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Première application de la norme pénale relative aux mutilations génitales

07.05.2019

Un arrêt du Tribunal fédéral de février 2019 confirme que toute personne se rendant coupable de mutilation génitale féminine sera punie par les autorités. Même si l’'infraction a eu lieu hors du territoire suisse et même si l'auteur-e de l'infraction n’y résidait pas au moment des faits.

La nouvelle norme pénale suisse relative aux mutilations génitales féminines (art. 124 CP) est entrée en vigueur le 1er juillet 2012. Depuis, le Code pénal comprend un article condamnant de façon spécifique «celui[-celle] qui aura mutilé des organes génitaux féminins, aura compromis gravement et durablement leur fonction naturelle ou leur aura porté toute autre atteinte». Les auteur-e-s encourent jusqu’à dix ans de prison et l'action pénale se prescrit par quinze ans. Si les victimes sont âgées de moins de 16 ans au moment des faits, une procédure pénale peut être engagée en tous cas jusqu'au jour où la victime a 25 ans.

En juillet 2018, le premier jugement sur l'interdiction des mutilations génitales féminines conformément à l'art. 124 du Code pénal suisse a été rendu par un tribunal régional du canton de Neuchâtel. Ce jugement a ensuite été confirmé par le Tribunal fédéral en février 2019.

Légiférer sur toutes les formes de mutilations

Les mutilations sexuelles constituent une violation grave de l’intégrité et de la dignité des filles et des femmes concernées. Jugeant la réglementation précédente inadéquate, divers organismes et organisations de défense des droits humains, tels Unicef, exigèrent l’introduction d’un instrument législatif plus efficace pour la protection des victimes. Avant l’adoption de l’art. 124 CP, les mutilations sexuelles étaient déjà punissables en Suisse, mais seulement lorsqu’elles étaient considérées comme une lésion corporelle grave au sens de l’article 122 du Code pénal. En outre, ceci n’était valable que pour l’infibulation et l’excision.

L’art. 124 CP présente donc l'avantage de légiférer sur toutes les formes de mutilations génitales. Il règle également la question du consentement en déclarant que les mutilations sexuelles sur une personne majeure au moment des faits et consentante sont également punissables, exception faite des interventions légères telles que les tatouages, les piercings ou certaines opérations esthétiques. En outre, les politicien-ne-s, les autorités et les expert-e-s ont souhaité que cette interdiction explicite de toutes les formes de mutilation génitale provoque un effet dissuasif symbolique. Les mutilations génitales féminines continuent d'être considérées comme une infraction poursuivie d’office, pour laquelle sont punissables non seulement les personnes commettant les mutilations, mais aussi les complices et les instigateurs/trices, par exemple les parents.

Champ d’application de la norme pénale

En vertu du principe dit d'universalité du droit, la Suisse peut également punir les crimes et délits commis par des étranger-e-s en dehors de ses frontière, l’unique condition étant que l'infraction touche à des droits internationalement protégés.

A ce titre, les principaux traités de l’ONU relatifs aux droits humains condamnent la mutilation génitale féminine. Le Pacte II de l’ONU relatif aux droits civiques et politiques et la Convention contre la torture interdisent, quant à eux, tout traitement ou peine cruel, inhumain ou dégradant. Enfin, tous les Etats signataires de la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant sont tenus d’abolir les pratiques traditionnelles préjudiciables envers les enfants. Pour ces raisons, les tribunaux suisses peuvent punir les auteur-e-s de mutilations génitales féminines, même si l’infraction a été commise à l’étranger.

La clause d'universalité de l'art. 124 al. 2 du CP permet notamment d'éviter que des enfants vivant en Suisse ne soient envoyés dans leurs pays d'origine afin d'être soumis à de telles interventions. Contrairement à la France, la Grande-Bretagne ou à l'Italie, le droit suisse ne stipule pas que les auteur-e-s doivent avoir résidé en Suisse au moment de l'infraction. Les autorités doivent donc également poursuivre d’office l’infraction, même si elle a été commise avant l'entrée en Suisse.

Toujours en vertu du même article, les personnes qui ont pratiqué des mutilations génitales dans un autre pays où cette coutume n’est pas légalement répréhensible sont également passibles de poursuites. Le fait que la présente clause d'universalité permette une sanction dans un tel cas n'est cependant pas incontesté et a été critiqué par le Centre suisse de compétence en matière de droits de l'homme (voir notre article sur le sujet).

Premier jugement à Neuchâtel

Et c’est bien autour du principe d’universalité dans le contexte de la migration que s’est cristallisée la difficulté de juger le premier cas, présenté en l’occurrence devant le Tribunal du Littoral et du Val-de-Travers dans le canton de Neuchâtel. Le 12 juillet 2018, celui-ci a condamné à une peine de huit mois de prison avec sursis de deux ans une maman somalienne résidant dans le canton de Neuchâtel et accusée d'avoir poussé à la mutilation des organes génitaux de ses deux filles alors qu’elles vivaient encore toutes les trois en Somalie. La défense demandait de son côté l’acquittement, au motif que la maman n’était pas en Suisse au moment des faits. D’après ce qui est rapporté par la presse, Me Béatrice Haeny, en charge de la défense, considérait que l'universalité de la poursuite pour ce crime ne s'appliquait pas dans le cas de la prévenue, qui est arrivée en Suisse après les faits, soit à fin 2015, à la faveur d'un regroupement familial. Elle avait défendu le fait que la disposition aurait uniquement été prévue pour empêcher le «tourisme de l'excision» et faire en sorte que des personnes résidant en Suisse n’envoient pas leurs filles se faire exciser à l'étranger.

