). Pourtant, l’association faîtière des personnes handicapées est d'avis que les normes STI-PMR ne répondent pas aux exigences de la Loi sur l'égalité des personnes handicapées.

Au final, le TAF est parvenu à la conclusion qu'il n'était pas possible d'exiger que les normes techniques soient adaptées à tous les types de fauteuils roulants, impliquant par là même, qu’il n’y a pas d’obligation de garantir l’autonomie pleine et entière des personnes handicapées.

Une seule amélioration exigée

Maigre consolation: le Tribunal a accordé un point litigieux sur les onze soulevés comme étant non conformes à la Loi sur l’égalité des personnes handicapées. Le point partiellement admis concerne l’inclinaison de la rampe. D'après le TAF, il n’a pas été établi que toutes les rampes des trains à deux niveaux respectent l’inclinaison maximale permise de 15%. Toutefois, selon les normes européennes, seule une rampe avec une inclinaison maximale de 15% est nécessaire par train. Le TAF impose dès lors aux CFF d’assurer que pour chaque train, il y ait au moins une entrée/sortie dotée d’une rampe conforme à la norme permettant l’accès à un secteur «fauteuils roulants» muni de toilettes universelles accessible à toutes et tous et à une éventuelle zone de restauration. Finalement, l’entrée et la sortie doivent être signalées comme telles par le pictogramme «fauteuil roulant».

L’Office fédéral des transports (OFT) devra vérifier si les inclinaisons de rampes des trains duplex sont conformes à la norme. Si ce n’est pas le cas, l’OFT devra procéder à un examen de proportionnalité entre une amélioration des rampes existantes et une aide à l’embarquement fournie par le personnel CFF.

Incompréhension des organisations des personnes handicapées

Pour la faîtière des personnes handicapées – Inclusion Handicap – la décision du Tribunal administratif fédéral est incompréhensible. Ainsi, l’organisation s’indigne  dans son communiqué de presse de novembre 2018: «Cet arrêt inflige un sérieux revers aux personnes en situation de handicap et à leurs proches. Elles sont nombreuses à ne pouvoir utiliser les nouveaux trains, qui seront exploités jusque vers 2060, de façon autonome». L’association faîtière est d'avis que les normes STI-PMR ne répondent pas aux exigences de la Loi sur l'égalité des personnes handicapées. En outre, une seule entrée par train qui ne dépasse pas 15% d'inclinaison n'est pas suffisante pour éliminer les dangers et les problèmes des voyageurs ayant une déficience.

Recours au Tribunal fédéral

C’est donc sans surprise que la faîtière a porté recours contre la décision du TAF auprès des juges de Mon Repos le 10 janvier 2019. L’enjeu est de taille pour l’organisation. Elle s’inquiète d’une part que les nouveaux trains enfreignent la Loi sur l'égalité des personnes handicapées (LHand) et que les obstacles existants ne peuvent être supportés par les personnes en situation de handicap. Elle conteste également devant le Tribunal fédéral un point crucial: le montant exorbitant de l’indemnisation demandée par le TAF, à savoir 250'000 francs au total selon le communiqué de presse. Avec un tel montant, le droit de recours des associations tourne à la farce pour Inclusion Handicap: il n'existe en effet guère d'ONG pouvant se permettre de telles procédures. Cela revient à contourner la volonté du législateur, ce dernier ayant chargé les associations de surveiller la mise en œuvre de la loi et d'intervenir le cas échéant par voie de recours pour engager des mesures rectificatives.

Commentaire humanrights.ch

La décision du Tribunal administratif fédéral constitue un sérieux revers pour les personnes handicapées. On trouve plusieurs éléments troublants, voire dérangeants à la lecture de l'arrêt. Notamment, le fait que le TAF fasse primer les normes STI-PRM en s'appuyant sur le fait qu'elles relèvent du droit international tout en mettant totalement de côté la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées,  pourtant contraignante pour la Suisse. L'article 9 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées garantit l'égalité d'accès aux transports pour tous et les États parties doivent adopter des normes et directives minimales en ce sens. Le TAF mentionne même qu'en cas d'incompatibilité entre la norme STI-PRM et la Constitution fédérale ou la Loi sur l'égalité des personnes handicapées, les normes STI-PRM auraient la priorité.

En outre, l’arrêt est diamétralement opposé aux développements politiques et sociaux qui s’opèrent à d’autres niveaux. En mai 2018, le Conseil fédéral a adopté un rapport sur la politique du handicap en vue de son renforcement, dans lequel il fait de l’intégration et de l’égalité dans la vie professionnelle des priorités. Ces acquis présupposent une mobilité autonome et, par conséquent, un réseau de transports publics librement accessible. Comment espérer et attendre des personnes handicapées qu’elles mènent une vie autonome et indépendante – ce qu’exigent la Convention relative aux droits des personnes handicapées et la LHand – alors qu’elles font quotidiennement face à de tels obstacles? C’est vrai: d’importants progrès ont été réalisés ces dernières années. Mais il est plus vrai encore que tant que l’on se contentera de standards minimaux, même dans les infrastructures que nous créons aujourd’hui pour demain, la Convention pour les personnes handicapées a peu de chance se réaliser.