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Débat autour de la Une du «Weltwoche» sur les Roms

20.04.2012

Le 5 avril 2012, le journal alémanique «Weltwoche » a publié un dossier au titre sans nuance: «Les Roms arrivent: razzia sur la Suisse». A la  une, sous le titre, un enfant à la peau sombre fixe de son regard sérieux le lecteur et pointe contre lui son arme, un pistolet. Choquante, la couverture du tabloïd a suscité le débat, mais surtout l’indignation. Plusieur plaintes ont été déposées sans succès auprès du Parquet zurichois, mais le Conseil suisse de la presse a en partie donné raison aux plaignant-e-s.

Humanrights.ch informe sur les derniers développements et prend ici position sur ce débat qui, en matière de droits humains, oppose liberté d’opinion et d’information (art.6, al. 3 Cst) et interdiction de la discrimination (art.8 al. 2 Cst.).

Suites juridiques...ou non

Suite aux plaintes déposées par plusieurs privé-e-s et/organisations, le parquet de Zurich a ouvert une enquête en juin 2012 avant de classer l’affaire. Pour lui, la une du Weltwoche en question ne porte pas atteinte à la dignité de la communauté rom en tant qu’ethnie. A l’inverse, le Conseil suisse de la presse a décidé pour sa part le 13 septembre 2012 que l’hebdomadaire avait violé deux articles de la Déclaration des devoirs et des droits des journalistes: l’article 3 concernant la distorsion de l’information et l’article 8 sur la discrimination.

Incitation à la haine et discrimination…

En Allemagne, le Comité central des Roms et des Sinti allemands s’appuie sur le code pénal germanique pour dénoncer l’incitation à la haine  et la suspicion générale  alors que la Bâloise, qui a quant à elle porté plainte à titre privé, en appelle à la norme suisse anti racisme (art. 261 CPS). Un journaliste autrichien a également porté plainte à titre privé contre le tabloïd, rappelant que l’incitation à la haine est un «délit officiel» en Autriche. Un avocat et chercheur en droit genevois, Christophe Germann, est également intervenu dans la polémique. Dans une lettre adressée au Ministère public genevois et envoyée au «Temps», il demande à l’instance «d’initier les actions de droit pénal qui s’imposent contre les responsables de la couverture» du magazine. En plus de la norme anti-racisme, il appelle les autorités à considérer les lois contre la provocation en public au génocide et aux crimes contre l’humanité (art. 264, et art. 259 CPS).

Le Commission fédérale contre le racisme (CFR) a également annoncé qu’elle se pencherait sur la question. Ceci d’autant plus que le racisme anti-tsigane, dont sont victimes les Yéniches, les Roms et les Sintis, est un de ses thèmes phares pour l'année 2012. Le journal gratuit genevois GHI est également dans le collimateur dans la CFR pour un article paru au mois de mars sous le titre «Alerte Roms à Plainpalais».

…Ou information journalistique ?

Des cas de vols par effraction spectaculaire commis par des groupes de Roms venus de Hongrie ou de Roumanie ont défrayé la chronique alémanique dernièrement. Dans ce contexte, l’on peut considérer que le fait d’informer sur la situation en amont est conforme à l’intérêt public. Comme l’a relaté pour Radio1 l'expert suisse en médias Peter Studer, le documentaire du Weltwoche est par ailleurs «très bien documenté». Le message reste cependant d’après lui gênant en ceci qu’il véhicule une «image à composante raciste.»

COMMENTAIRE HUMANRIGHTS.CH

En utilisant une image comme celle mise en couverture de son édition sur les Roms, le journal Weltwoche a sans aucun doute atteint son but: choquer pour susciter des réactions. Chacun est effectivement libre de soulever le débat et de choisir la façon dont il veut le faire, tant qu’il ne viole pas le droit de la personnalité ou d’autres normes juridiques. Or le code pénal suisse interdit aux médias d’utiliser des textes et des images qui incitent à la haine ou à la discrimination. De la même manière qu’il interdit de rabaisser ou de dénigrer les membres d’une race, d’une ethnie ou d’une religion (art. 261 al. 4 CPS).

Le Tribunal fédéral, c’est vrai, a montré dans sa jurisprudence que la liberté d’opinion valait aussi pour l’information qui irrite, dérange, voire même qui s’avère blessante. Reste que la discrimination raciale est sanctionnée par le code pénale suisse et que cela doit être appliqué (voir aussi l’article 4 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, entrée en vigueur en Suisse en 1994).

Le débat concernant la criminalité des populations romes, dans lequel s’inscrit de façon peu délicate l’article du Weltwoche, n’est en effet pas neuf. Les Roms sont gravement discriminés partout en Europe de l’est. Ils sont ghettoïsés et toute perspective d’avenir leur est interdite, parce que refusée. A l’Ouest, y compris en Suisse où pourtant le sentiment anti-rom a déjà fait de lourds dégâts (projet «Enfants de la Grande Route» mis en œuvre par la Fondation Pro Juventute jusque dans les années 70),  les préjugés systématiques à leur égard n’appartiennent pas au passé, mais bien au présent.

Le Weltwoche n’a finalement fait que d’utiliser un climat de société pour diffuser un sentiment: la peur de l’Europe de l’est. C'est d'ailleurs la façon de faire habituelle du tabloïd zurichois, qui exploite chaque opportunité de criminaliser les étrangers ou de stigmatiser une catégorie de population. Même les Romands, décrits il y a quelque semaines encore comme étant les «Grecs de la Suisse», n’y échappent pas.

Il convient à ce stade de rappeler que la situation des Roms en Europe est suivie avec inquiétude par de nombreuses ONG internationales, ainsi que par le Conseil de l’Europe. A l’été 2011, la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) demandait expressément aux Etats de veiller à ce que les médias ne tournent pas leurs informations concernant les Roms sous forme de stéréotypes ou de préjugés et n’appellent pas à la violence ou à la discrimination contre eux. Pour ce faire, l’ECRI demandait aux Etats d’appliquer réellement les lois existant contre l’incitation à la haine et à la discrimination dans des cas concrets.

Aujourd’hui, humanrights.ch ne peut donc que ce déclarer déçu du traitement de l'interprétation étroite faite par le parquet zurichois. L'organisation salue cependant la prise de position du Conseil suisse de la presse. Bien que celle-ci n'ait pas de valeur juridique, une sanction au sein de la profession est dans tous les cas un signe positif et peut permettre d'éviter la banalisation de propos racistes dans les médias, qui participent aussi grandement au façonnement es idées dans l'espace public.

Sources