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Personnes intersexes: deux Comités des Nations Unies demandent à la Suisse de changer son approche

16.09.2015

En 2015, pour la première fois, le Comité des droits de l’enfant et le Comité contre la torture des Nations Unies se sont penchés sur les préoccupations des personnes intersexes en Suisse. Les deux Comités s’expriment de façon similaire et recommandent sans équivoque l’abandon de la pratique qui consiste à opérer ou à traiter les personnes intersexes dès leur plus jeune âge, dans l’idée de «corriger» ou de «clarifier» le genre. En outre, ils recommandent à la Suisse d’une part d’apporter un meilleur soutien aux enfants et aux parents concernés, d’autre part de prendre des mesures qui améliorent l’accès à la protection juridique et offrent réparation.

Opérations précoces: une «pratique préjudiciable»

L’examen du Comité des droits de l’enfant effectué en janvier 2015 à l’égard de la Suisse met en évidence les interventions de type chirurgical ou autre jugées inutiles d’un point de vue médical et qui sont accomplies en l’absence du «consentement éclairé» (en connaissance de cause) des enfants intersexes. Dans son rapport final rédigé à l’intention de la Suisse, le Comité signale dans le chapitre «Pratiques préjudiciables» que « [de telles interventions et traitements] entraînent souvent des conséquences irréversibles et peuvent causer de graves souffrances physiques et psychologiques».

Un avis similaire est exprimé dans le rapport du Comité contre la torture qui a examiné la Suisse en août 2015. Les deux comités se réfèrent aux recommandations éthiques de 2012 formulées par la Commission nationale d’éthique sur l’intersexualité pour la médecine humaine. Il en ressort qu’aucun traitement médical inutile ne doit être effectué pendant l’enfance et qu’une importance particulière doit être accordée à la préservation de l’intégrité physique et à l’autodétermination des enfants.

Mesures à prendre

Dans le cadre de son examen par le Comité contre la torture, la Confédération s’est visiblement dit prêt à s’exprimer sur les recommandations éthiques d’ici fin 2015. Dans ses recommandations finales, le Comité salue cette concession à l’égard des personnes intersexes. Le Comité d’expert-e-s de l’ONU se dit également préoccupé par le fait qu’aucune enquête n’a à ce jour été menée concernant ces pratiques préjudiciables, aucune sanctions prévues pour empêcher leur réitération ni de mesures de réparations pour les victimes.

Pour l’organisation «Zwischengeschlecht.org», les déclarations explicites de l’ONU représentent une victoire d’étape. Depuis des années, l’organisation s’engage en faveur de ces personnes et fustige la pratique des interventions visant à apporter des modifications sexuelles chez les bébés intersexes.

Rapports de Zwischengeschlecht.org

Avant l’audition des deux Comités de l’ONU, l’organisation Zwischengeschlecht.org avait livré des rapports détaillés sur la situation en Suisse des personnes présentant des caractéristiques sexuelles ambiguës depuis la naissance. «Human Rights for Hermaphrodites Too» se déclare porte-parole de ces personnes en faisant part de leurs revendications. L’interdiction des mutilations génitales féminines («female genital mutilation» – FGM) ne suffit pas; il faut également prohiber les mutiliations génitales intersexes («intersex genital mutilation»).

Les préoccupations de l’association Zwischengeschlecht.org se font peu à peu entendre dans différents cercles. La société civile se montre toujours plus sensible et attentive à la situation des droits humains des personnes intersexes. Des revendications existent également dans le deuxième et troisième rapport des ONG du Réseau suisse des droits de l’enfant. Celui-ci recommande au Comité d’inviter la Suisse «[à] appliquer toutes les recommandations de la Commission nationale d’éthique pour la médecine humaine concernant l’attitude à adopter face aux variations du développement sexuel (enfants intersexués, DSD), à examiner des mesures au niveau de la législation pour mettre fin aux opérations génitales cosmétiques sur les enfants concernés, à conduire un réexamen historique et social de cette pratique contraire aux droits humains envers les enfants et les jeunes concernés et à offrir réparation aux intéressés de manière appropriée.»