Un raisonnement refusé par la juge en charge du dossier. Pour elle, le fait que l'accusée n'était pas domiciliée en Suisse au moment des faits ne constitue pas un motif d'acquittement car il n’y a pas d'interprétation possible du principe d'universalité. La peine, somme toute légère au vu de la gravité du crime, tient compte cependant de la situation difficile de la maman et de certaines circonstances spécifiques.

Ce jugement, le premier depuis l’entrée en vigueur de la norme pénale en 2012, fait jurisprudence, un contexte dans lequel les mots de la juge neuchâteloise, notamment concernant l’universalité, ont toute leur importance. Reste cependant à voir comment cette jurisprudence sera – ou non – amenée à évoluer lors des prochains cas et surtout si elle aura un impact sur le nombre, pour l’instant exceptionnellement bas, de plaintes basées sur l’art. 124 CP.

Le Tribunal fédéral confirme

Le recours de la mère ayant été rejeté par le tribunal cantonal en décembre 2018, cette dernière a amené l’affaire devant le Tribunal fédéral. Dans leur raisonnement, les juges fédéraux ont suivi les motifs de la condamnation émis par l’instance cantonale et ont rejeté sur tous les points le recours de la mère. Dans ses explications, le juges se sont référés, entre autres, à la genèse de la norme pénale en question. Le législateur de l’art 124 al 2 CP n’a pas spécifié de règles contraignantes concernant le principe d’universalité dans le but justement de ne pas limiter l’application aux auteur-e-s résidant déjà en Suisse lors de l’infraction. La poursuite pénale pour mutilation génitale peut donc aussi être dirigée contre des auteur-e-s qui ne sont aucunement établis en Suisse, voire qui n’y sont que de passage.

Le Tribunal fédéral confirme avec cela, que la clause d’universalité de l’art. 124 al 1 CP veut laisser une large marge d’appréciation, pour que les auteur-e-s soient rendus responsables, même si au moment des faits ils/elles n’avaient aucune relation avec la Suisse. L’interdiction de la mutilation génitale féminine vise donc également, dans un but de prévention, la répression la plus large possible.

Un cas pour près de 15 000 victimes en Suisse

Selon les estimations évoquées dans le rapport du Conseil fédéral d’octobre 2015, près de 15 000 femmes et filles seraient victimes ou menacées par de telles interventions en Suisse. En 2012, une enquête menée par Unicef Suisse estimait qu’elles étaient 10 700. Or, malgré l’ampleur considérable de ce phénomène en Suisse, jusqu’au jugement du Tribunal neuchâtelois en 2018, personne n’avait encore déposé plainte pour dénoncer un tel délit.

Conformément à l’enquête d’Unicef menée auprès de plus de 1000 spécialistes médicaux, il serait impossible de croire que ces actes restent dissimulés et, par conséquent, ne peuvent pas être signalés. L’étude relate que quatre gynécologues sur cinq, et deux sages-femmes sur trois, auraient déjà eu affaire à des femmes excisées. Parmi les pédiatres, 15 % auraient déjà consulté des filles victimes de mutilations génitales.

Les professionnel-le-s de la santé et du social seraient souvent confronté-e-s à des situations de mutilations génitales. Dans le seul canton de Genève, en 2014, elles et ils auraient été plus de 50 % à déclarer avoir été confronté-e-s à des victimes dans l’exercice de leur profession. À Lausanne, le Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) évaluait, en 2012, à environ 600 par année le nombre de ses patientes concernées.
Ces faits démontrent bien un besoin d’information et de sensibilisation dans le domaine. C’est pourquoi, le Réseau Suisse contre l’excision a créé une plateforme Internet d’information et de soutien destinée aussi bien aux femmes menacées qu’aux professionnel-le-s confronté-e-s à cette problématique (pour plus d’informations voir Réseau Suisse contre l'excision).

Intersexuation – Pour une approche des variations du développement sexuel

Il est également à déplorer que la norme pénale en vigueur ne précise pas si et en quelles circonstances des opérations d’ajustement de sexe restent possibles pour les personnes nées avec une variation sexuelle. L’accomplissement de telles intervention sont d’usage en Suisse et dans la culture occidentale en général, mais sont douteuses du point de vue des droits à l’autodétermination des personnes concernées. Amnesty International et Terre des Femmes Suisse (TdF) avaient ainsi exigé, lors de la consultation pour la révision du code pénal, que le législateur inclue ces opérations d’ajustement de sexe dans la norme pénale relative aux mutilations génitales. En vain.

Sources

Informations complémentaires