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Genève veut mettre fin aux interventions chirurgicales d’assignation sexuelle sur les enfants

25.06.2019

Le Grand Conseil genevois est la première instance politique en Suisse à qualifier officiellement les interventions chirurgicales non vitales sur les enfants intersexués de mutilations et vote l’interdiction de cette pratique au niveau cantonal. En cause: la préservation du droit à l’autodétermination et à l’intégrité physique et psychique des enfants. 

Le 10 avril 2019, les parlementaires genevois ont accepté deux motions visant l’interdiction des interventions chirurgicales non justifiées médicalement dont le but est de «corriger» ou de «clarifier» le sexe des enfants nés avec une variation du développement sexuel (VDS). En 2013, le Rapporteur spécial de l’ONU sur la torture a rédigé un rapport sur les abus dans les établissements de soins dans lequel il conclut sur l’importance de qualifier de torture et de mauvais traitements ces abus, mentionnant spécifiquement «les traitements médicaux invasifs ou irréversibles, notamment la chirurgie normalisatrice de l’appareil génital imposée». En outre, le Comité des droits de l’enfant qualifie cette pratique de préjudiciable dans son rapport final de 2015 à l’intention de la Suisse. Avec le Comité contre la torture, qui a également adressé la thématique des personnes intersexuées dans son rapport de 2015, ils recommandent sans équivoque à la Suisse de mettre fin aux opérations prématurées d’enfants présentant des variations du développement sexuel. Il recommande d’une part d’apporter un meilleur soutien à ces enfants et à leur parents et d’autre part de prendre des mesures qui améliorent l’accès à la protection juridique et offrent réparation. Sur le plan national, en 2012 déjà, la Commission nationale d’éthique pour la médecine humaine (CNE) avait fait ses recommandations à la Suisse en la matière.

Les deux motions en question

C’est une motion de la coalition genevoise Ensemble à Gauche, étroitement discutée avec l'association InterAction, qui est à l’origine de la demande de reconnaissance des torts causés aux personnes intersexuées et de l’interdiction des opérations d’assignation sexuelle. La motion 2491 exige que les opérations non urgentes et sans le consentement des personnes intéressées soient interdites et qualifiées de mutilations. Elle demande en outre que les personnes concernées soient considérées comme des victimes à qui une indemnisation doit être versée. La garantie pour les personnes présentant des variations du développement sexuel de pouvoir prendre leurs propres décisions concernant leurs traitements ou soins médicaux a été formulée. Autre exigence: la mise en place d’un soutien psychosocial gratuit pour les personnes concernées ainsi que leurs familles.

A la suite du dépôt de cette motion, la Commission des droits de l’Homme du canton de Genève s’est penchée sur le sujet en procédant à des auditions qui ont été compilées dans un rapport, déposé en mars 2019. Elle a ensuite affiné les contours de la motion d’Ensemble à Gauche et déposé la motion 2541. Similaire sur le fond et différente dans les termes, elle exige en plus que les professionnel·e·s de la santé soient formé·e·s en matière de variation du développement sexuel.
La motion d’Ensemble à Gauche a été approuvée par une large majorité tandis que la motion de la Commission des droits de l’Homme a été acceptée à l’unanimité, toute deux le 10 avril 2019.

Résolution du Conseil de l’Europe

Ces deux motions vont dans le sens des recommandations émises sous l’angle des droits humains. Les notions de soutien aux personnes concernées et familles, de reconnaissance des torts et de réparation, mais également de formation des corps professionnels concernés couvrent nombre des points sur lesquels divers organes internationaux se sont exprimés, comme les deux comités de l’ONU déjà mentionnés. Des recommandations non contraignantes pour la Suisse mais qui relèvent tout de même d’une grande importance.  En 2013, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a par ailleurs voté une Résolution sur le droit des enfants à l’intégrité physique et recommande aux Etats, dont la Suisse, d’«entreprendre des recherches complémentaires afin d'augmenter les connaissances de la situation spécifique des personnes intersexuées, s'assurer que personne n’est soumis pendant l'enfance à des traitements médicaux ou chirurgicaux esthétiques et non cruciaux pour la santé, garantir l’intégrité corporelle, l’autonomie et l’autodétermination aux personnes concernées, et fournir des conseils et un soutien adéquats aux familles ayant des enfants intersexués». Elle recommande également de dispenser une formation spécifique à différentes catégories de profesionnel·e·s concerné·e·s. 

