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Faciliter le changement de sexe dans le registre de l'état civil

04.10.2018

Lors de la conférence de presse du 23 mai 2018, le Conseil fédéral a présenté pour la première fois son avant-projet de modification simple de l'état civil des personnes transgenres et des personnes présentant une variation du développement sexuel. Selon la Conseillère fédérale en charge du dossier Simonetta Sommaruga, ce sujet ne concerne qu'un petit nombre de personnes en Suisse. C'est cependant un facteur de grandes difficultés.

Selon le Conseil fédéral, le mécanisme envisagé dans l'avant-projet repose sur le concept de l'autodétermination. Les personnes transgenres et les personnes présentant une variation du développement sexuel devraient à l'avenir pouvoir enregistrer un changement de sexe et de prénom sans formalités administratives par une simple déclaration au bureau de l'état civil - sans décision de justice et sans rapports psychiatriques. Après le changement d'état civil, le mariage ou les liens de filiation existants demeureront inchangés. La question d’un troisième genre est elle aussi en discussion depuis que le Conseil National a accepté un postulat en ce sens lors de la session d’automne 2018.

Situation actuelle

Actuellement, chaque enfant doit être inscrit à l'état civil dans les trois jours suivant sa naissance avec ses nom et prénom, sa filiation et son sexe. S'il s'avère par la suite que l'identité de genre diffère du genre attribué à la naissance, le genre et le prénom ne peuvent actuellement être adaptés que dans le cadre d'une procédure administrative ou judiciaire. Mais la pratique juridique correspondante est inconsistante et les procédures sont coûteuses en temps et en argent - en moyenne entre 300 et 1000 francs - ce qui représente une lourde charge pour de nombreuses personnes transgenres.

Henry Hohmann, responsable politique du Réseau Transgenre Suisse (TGNS), l'explique ainsi: «La pratique actuelle impose des exigences élevées à une personne transgenre qui ne peut pas y faire face seule.»

Le changement du sexe officiel et du nom est cependant d'une grande importance au quotidien pour une personne transgenre. Ce n'est qu’une fois qu’elle est en possession de documents reflétant correctement son sexe qu’elle peut éviter de devoir justifier, voire annoncer, sa transidentité. De telles sorties forcées ne représentent pas seulement une énorme charge psychologique, elles augmentent également le risque de violence et de discrimination, par exemple lors de la recherche d'un emploi.

Strasbourg donne le ton

Grâce aux modifications proposées au Code civil, la pratique suisse s'adapte d'une part à une réalité sociale. Selon les estimations, 40'000 personnes ayant une identité transgenre vivent en Suisse. D'autre part, le projet de loi peut également être lu comme une mise en oeuvre de la Résolution 2048, adoptée par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe en 2015 et non contraignante en soi. Le coeur de la résolution est la lutte contre la discrimination à l'encontre des personnes transgenres en Europe. La résolution est relativement complète et couvre la majorité des domaines de préoccupation des personnes transgenres, y compris le changement rapide et transparent de nom et de sexe. Un tel changement doit être accordé sans restrictions fondées sur des caractéristiques personnelles telles que l'âge ou la situation financière.

Le texte de la résolution parle également de l'abolition de l'obligation de stérilisation et de toute mesure médicale ou diagnostic psychiatrique comme condition préalable à la reconnaissance légale de l'identité de genre. Jusqu'à un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme de 2017, c'est précisément cette preuve d'infertilité ou d'harmonisation opérationnelle des organes sexuels qui était une condition sine qua non d'un changement de sexe dans le registre d'état civil en Suisse. De plus, les personnes qui étaient mariées devaient d'abord divorcer. L'avant-projet, publié fin mai, s'appuie sur les nouvelles législations exemplaires de certains pays européens tels que Malte (2015), l'Irlande (2015), la Norvège (2016) et la Belgique (2018). Dans tous ces pays, une simple déclaration sans conditions supplémentaires suffit déjà pour changer l'état civil.

Principe d'autodétermination dilué

L'avant-projet présenté par le Conseil fédéral répond à de nombreux égards aux exigences de longue date des organisations trans en Suisse. Mais il est nécessaire d'améliorer le processus politique qui vient d'être entamé, comme le déclare Transgender Network Switzerland dans un communiqué de presse. Le futur article 30 b du Code civil mentionne l'autodétermination, c'est-à-dire la perception intime, comme la maxime d'une explication simple à l'officier de l'état civil. Dans le rapport explicatif, le Conseil fédéral relativise toutefois le fait qu'en cas de «doute» sur l'honnêteté ou le bien fondé de la requête, le fonctionnaire concerné peut demander des renseignements complémentaires (p. ex des certificats médicaux) ou même rejeter une demande (p. 30). Le Conseil fédéral affaiblit ainsi immédiatement le principe d'autodétermination proposé et ouvre la porte à l'arbitraire de l'opinion personnelle du fonctionnaire responsable. C'est la raison pour laquelle une formation au moins appropriée sur les thèmes de la transsexualité et de l'intersexualité devrait être dispensée aux personnes responsables.

Un pas en arrière pour les personnes transgenres mineures

Par ailleurs, l'avant-projet crée également des perdants: ce sont les mineurs. Jusqu'à présent, les mineurs pouvaient demander un changement de sexe et de nom officiel. La représentation légale pouvait le demander pour les personnes incapables de discernement. Cette règle était considérée comme un exemple positif au niveau international. Il est donc d'autant plus regrettable qu'à l'avenir, le projet du Conseil fédéral fasse prévaloir le consentement du représentant légal aux demandes  de modification du registre de l'état civil présentées par un mineur (art. 30 b, al. 4, ch. 1). Ce chiffre spécifique de l'avant-projet représente un net recul en arrière.

Bientôt un troisième sexe?

Lors de la conférence de presse du 23 mai, le Conseil fédéral a clairement indiqué que le changement de genre et de nom facilité ne concerne pas seulement les transgenres mais également les personnes présentant une variation du développement sexuel. Il s'agit d'une situation douloureuse pour la quarantaine d'enfants par an qui naissent avec un sexe qui ne peut pas être clairement identifié par le personnel médical, mais qui doivent néanmoins être enregistrés comme hommes ou femmes par leurs parents à l'état civil sous trois jours. L'avant-projet du Conseil fédéral veut maintenant donner à ces personnes la possibilité de revenir sur la décision potentiellement erronée de leurs parents sans trop d'efforts administratifs. Toutefois, l'avant-projet contient toujours l'obligation de s'identifier en tant que femme ou homme. Il ne laisse aucune place à la diversité des genres.

La situation pourrait cependant évoluer prochainement. Lors de la session d’automne 2018, le conseil National  a en effet donné son veut vert au postulat de à Sibel Arslan (V/BS) pour l’inscription d’un troisième sexe à l’état civil. Ce postulat, que le Conseil fédéral avait par ailleurs recommandé d’accepter, charge l’exécutif d'établir un rapport sur les conséquences qu'entraînerait, d'une part, la possibilité pour les personnes qui ne se reconnaissent pas dans les catégories homme ou femme de faire inscrire dans les actes d'état civil un troisième sexe, d'autre part, l'abandon pur et simple de la mention du sexe dans ces mêmes actes. Reste désormais au Conseil des Etats à statuer.

En outre, un autre objet parlementaire devrait lui aussi bientôt entrer en discussion. Il  s’agit d’un postulat sur le même sujet déposé par Rebecca Ruiz (PS/VD).