Les droits humains protègent les personnes intersexes

Au cours des dernières années, les organes des droits de l’homme ont également porté leur attention sur la situation des personnes intersexes. Le Comité contre la torture est à ce sujet le premier organe de surveillance des traités à avoir formulé en 2011 des recommandations pour assurer les droits humains des personnes intersexes en Allemagne. Il avait alors demandé au gouvernement de s’assurer que les traitements chirurgicaux et autres actions médicales soient effectués uniquement avec le plein consentement des personnes concernées. Celles-ci doivent également être conscientes des effets liés à ces opérations chirurgicales et être mises au courant des alternatives possibles. Les interventions inutiles devraient être évitées et les opérations non autorisées doivent faire l’objet d’enquêtes objectives. Enfin les victimes doivent pouvoir être dédommagées, afin que réparation leur soit offerte.

En 2013, le Rapporteur spécial sur la torture a qualifié de traitement inhumain les opérations jugées inutiles d’un point de vue médical, rappelant ainsi le principe de l’interdiction de la torture et des mauvais traitement (Torture / Traitements inhumains ou dégradants).

Toujours en 2013, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a quant à elle adopté une Résolution sur l’intégrité physique de l’enfant dans laquelle elle condamne explicitement l’intervention médicale chez les enfants intersexes. La aussi, le devoir d’enquête est mentionner. Il revient aux gouvernements de garantir l’interdiction des traitements médicaux et chirurgicaux jugés inutiles par le biais de mesures ciblées. La santé, l’intégrité corporelle, l’autonomie et l’autodétermination des personnes concernées doivent être assurées et les familles soutenues à travers des aides et des conseils. (Résolution 1952 (2013), chiffre 7.5.3)

La «mutilation génitale intersexe» en Suisse

En Suisse, l’on parle encore très peu de cette thématique et il n’existe manifestement aucune enquête sur la situation des personnes intersexes et sur la pratique médicale les concernant. Rares sont les débats qui portent sur les critères de différenciation entre une intervention cosmétique effectuée sur les organes sexuels de jeunes enfants et une intervention chirurgicale jugée médicalement nécessaire. De fait, comment trouver des solutions à un problème qui n’est pas encore thématiser? Dans ce contexte, il est évidemment difficile d’adopter des mesures pourtant indispensables à la protection des enfants.

De plus, il n’est toujours pas possible d’affirmer que les hôpitaux, et plus particulièrement les médecins, sont suffisamment informés et conscients de la non conformité des opérations dites «cosmétiques» avec les droits humains et ont modifié leur pratique en conséquence. Du côté des parents, l’ont peut aussi douter qu’ils reçoivent le soutien et les informations qui leur seraient nécessaires pour pouvoir s’affirmer sur cette question et refuser une intervention inutile sur leur enfant.

Le Parlement a quant à lui également manqué l’opportunité de fixer, dans le cadre de la création de la disposition pénale spéciale contre la mutilation génitale féminine (art. 124 CP), l’interdiction de la «mutilation génitale intersexe». Le Conseil fédéral a pour sa part volontairement renoncé à élargir l’interdiction de la mutilation génitale féminine à la mutilation génitale «cosmétique», telle qu’elle est couramment effectuée en Suisse. Reste à voir dans quelle mesure cette disposition pénale pourra néanmoins servir en pratique à agir contre les interventions médicalement inutiles sur les enfants intersexes.

Bientôt des mesures simplifiées pour les enfants intersexes? 

Sur la base des lignes directrices de la Commission nationale d’éthique, la Confédération a en outre ciblé son attention sur la possibilité d’effectuer ultérieurement et de manière simplifiée des changements dans le registre des naissances, ceux-ci portant en particulier sur le prénom et le sexe. Selon l’ancien régime, les parents avaient l’obligation d’inscrire le nom et le sexe de l’enfant dans les trois jours suivant la naissance – sans qu’il soit ensuite envisageable d’effectuer un changement de manière non bureaucratique.

En février 2014, la Confédération a édicté une directive à l’intention des autorités de l’état civil de manière à rendre la pratique plus flexible. Dans le cas de la naissance d’un enfant aux caractéristiques sexuelles ambigües, les parents disposent désormais davantage de temps auprès des autorités. Un changement ultérieur de l’enregistrement du sexe et du nom est également envisageable. Contrairement à Allemagne, le système suisse ne permet pas de laisser à  blanc le sexe de l’enfant dans le registre de l’état civil.