Réaction de la communauté intersexe

L’élan du Grand Conseil genevois a été salué par InterAction dans un communiqué de presse du 23 avril 2019. L’Association Suisse pour les Intersexes, active depuis 2017, a qualifié cette avancée de «reconnaissance historique des violations des droits humains par une instante politique suisse». Elle a également salué le fait que les deux motions, ainsi que le rapport de la Commission des droits de l’Homme, qualifient les interventions pratiquées sur les enfants intersexuées de mutilations et les condamnent.

L’association regrette cependant des interventions lors de la session parlementaire du 10 avril 2019 selon lesquelles «les interventions chirurgicales d’assignation sexuelle ne seraient plus pratiquées à la HUG depuis 2012». Elle préconise par ailleurs l'utilisation du terme «altération des caractéristiques sexuelles» à «assignation sexuelle», terminologie qui permet de sortir de la binarité à l'origine de cette pratique, et demande à ce que ces interventions, qui selon elle sont toujours pratiquées à Genève tout comme dans le reste de la Suisse, soient reconnues et condamnées. Reste que Genève devient un canton précurseur sur cette question, alors que la Confédération refuse pour l’instant de légiférer au-delà de ce qui existe et que le débat débute seulement dans le monde médical.

Confédération réticente

À ce jour, il n'existe pas de base légale en Suisse interdisant explicitement les interventions chirurgicales d’assignation sexuelle précoce et celles-ci restent donc pratiquées. Pourtant, la prise de position de la Commission nationale d’éthique pour la médecine humaine de 2012 était claire. «Le principe qui devrait guider la pratique à l’égard des variations du développement sexuel est le suivant : pour des raisons éthiques et juridiques, aucune décision significative visant à déterminer le sexe d’un enfant ne devrait être prise avant que cet enfant puisse se prononcer par lui-même dès lors que le traitement envisagé entraîne des conséquences irréversibles et peut être reporté». Dans sa réponse à l’interpellation 17.4183 de Rebecca Ruiz, le Conseil fédéral a pourtant estimé que la majorité des recommandations de la CNE avaient déjà été mises en œuvre, citant notamment la simplification de la modification de l’inscription du sexe dans le registre de l’état civil. Il maintient par ailleurs que le droit en vigueur est suffisant pour régler les interventions chirurgicales d'assignation sexuelle avec l’article 122 du Code pénal concernant les lésions corporelles graves et n’a donc pas l’intention d’aller plus loin en la matière. 

Discussions dans le monde de la santé 

Du côté du monde médical, une prise de conscience progressive est malgré cela en train de faire jour. En mai 2019, 25 spécialistes issu-e-s de la santé et travaillant dans des cliniques pédiatriques suisses traitant des personnes présentant des variations du développement sexuel se sont réuni-e-s et se sont mis d’accord sur le fait qu’une opération chirurgicale ne devrait être menée qu’en dernier recours. Une équipe de spécialistes devrait en premier lieu conseiller et présenter toutes les options possibles à une famille dont l’enfant est né avec une variation du développement sexuel avant de se diriger vers une opération. Cet accord n’a aucune portée juridique mais reflète l’attention nouvelle portée par le corps médical sur la thématique. En outre, l’équipe de spécialistes se prononce contre une interdiction catégorique d’opérer sur les enfants intersexués. En effet, Dr. Rita Gobet, cheffe du service urologie à l’hôpital pédiatrique de Zürich, dans un article de mai 2019, affirme qu’une opération d’assignation sexuelle devrait être possible si elle est jugée être la meilleure solution par les parents et par le groupe de spécialistes. Le Dr. Blaise Meyrat, chirurgien pédiatrique au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), lors de son audition par la Commission des droits de l’Homme, maintenait quant à lui la nécessité de légiférer et non pas recommander.

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