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Procuration générale dans la loi bernoise sur l'aide sociale: plainte à la CrEDH

09.04.2013

Dans le cadre de la lutte contre les abus dans le domaine de l’aide sociale, plusieurs cantons ont révisé leurs lois sur l’aide sociale pour que celles-ci règlent le droit de consulter des documents privés et l’échange de renseignements entre les diverses administrations. Depuis le 1er janvier 2012, une loi qui va particulièrement loin dans l’acquisition d’informations est entrée en vigueur dans le canton de Berne: les bénéficiaires de l’aide sociale doivent, dès le dépôt de leur demande, signer une procuration en blanc autorisant la recherche d’informations privées.

Le Tribunal fédéral rejette la plainte

Le 24 janvier 2011, le Grand conseil bernois a adopté la révision de la loi sur l’aide sociale, qui datait de 2001. Avenir social, le comité de demandeurs d’emploi KABBA, les Juristes démocrates bernois et d’autres organisations ou syndicats ont alors lancé un référendum. Mais le nombre insuffisant de signatures récoltées a poussé les opposants à emprunter à la voix juridique; jusqu’au dépôt d’un recours devant le Tribunal fédéral le 9 juin 2011.

Le Tribunal fédéral a jugé le 4 septembre 2012 la plainte contre la révision de la Loi sur l’aide sociale du Canton de Berne. La décision du TF précise sous quelles conditions les services sociaux peuvent utiliser les procurations transmises par les bénéficiaires de l’aide sociale.

Recours devant la Cour européenne des droits de l’homme

Le 9 avril 2013, l’association des professionnel-le-s du travail social «Avenir Social» a fait savoir qu’une plainte avait été déposée devant la Cour européenne des droits de l’homme, parce que l’argumentation du Tribunal fédéral n’était «pas tenable du point de vue constitutionnel».

Les précisions du Tribunal fédéral

La révision de la Loi sur l’aide sociale ne cherche pas seulement à faciliter les échanges de renseignements entre les services. Elle réduit aussi les droits de la personnalité des bénéficiaires, en les obligeant à signer une procuration pour la recherche d’informations les concernant. Il incombait donc au Tribunal fédéral de répondre à la question suivante: cette restriction des droits fondamentaux est-elle proportionnée au but visé, c’est-à-dire à la lutte contre les abus? (art. 36 Cst). Le Tribunal fédéral a décidé à une courte majorité (3 contre 2) que la clause de la loi bernoise était conforme à la Constitution à condition qu’elle ne soit pas appliquée stricto sensu par les autorités. 

Selon l’arrêt du TF, les autorités doivent informer les personnes concernées, dès lors qu’elles prennent des renseignements sur la base de la procuration. Elles doivent indiquer aussi au même moment au bénéficiaire qu’il peut retirer sa procuration dès qu’il le souhaite. Un tel retrait peut conduire, au pire, à une réduction de l’aide, mais en aucun cas, à une suppression complète des prestations. Autrement dit, l’administration cantonale peut demander une procuration dès l’inscription. Mais elle doit informer la personne concernée que la recherche d’informations se fera en trois temps: en premier lieu, les autorités comptent sur le concours du bénéficiaire. Si cette voie ne fonctionne pas, les services sociaux pourront ensuite s’adresser à un tiers selon les modalités prévues par la loi. Si cela ne donne rien non plus, la procuration pourra être utilisée.

Règles sur la recherche d’informations dans la nouvelle loi

Selon la Loi sur l’aide sociale du canton de Berne, les personnes sollicitant l'aide sociale doivent informer les services sociaux de leur situation personnelle et économique et leur communiquer immédiatement tout changement (art. 23 LASoc). Si les bénéficiaires omettent de le faire, les services sociaux peuvent rechercher eux-mêmes les renseignements. C’est cette partie sur la «recherche d’informations» qui a été modifiée en janvier 2011. Il est notamment stipulé que les services sociaux ont un devoir de renseigner les autres offices (nouvelle conception du secret en matière d'aide sociale). Du point de vue des droits humains, ces nouvelles règles affectent le droit à la liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst.) et la protection de la sphère privée (art. 13 Cst.)

La nouvelle loi contient une protection particulière du secret en matière d’aide sociale (art. 8 al. 1 LASoc) avec des exceptions claires en ce qui concerne le devoir de communiquer et le devoir de renseigner les autres offices (art. 8a LASoc).

Respect de la sphère privée seulement pour les riches?

La loi prévoit, à l’inverse, un devoir d’information à l’égard des services sociaux. Non seulement les autorités ont un devoir de renseigner les services sociaux (les impôts ou la police notamment), mais aussi les privés. Pour faciliter l’accès à l’information des autorités, la loi introduit cette procuration. Avec elle, les autorités peuvent interroger les médecins, les banques ou des personnes de confiance, comme les autres habitants d’une communauté domestique pour bénéficiaires de l’aide sociale (Art 8c LASoc). Le Conseil d’État n’avait pas prévu une telle clause dans son projet. Elle émane d’une proposition de l’UDC, du PLR et des libéraux au Grand conseil, qui fut adoptée à 137 voix pour, 4 contre et 2 absentions.

Commentaire de humanrights.ch

La volonté d’éditer un règlement détaillé sur le devoir de renseigner qui incombe aux autorités, mais aussi aux bénéficiaires de l’aide sociale, comme le canton de Berne a décidé de le faire, doit être saluée. Cela permet en effet de clarifier les compétences des autorités. Le législateur souhaitait avec l’introduction d’une telle procuration augmenter les échanges d’informations. La majorité du parlement espérait ainsi faire pression pour plus de coopération et empêcher de potentiels comportements abusifs. Est-ce que cette procuration aura l’effet désiré? Ce n’est pas sûr. Le Tribunal fédéral a seulement précisé l’utilisation de la loi et a fixé les conditions préalables que doivent respecter les autorités pour que le recours à une procuration soit proportionnel au but fixé. Reste un fait étonnant: on remarque qu’en matière d’octroi de droits sociaux, les libéraux, le PBD et l’UDC ont tendance à considérer les droits de la personnalité (art. 10 al. 2; art. 13 al. 1 Cst) comme une bagatelle, alors que, pour d’autres questions liées aux droits humains, ils insistent justement sur ces droits-là avec force et conviction.