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Reconnaissance de l'homosexualité comme motif d'asile: le débat avance

08.01.2014

Les personnes homosexuelles venant de pays où ce type de relation est interdit ont-elles droit au statut de réfugié en vertu des Conventions de Genève? Cette question, essentielle, a été beaucoup débattue en 2013.

Le 7 novembre 2013, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a en effet rendu un arrêt décisif suite à une question des autorités hollandaises. Elle y reconnaît d’une part l’homosexualité comme motif d’asile et d’autre part que les homosexuel-le-s peuvent constituer un groupe social à risque au sens de la Convention de Genève sur les réfugiés.

Dans la même mouvance internationale, le Comité des droits de l’homme a décidé en juin 2013, dans une affaire suédoise, qu’une requérante d’asile homosexuelle ne pouvait pas être renvoyée dans son pays, où elle risquait d’être persécutée en raison de son orientation sexuelle.

La reconnaissance de l’homosexualité comme motif d’asile semble donc gagner du terrain, alors que dans de nombreux pays, l’homosexualité est encore considérée comme une grave infraction pénale, passible de prison, voire de peine de mort. C’est par exemple le cas dans les pays du Golfe, en Iran, au Nigeria ou au Cameroun.

Les personnes homosexuelles en tant que groupe social

D’après la directive 2004/83/CE du Conseil de l’Europe du 29 avril 2004, qui repose sur la Convention de Genève, tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui se trouve hors de son pays d’origine et qui refuse d’y retourner parce qu’il craint d’être persécuté peut demander le statut de réfugié. En plus des persécutions basées sur la race, la religion, les idées politiques ou l’appartenance à une ethnie, est également reconnue comme motif d’asile l’appartenance à un groupe social menacé.

Or dans son arrêt du 7 novembre 2013, la CJUE a justement établi que les personnes homosexuelles peuvent constituer un groupe social menacé au sens de la Convention de Genève sur les réfugiés dans certains pays. La CJUE a argumenté que l’orientation sexuelle était une partie intégrante de la personnalité, à laquelle il est impossible de renoncer. L’on ne peut de ce fait attendre d’un demandeur sollicitant le statut de réfugié qu’il dissimule son orientation sexuelle afin d’éviter la persécution dans son pays d’origine. «Exiger des demandeurs qu’ils dissimulent leur orientation sexuelle pourrait être considéré comme constituant en soi un acte de persécution», précise encore l’arrêt.

Pénalisation n’est pas persécution

Bien que «la reconnaissance des homosexuels comme un groupe de population à risque constitue une évolution significative du droit», comme l’a souligné la Secrétaire générale de Pink Cross, il reste malgré tout un bémol, souligné notamment par Amnesty International.

La CJUE établi ainsi dans son arrêt que la pénalisation de l’homosexualité ne constitue pas en soi un acte de persécution au sens de la directive et qu’ainsi le seul fait de provenir d’un pays où les rapports homosexuels sont interdits n’est pas suffisant pour prétendre au statut de réfugié.

Si les autorités d’un État membre se voient confrontées à une demande, elles doivent examiner si les conditions qui prévalent dans le pays d’origine sont telles qu’elles donnent lieu à des actes de persécution concrets. Pour ce faire, elles doivent évaluer si des mesures répressives sont applicables et si ces mesures sont appliquées et avec quelle sévérité. Sans emploi concret de la pénalisation dans son État d’origine, le demandeur ne peut pas se justifier d’une crainte fondée de persécution.

Réaction en Suisse

La Section suisse d’Amnesty international s’est déclarée d’accord pour affirmer avec la Commission internationale des juristes que «la Cour aurait dû considérer que ces lois (homophobes), même lorsqu'elles n'ont pas été appliquées récemment dans la pratique, sont susceptibles de donner lieu à une crainte fondée de persécution chez les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres ou intersexuées (LGBTI), qui doivent de ce fait être reconnues réfugiées lorsqu'elles demandent l'asile».

Elle a cependant aussi salué la reconnaissance par la CJUE que l’on ne pouvait pas refusé l’asile à une personne homosexuelle sous prétexte qu’elle avait la possibilité d’éviter la persécution dans son pays en dissimulant son orientation sexuelle. Ce dernier point est d’importance pour la Suisse, où des demandes sont justement refusées sur ce critère. Le Tribunal pénal administratif avait débouté en 2011 un requérant d’asile homosexuel iranien, argumentant que les autorités de ce pays toléraient l’homosexualité tant qu’«elle ne s’affiche pas publiquement d’une manière propre à scandaliser».

Ce développement européen est d’autant plus intéressant qu’il peut être lié à une autre décision, à l’ONU cette fois-ci, et dessiner ainsi les contours d’un nouveau contexte juridique favorable à la reconnaissance de l’homosexualité comme motif d’asile.

Le Conseil des droits de l’homme s’en mêle

En juin 2013, le Comité des droits de l’homme de l’ONU (CDH) a été interpelé par une jeune femme bangladaise. Emprisonnée et violée par la police de son pays en raison de son homosexualité, M.I est venue en Suède pour y chercher asile en 2009. Alors que les autorités suédoises refusent d’entrer en matière sous prétexte qu’elle ne «présente pas de preuve suffisante de ses allégations de mauvais traitement», elle décide de se tourner vers le CDH. Qui lui a donné raison.

Dans sa décision, le Comité a considéré notamment que, lors de la prise de décision, la Suède n’avait pas assez pris en compte le fait que l’homosexualité est notablement stigmatisée dans la société bangladaise et que l’on y sait que la requérante est lesbienne. Il a ainsi conclu que la Suède a violé le droit de la requérante de ne pas être soumise à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, garanti par l’article 7 du Pacte II sur les droits civiques et politiques. Le Comité a demandé à la Suède de suspendre le renvoi de M. I. et de reconsidérer sa demande d’asile à la lumière de ses recommandations.

Sources